Rétro F1 25 ans déjà : Hongrie 1998, la leçon stratégique du tandem Brawn-Schumacher

McLaren écrase tout…

Début 1998, McLaren assomme le championnat avec une MP4/13 redoutable, signée Adrian Newey, une monoplace très efficace autant dans sa tenue de route, bien aidée par les pneus Bridgestone, que dans sa vélocité grâce à un très puissant V10 Mercedes. Certes, les fameux « freins directionnels », cette troisième pédale magique que Mika Hakkinen et David Coulthard utilisaient en début de saison, qui fut incriminée comme étant un antipatinage déguisé, a été interdite dès le grand prix du Brésil, mais la domination des flèches d’argent s’est poursuivie, seulement contrariée par une fiabilité incertaine.

Puis Ferrari se ressaisit !

Toutefois, dans le courant de la saison, la situation semble s’inverser. Michael Schumacher, au volant d’une Ferrari F300 revigorée, s’impose au Canada, en France et en Angleterre à Silverstone, dans des conditions rocambolesques, puisque l’allemand gagne la course en passant la ligne d’arrivée dans les stands pour…purger une pénalité de stop and go, dont il s’acquitte une fois le drapeau à damier franchit ! Une énorme polémique éclate, mais la FIA s’est plantée car les commissaires ont signifié la pénalité à Ferrari trop tardivement, au-delà du délai légal exigé. Hakkinen se refait ensuite une santé en s’imposant ensuite en Autriche et en Allemagne.

Schumacher bloqué derrière les flèches d’argent

En Hongrie, McLaren et Ferrari arrivent ainsi dans un contexte tendu, où chacun fourbit ses armes et manie l’intox avec maestria. Ferrari et McLaren s’accusent mutuellement d’utiliser des artifices électroniques illégaux, quand Ron Dennis de son côté balance dans la presse l’existence de négociations entre McLaren et Schumacher pour un transfert, qui aurait capoté à cause des exigences mirobolantes du pilote allemand.

Les McLaren-Mercedes dominent les qualifications. Häkkinen réalise sa huitième pole position de la saison (1’16 »973 »’). Coulthard (2ème) concède moins de deux dixièmes à son équipier. Muni des pneus durs, M. Schumacher place sa Ferrari au troisième rang.

Le premier tiers de course est un round d’observation. Hakkinen conserve la tête devant son équipier Coulthard et Michael Schumacher, mais les Mclaren semblent rapidement en délicatesse avec les gommes tendres tandis que les pneus durs se dégradent moins. Schumacher s’arrête le premier parmi le trio au 25e tour mais, gêné par Villeneuve qui n’est pas encore passé aux stands, il ne réussit pas l’undercut et Coulthard ressort des stands devant lui quand il s’arrête à son tour au 27e passage. Sur l’instant, Schumacher pense que Ferrari a foiré sa stratégie. C’est à ce moment que Ross Brown décide de basculer sur une stratégie à trois arrêts, et le stand en informe son pilote.

Vers le 40e tour, Hakkinen est toujours en tête et essaie d’attaquer car il sait que son rival n’est pas loin, mais il rencontre des problèmes d’amortisseur qui affecte la dégradation de ses pneus et pénalise son rythme de course. En effet, Coulthard n’est qu’à 3 secondes et Schumacher, blotti dans la boîte de vitesses de l’écossais, à 3.6 secondes du finlandais. Néanmoins, malgré son rythme supérieur sur le papier, peu de chances pour Schumacher de doubler Coulthard à la régulière sur le tourniquet hongrois.

Attaque totale…à la limite !

Au 43e tour, Schumacher repasse par les stands mais effectue un arrêt très court car on a rajouté de l’essence seulement pour un court relais. L’Allemand adopte un rythme très soutenu dès sa sortie des stands si bien qu’au tour suivant, quand Coulthard s’arrête, il ressort cette fois-ci derrière la Ferrari. Le bouchon a sauté. Au 46e tour, le leader Hakkinen stoppe à son tour, mais en ressortant des stands, Schumacher est également passé et a la voie libre. Néanmoins, alors que le pilote finlandais ira au bout sur cet ultime relais, Schumacher doit encore passer une fois par les stands.

C’est là que la stratégie de Ross Brown entre en jeu : Michael Schumacher doit désormais  effectuer un relais en attaque totale, enchainer une vingtaine de tours de qualifications afin de creuser un écart suffisant sur les McLaren pour s’arrêter une 3ème fois tout en conservant la tête.

Schumacher s’exécute. Rien que sur le 48e tour, il prend3 secondes aux flèches d’argent ! Au 51e tour, son avance est déjà montée à 13 secondes.

Au 52e tour, patatras ! M. Schumacher frôle la correctionnelle. Il dérape dans la dernière courbe et sort dans l’herbe mais il garde la maîtrise de la Ferrari et regagne la piste en un rien de temps. Dans le même temps, Häkkinen rencontre des vibrations à l’avant-droit et laisse passer son équipier Coulthard. Au 53e tour, l’écart entre Schumacher et l’écossais est de 15 secondes, malgré la péripétie du tour précédent.

 

Au 60e tour, Schumacher claque le record du tour et a construit un matelas de 25 secondes sur Coulthard. Au 62e passage, la Ferrari s’arrête au stand, effectue un court ravitaillement et ressort avec 6 secondes d’avances sur la McLaren. Pari réussi. Pendant ce temps, Hakkinen, confronté à des soucis d’amortisseur et de fuite d’huile, recule au classement et termine de justesse 6ème.

Coup de maître tactique

Schumacher passe la ligne d’arrivée en vainqueur, la 32e victoire de sa carrière, devant une foule de tifosis en délire. Ferrari inflige une défaite tactique magistrale à McLaren, qui s’est fourvoyée en choisissant les pneus tendres et en laissant Coulthard bloqué trop longtemps derrière un Hakkinen diminué. Mais cette victoire, pensée en amont par le stratège Ross Brawn, n’a pu être possible que grâce au talent de Schumacher, qui délivre ici l’une des plus belles prestations de pilotage de sa carrière.

« Après mon second ravitaillement, je me suis encore retrouvé derrière Coulthard. Puis, il s’est arrêté, et Häkkinen aussi. Moi, je ne comprenais toujours rien. J’avais des pneus frais, très peu d’essence, j’attaquais comme un fou ! J’ai appelé la radio, et c’est seulement à ce moment-là que j’ai compris que Häkkinen était derrière moi. J’ai commis une petite faute, alors je me suis calmé un peu. Mais Ross Brawn m’a rappelé pour me dire qu’en vue de mon troisième arrêt, je devais construire une avance de 25 secondes. J’ai dit : O.K., et je suis passé au pilotage de rallye. J’attaquais partout. La suite ne m’a posé aucune difficulté particulière. Je ne pouvais pas rêver plus beau résultat ! »

Ferrari refera un coup spectaculaire en 2004, avec une stratégie à 4 arrêts lors du grand prix de France pour battre Renault et Alonso. Ah le bon vieux temps, quand Ferrari donnait des leçons de stratégie à tout le monde…

Un commentaire

  1. « A l’époque des ravitaillements en essence, les options stratégiques étaient vastes »
    Faut ajouter aussi, à l’époque où les outils de simulation étaient peu efficaces: car les ravitaillements, c’est bien ce qui a tué tout suspens les années qui ont suivi. Les ravitaillements étant très longs, ils gommaient tout effort de rapidité dans les stands et les possibilités de dépassement qui vont avec.

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