Transferts F1 : les erreurs de « casting » mémorables

Alors que s’achève progressivement l’une des « silly season » les plus animées de ces dernières années, il est intéressant de revenir sur quelques « ratés » célèbres commis par les grandes écuries dans les transferts. Certains choix ne donnèrent jamais les résultats escomptés quand d’autres tournèrent carrément à la catastrophe sportive ! En voici un florilège des années 80 à nos jours, sans exhaustivité.

1981 – Andrea De Cesaris et McLaren, une affaire de pièces détachées

Au début des années 80, McLaren est en pleine reconstruction avec l’arrivée au pouvoir de Ron Dennis via le programme Project Four soutenu par Marlboro. En 1981, l’écurie britannique peut compter sur l’expérimenté John Watson mais elle n’a pas pu conserver Alain Prost, récupéré par Renault. Grâce à ses connections avec Marlboro et à ses bonnes performances en F2 avec Project Four, De Cesaris est embauché par McLaren. Si sa pointe de vitesse n’est pas mauvaise, De Cesaris coûte très cher cependant à Woking , détruisant pas moins de 18 châssis en une saison ! Une « performance » qui lui vaut le surnom « De Crasheris » et surtout qui lui coûte sa place, l’italien étant limogé avant la fin de la saison. Il parviendra cependant à poursuivre sa carrière jusqu’en 1994, avec un triste record, celui des abandons en course : 148 pour 208 Grand prix disputés !

1992 – Ivan Capelli, la malédiction des italiens dans la Scuderia

La fin de la saison 1991 est explosive pour Ferrari, au sens propre comme au sens figuré. Les moteurs fument et les esprits aussi. Quand Alain Prost lance la critique de trop sur la Scuderia – le fameux « camion »- il est limogé comme un malpropre, propulsant derechef Jean Alesi comme leader de l’écurie pour 1992. Ferrari se tourne vers Ivan Capelli pour épauler le français, le pilote italien s’étant forgé une belle réputation aux cours de ses trois saisons disputées avec March, où il eut souvent l’occasion de se mettre en valeur. Mais cette opportunité de piloter pour Ferrari, le rêve de tout pilote italien, devient un terrible cauchemar. Engluée dans ses difficultés techniques, ses problèmes de gouvernance et de crises politiques internes, la Scuderia connaît en 1992 l’une des pires saisons de son histoire. La F92 est ratée et pas assez fiable. Si Alesi parvient à en tirer le meilleur et réussit à décrocher ça et là quelques belles performances, Capelli traverse la saison 92 comme un fantôme, récoltant trois faméliques points et multipliant accidents et têtes à queue. Au Mexique, il ne se qualifie qu’en 20e place, au milieu de voitures de seconde zone. La descente aux enfers continue et, tel le couteau que l’on remue dans la plaie, Capelli subit l’humiliation d’une piteuse sortie de route à Monza, devant des tifosis désespérés. Après une ultime apparition au Portugal, Capelli est remplacé par le pilote d’essais maison Nicola Larini pour les deux dernières courses. Brisé psychologiquement et ayant perdu toute confiance en ses capacités après ce désastreux passage, Ivan ne s’en remis jamais. Récupéré par Jordan pour 1993, il décida de se retirer après seulement deux courses, le fossé avec son jeune équipier Barrichello étant anormalement grand. L’expérience d’Ivan Capelli conforta Ferrari dans sa réticence à engager des pilotes transalpins.

1993 – Michael Andretti et McLaren, le choc des cultures

Les premiers contacts entre Andretti et McLaren remontaient à 1991, alors que l’écurie de Woking était au firmament. Au début de l’année 1993, la situation n’est plus la même : Williams est devenue l’écurie dominante et McLaren a perdu Honda, qui a quitté la F1. Fils du grand Mario, champion du monde 1978 et multiple champion CART, Michael signe fin 1992 et arrive en F1 avec un beau palmarès en Formule Indy, dont il gagné le championnat 1991. Mais comme Senna lorgne de plus en plus vers Williams, McLaren joue la sécurité et s’offre aussi les services de Mika Hakkinen. Senna finit par rester – en négociant son contrat course après course- et laisse Hakkinen sur la touche. Malheureusement pour l’américain, la saison 1993 va tourner au cauchemar. Andretti fils arrive dans une écurie en difficulté, car McLaren se contente d’un Ford V8 client moins fiable et surtout moins puissant que le Renault. De plus, il commence aux côtés d’Ayrton Senna, ce qui n’est pas un cadeau pour un débutant. Michael Andretti a du mal à s’adapter aux courses et aux monoplaces de type F1, bien plus sophistiquées que les rustiques Indycars. La préparation a été insuffisante et, autre erreur de l’américain, il ne s’installe pas en Europe, près de la base McLaren, préférant rentrer en Concorde après chaque course aux USA.

Ce manque de présence et d’investissement va l’empêcher de bien se fondre dans le team et de développer des liens efficaces avec le personnel et les ingénieurs, tandis que le pilote d’essais McLaren, le jeune et prometteur Mika Hakkinen, enchaîne les tests et engrange de l’expérience. Le début de saison est donc calamiteux, avec seulement 4 tours couverts en 3 Grand prix, des crashs mémorables à répétition et des écarts en qualification et en course oscillant souvent entre 1,5 et 3 secondes par rapport à Senna ! La pression médiatique est terrible, réclamant sa tête après chaque course, et l’ambiance entre le clan Andretti et McLaren ne prend décidément pas, le fossé culturel entre américains et européens étant trop important. Andretti s’améliore cependant en cours de saison, décrochant une 5e place en Espagne, une 6e en France et même un podium à Monza (mais avec beaucoup de favoris mis hors course). Cette performance est trop tardive, puisque Dennis renvoie sans ménagement l’américain au soir du GP d’Italie, pour le remplacer par Hakkinen. Andretti reprit sa carrière aux USA avec succès jusqu’en 2003 mais depuis, aucun autre américain n’a réussi à percer.

1995 – Nigel Mansell et McLaren, trop « gros » pour être vrai

Parti de la F1 après son titre 1992 pour enchaîner avec un titre Indycar en 1993, Mansell fit un retour remarqué en 1994 dans une écurie Williams traumatisée par la mort de Senna. Après quelques ratés, le vieux lion avait accompli une superbe fin de saison, ponctuée par une 31e victoire en Australie. Persuadé de pouvoir encore jouer la gagne, l’anglais n’est cependant pas retenu par Williams qui lui préfère le jeune Coulthard et il signe à la surprise générale chez McLaren. Il est de notoriété publique à l’époque que Ron Dennis et Nigel Mansell ne s’apprécient guère mais la pression du sponsor titre Marlboro a fait céder Dennis.

Les tensions sont palpables dès le début de l’année, les discussions achoppant entre autres sur les prétentions salariales du champion 92. Le courant passe difficilement entre l’atypique Mansell, perçu comme un dilettante jouant les divas,  et le staff McLaren pas encore remis de la perte de Senna. Patrick Head, le directeur technique de Williams,  dira même à Jo Ramirez « qu’il ne peut rien leur dire à propos de Mansell car vous ne me croiriez pas. Vous devez vivre cette expérience… ». Alors que les médias se délectent déjà des étincelles à venir, la saison de Mansell chez McLaren tourne à la farce lorsqu’on annonce que le baquet n’est pas assez large pour accueillir la carcasse – plutôt dodue – de l’anglais et que, le temps de construire une coque adaptée, il sera remplacé sur les deux premières courses par Mark Blundell ! De retour à San Marino et en Espagne, Mansell livre deux prestations insignifiantes qui précipitent son départ définitif. Peu enclin à s’investir dans le développement d’une voiture, Mansell voulait du tout-cuit et piloter une voiture compétitive sans être obligé de fournir les efforts nécessaires. Son temps était passé…Dennis retient la leçon et, plutôt que de courir après des vieilles gloires, il décide d’investir sur l’avenir et de déceler les futurs champions. C’est chose faite fin 1995 quand à l’occasion du gala annuel d’Autosport, Dennis est abordé par un champion de karting d’à peine 9 ans. Son nom ? Lewis Hamilton…

1999 – Alex Zanardi et Williams, l’occasion ratée de la seconde chance

Alex Zanardi connaît une première carrière en F1 assez confidentielle, passée en fond de grille chez Jordan puis dans une écurie Lotus en pleine décrépitude. Sans volant en 1995 suite à la disparition de Lotus, l’italien décide de s’exiler aux Etats-Unis dans un championnat CART en pleine expansion. Sa carrière prend alors un envol spectaculaire : avec le Chip Ganassi Racing, écurie de référence du CART à la fin des années 90, Zanardi va décrocher en l’espace de trois saisons pas moins de 15 victoires et deux titres ! Le talent de Zanardi, magnifié par un pilotage spectaculaire, lui permet de susciter de nouveau l’intérêt des écuries de F1. Au cours de la saison 1998, l’italien décroche avec Williams un contrat de 2 saisons. Zanardi effectue donc son retour en 1999, aux côtés de Ralf Schumacher. La Williams n’est plus la terreur des saisons passées mais Zanardi va, de manière incompréhensible, littéralement sombrer face à son équipier allemand qui parvient à accumuler plusieurs résultats très prometteurs. Le bilan est terrible : tandis que le frère de Michael Schumacher termine 6ème du championnat avec 35 points, Zanardi n’en marque aucun ! Logiquement, Williams ne lui renouvelle pas sa confiance et recrute Jenson Button pour 2000. Zanardi voit ainsi sa seconde carrière en F1 écourtée, avant que le destin ne le rattrape au Lausitzring en 2001 alors qu’il était revenu en CART.

2005 – Montoya et McLaren, ou l’alliance improbable des contraires

Arrivé en 2001 comme une furie dans le grand cirque de la F1 après deux saisons spectaculaires en CART, Juan Pablo Montoya suscite rapidement toutes les convoitises. Jalousement gardé par Williams, il est annoncé partout. En 2003, alors que la Williams devient en cours de saison la meilleure monoplace du plateau, le colombien se brouille avec son team qui refuse de le privilégier face à son équipier Ralf Schumacher dans la lutte pour le titre mondial. Chose rare, le transfert de Montoya chez McLaren pour 2005 est annoncé…dès 2003 ! Une situation un peu humiliante pour David Coulthard, dont le remplacement est annoncé très précocement, et qui plomba l’ambiance et la motivation de Montoya chez Williams pour 2004. Le colombien arrive donc bel et bien à Woking, en faisant équipe avec Kimi Raikkonen. Après un début de saison mitigé, Montoya est victime d’une blessure à l’épaule qui a de lourdes conséquences sur ses relations avec Ron Dennis. Tandis que la version officielle évoque une glissade lors d’une partie de tennis, des rumeurs évoquent un accident en quad ou moto-cross, ce qui n’aurait pas plu du tout au très strict patron de McLaren qui commence à douter du professionnalisme du colombien.

La blessure arrive au pire moment, alors que la McLaren devient clairement la voiture à battre et que Raikkonen commence à en tirer tout le potentiel. Revenu en Espagne avec des douleurs consécutives à sa blessure, Montoya subit même l’humiliation de se faire prendre un tour par le finlandais. Ce n’est qu’à partir de la mi-saison que le colombien commence à délivrer son potentiel, ce qui lui permet de décrocher 3 belles victoires en Angleterre, au Brésil et en Italie où il accomplit une fin de course héroïque avec des pneus en train de se déchiqueter. Montoya cependant se fait remarquer par son irrégularité et sa propension à se retrouver dans des mauvais coups. Il fait ainsi perdre beaucoup de points à McLaren qui aurait sans doute décroché le titre constructeur et finit avec quasiment la moitié de points inscrits par rapport à Raikkonen.

Cette première saison est donc mitigée car, en dépit de beaux succès et d’une pointe de vitesse jamais démentie, le colombien, au tempérament latin et à l’approche assez décontractée, ne cadre pas avec l’environnement strict, clinique et très anglo-saxon de McLaren. Montoya subit un camouflet plutôt cinglant lorsque McLaren annonce fin 2005 le transfert d’Alonso pour 2007 et sa volonté de conserver Raikkonen. McLaren indique donc clairement au colombien qu’il ne fait plus partie des plans de l’écurie à moyen terme, ce qui va affecter fortement sa saison 2006. La voiture est déjà moins performante qu’en 2005 et, hormis deux podiums à Imola et Monaco, Montoya cumule les mauvaises performances, desservi il est vrai par des stratégies d’essence rarement à son avantage. Montoya percute son équipier Raikkonen au départ du Grand prix des Etats-Unis, achevant la patience de Ron Dennis et annonce par surprise dans la foulée son départ vers la NASCAR avec le Chip Ganassi Racing. Il est ainsi mis à pied sur le champ par Dennis, qui montrera une certaine rancune en retardant les débuts de Montoya en Nascar, prétextant que son contrat courait jusqu’à la fin de l’année 2006. Le bilan de Montoya chez McLaren fut ainsi très mitigé, la sauce n’ayant jamais prise entre un pilote et une écurie aux mentalités très différentes.

2008 – Nelson Piquet Jr et Renault, le nom ne fait pas tout !

Auréolé d’un titre de F3 Britannique en 2004 et d’une place de vice-champion GP2 en 2006 derrière un certain Hamilton, Nelson Piquet Jr est pris sous l’aile de Flavio Briatore, directeur de Renault F1 Team mais aussi manager de plusieurs pilotes, dont Alonso, Webber et Trulli. Placé comme pilote d’essai en 2007 chez Renault, Piquet Jr hérite en 2008 du baquet laissé libre par Heikki Kovalainen, parti chez McLaren. Débutant aux côtés de Fernando Alonso, le brésilien est rapidement dépassé par son chef de file et accumule les contre-performances. Une seconde place opportune en Allemagne lui permet de sauver sa tête mais sa fin de saison, marquée par le fameux crash de Singapour qui restera dans les annales, est assez piteuse. Piquet est néanmoins reconduit pour 2009. La Renault est certes une voiture complètement loupée mais Alonso parvient à décrocher quelques résultats probants, tandis que le jeune brésilien sombre littéralement, avec comme meilleur résultat une maigrelette 10e place à Bahreïn. Piquet Junior est limogé au cours de l’été et se venge en fin d’année, divulguant à la FIA et aux médias la préméditation de son crash de Singapour, commanditée par Briatore et Pat Symonds pour favoriser la victoire d’Alonso.

2009 – Luca Badoer et Ferrari, un cadeau empoisonné

Cette « erreur de casting » n’en est pas vraiment une dans la mesure où il ne s’agit pas à proprement parler d’un recrutement et qu’il a été imposé par la force des choses. Après plusieurs saisons à végéter en fond de grille dans des écuries moribondes, le champion de F3000 1992 est recruté par Ferrari en 1998 pour devenir pilote essayeur. En 1999, il court pour Minardi mais subit l’affront de ne pas être choisi par Ferrari pour suppléer Michael Schumacher, blessé au Grand prix d’Angleterre, Jean Todt ayant préféré confier le remplacement au finlandais Mika Salo. Sans volant pour la saison 2000, Badoer consacre sa carrière à son rôle de pilote d’essais Ferrari qu’il conserve pendant plus de 10 ans. En 2009, Felipe Massa se blesse aux qualifications du Grand Prix de Hongrie. Une nouvelle fois, la Scuderia n’envisage pas dans un premier temps de remplacer le brésilien par Badoer, préférant faire revenir Michael Schumacher. Mais ce dernier doit déclarer forfait suite à des douleurs au cou liées à des accidents en Moto, ce qui pousse la Scuderia, dans l’urgence, à aligner Badoer pour le GP de Valence. Son retour frise alors le ridicule. N’ayant pas été engagé en course depuis 10 ans, l’italien trouve toutes les peines du monde à piloter correctement. Qualifié bon dernier à plus d’une seconde et demie de l’avant dernier ( !), Luca termine dernier à 1 tour après avoir enchaîné les têtes à queue. A Spa, les performances de l’italien ne s’arrangent guère. Face à la colère des tifosis et aux railleries, la Scuderia écarte définitivement Badoer qui est à son tour remplacé par Fisichella.

Photos: wikimedia commons, McLaren

(3 commentaires)

  1. Concernant Mickaël Andretti, le plus gros souci aura été son refus de déménager en Europe: faire la navette depuis les US pour des séances d’essais et bosser avec les ingénieurs, l’échec était assuré d’avance.

    Concernant Ivan Capelli, j’avais lu une interview récente de sa part où il raconte son épopée 92. Il garde pas mal d’amertume et essaye de se dédouaner en partie sur Alési: en résumé Alési disait que la voiture avait du potentiel et lui qu’elle était ratée, c’est Jean Alési qui aura été écouté. Faut avouer que la voiture était très innovante avec son double fond plat et que la fiabilité très aléatoire de la machine la rendait difficile à évaluer. Mais la réalité de la course, c’est qu’il est passé sous le rouleau compresseur français.
    A force de tergiverser, Ferrari a totalement changer de concept en 93 pour produire une véritable voiture catastrophique.

    Mansell a bénéficié en 92 d’une voiture taillée pour lui de toute pièce: à égalité voir un peu moins rapide que Patrese en 91, il l’écrase en 92 grâce à une voiture très physique qui réclamait un pilotage bourrin à souhait, en accord total avec sa personnalité. Son caractère bien trempé était connu, mais pour ma part j’ignorai son côté Diva. En même temps j’avais lu sur un site anglais que chez Ferrari c’est lui qui réglait la voiture pour Prost, que Prost ne savait pas régler un châssis. lol.

    Montoya chez McLaren était franchement une erreur: un pur latin avec Ron Dennis… juste incohérent. La vitesse, le talent et l’inspiration générale de Montoya en course tenait du génie: il lui a juste manqué la voiture et l’équipe pour s’exprimer franchement. Une Ferrari numéroté 27 lui aurait été comme un gant.

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