Rétro 70 ans déjà : la première victoire de Mercedes en F1

Après deux saisons de transition en formule 2 dominées par la Scuderia Ferrari, le championnat du monde a introduit une nouvelle réglementation de la formule 1 (moteur 2500 cm3 atmosphérique ou 750 cm3 suralimenté, carburant libre). Maserati utilise depuis le début de saison la nouvelle 250F avec laquelle Juan Manuel Fangio a brillamment remporté les Grands Prix d’Argentine et de Belgique. La Scuderia Ferrari n’affiche plus la même supériorité que les saisons précédentes, partageant ses forces entre une nouvelle 553 pas du tout fiable et la 625, dérivée de la formule 2. Seul constructeur français en lice, Gordini dispose quant à lui de moyens trop limités pour espérer inquiéter les cadors.

Le retour des flèches d’argent

L’épreuve de Reims marque surtout le retour très attendu de Mercedes en Grand Prix, le constructeur allemand ayant développé une monoplace bénéficiant de techniques très modernes. Après avoir été un temps privée de compétitions internationales au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne revient sur le devant de la scène. Mercedes se pose en porte-étendard de ce renouveau industriel et économique, alors que la Guerre froide bat se plein et que le pays a été coupé par le rideau de fer en deux états idéologiquement antinomiques, la RFA et la RDA. Les activités de sport automobile de Mercedes-Benz ont repris d’abord en Argentine en 1951, dans une Amérique latine plus conciliante, en ressortant la W154 de 1939 dans différent grands prix locaux. En 1952, Mercedes-Benz connaît un succès sensationnel avec la voiture de sport 300 SL W194 qui remporte la Carrera Panamericana, qui donne naissance cette même année 1954 à la version de route.

Long de plus de huit kilomètres, le circuit de Reims-Gueux comporte de longues lignes droites permettant des vitesses très élevées, favorisant le phénomène d’aspiration et les courses en peloton. En 1953 les meilleurs tours avaient été accomplis à 186 km/h de moyenne. Plus puissantes, les nouvelles formules 1 devraient se montrer nettement plus performantes sur cette piste rapide. Les établissements Pommery, producteurs de champagne, ont d’ailleurs promis une récompense de cinquante bouteilles au premier coureur à atteindre la moyenne horaire de 200 km/h !

La W196 ringardise la concurrence

Pour son retour en Grand Prix, le constructeur allemand a conçu une monoplace très moderne, la  W196, qui dispose d’une carrosserie enveloppante et très proifilée (Cx de 0,43), spécialement adaptée aux circuits rapides. Le moteur est un huit cylindres en ligne alimenté par injection directe donné pour 260 chevaux à 8250 tr/min, permettant une vitesse de pointe de l’ordre de 290 km/h, contre 270 pour les Ferrari et Maserati. La W196 bénéficie d’excellentes accélérations, grâce à une boîte de vitesses ZF à cinq rapports parfaitement étagés contre quatre pour ses concurrentes italiennes. Si le meeting de Reims constitue sa première apparition publique, la nouvelle Mercedes a toutefois effectué, depuis mars, de nombreux kilomètres en essais privés, aux mains de Karl Kling, Hans Herrmann et de l’ingénieur Uhlenhaut.

La nouveauté de la W 196 était l’injection directe d’essence, bien qu’une version à carburateurs ait été testée également. Göschel, qui avait conçu en collaboration avec Bosch le système d’injection pour le moteur à deux temps de la « Gutbrod Superior» (1951), la première injection d’essence standard , joua un rôle clé dans le développement du système d’injection de la W 196 en 1953/54.

Le châssis de la W 196 se composait d’un cadre classique spatial tubulaire. Pour réduire les masses non suspendues, les grands freins à tambour (diamètre de 350 mm à l’avant et de 275 mm à l’arrière) étaient situés à l’intérieur des roues, et également à l’extérieur avec un empattement raccourci à l’avant (1955). Les panneaux de carrosserie de la W 196, initialement formés à la main sur des blocs de bois, étaient en magnésium et en aluminium. Plus tard, les pièces en tôle ont été réalisées avec des moules métalliques.

Qualifications record

Dès le mercredi, première journée des essais, Juan Manuel Fangio démontre immédiatement le potentiel de la W196 et frappe un grand coup : dès son quatrième tour lancé, il franchit la barre fatidique des 200 km/h de moyenne avec un temps de 2 min 29 s 4, s’adjugeant les cinquante bouteilles de champagne offertes par Pommery au premier pilote à réaliser cet exploit. Fangio a amélioré son propre record de près de douze secondes ! Même si ses coéquipiers Karl Kling et Hans Herrmann ne parviennent à approcher son temps, les Mercedes se placent d’emblée en favorites, leur vitesse de pointe (290 km/h) se révélant un atout déterminant sur les longues lignes droites champenoises.

Les jours suivants, personne n’approche les Mercedes et encore moins le chrono de Fangio. Ascari, sur Maserati, est 3e à 1 seconde et José Froilán González, le plus rapide des pilotes Ferrari, se qualifie en quatrième position. Très à l’aise au cours des essais, le Prince Bira est le meilleur des privés, se qualifiant sixième au volant de sa 250F personnelle, devançant la Mercedes d’Herrmann et les Ferrari de Mike Hawthorn et Maurice Trintignant.

Malgré la nette supériorité affichée aux essais par ses voitures, l’équipe Mercedes-Benz connaît des soucis de surconsommation. Afin d’éviter un ravitaillement en course, l’usine a fabriqué en urgence le samedi des réservoirs auxiliaires, acheminés dans la soirée puis montés in extremis sur les trois monoplaces pour la course. Une autre époque !

Course : la démonstration et la fiabilité

Le départ est donné devant 100.000 spectateurs. Au baisser du drapeau, les deux Mercedes-Benz de Juan Manuel Fangio et Karl Kling laissent leurs adversaires sur place et comptent déjà plusieurs longueurs d’avance sur les Ferrari de José Froilán González et Mike Hawthorn en passant devant les tribunes.

González, prenant tous les risques, parvient à recoller aux deux Mercedes, mais se fait irrémédiablement distancer à la faveur des longues lignes droites du circuit. Au cours du troisième tour, Fangio s’empare du commandement, mais ne cherche pas à distancer Kling. la troisième Mercedes pilotée par Hans Herrmann. Ce dernier, après un départ moyen, pousse à fond sa machine; il vient d’accomplir un tour à plus de 195 km/h et cherche à revenir sur les hommes de tête. Au cours du quatrième tour, il dépasse Marimon, au suivant Hawthorn, et revient rapidement Les moteurs souffrent et les éliminations s’enchaînent, puisque la course va se terminer avec 6 voitures !  

Fangio et Kling commencent à réduire leur cadence et s’échangent la tête assez régulièrement tandis que Herrmann, le 3e pilote Mercedes, continue sur un rythme extrêmement soutenu mais doit également abandonner suite à un surrégime ayant eu raison de son moteur. L’apparition de la pluie permet à Fangio de faire la différence sur Kling. Au stand Mercedes, on demande à l’agrentin de lever le pied afin de permettre à son coéquipier Kling de le rejoindre, et c’est pratiquement côte à côte que les deux Flèches d’Argent franchissent la ligne d’arrivée, avec une avance considérable sur leurs concurrents (le 3e, Robert Manzon, est à 1 tour), le champion argentin emportant la course pour 1/10 de seconde.

Fangio remporte ensuite les courses d’Allemagne, de Suisse et d’Italie, coiffant son 2e titre mondial. C’est le prélude à une domination écrasante qui se confirmera en 1955 avec le duo Fangio-Moss, mais qui ne perdurera pas au-delà, la catastrophe du Mans poussant alors Mercedes à se retirer du sport automobile. L’étoile ne reviendra en F1 qu’en 1993 !

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