Sur une piste s’asséchant après un début de course disputé dans des conditions détrempées, François Cevert est à la bagarre avec Jody Scheckter mais dans le virage de Clayton, le sud-africain ne laisse pas de place au français et les deux voitures s’accrochent. La Tyrrell de Cevert se pulvérise contre les rails de sécurité. Le français, boitillant, est furieux et en vient aux mains avec Scheckter. Les commissaires sont obligés de les séparer. Le virage est jonché de débris, une dépanneuse et deux ambulances sont envoyées en piste.
La montée en puissance des revendications sécuritaires
La situation devient confuse. C’est alors que surgit en piste une Porsche 914 orange. Kezako ? Une safety- Car ! Pour la première fois dans l’histoire de la F1, une voiture de sécurité entre en piste. Si son usage est bien connu aux Etats-Unis, sa première apparition datant de 1911 lors des 500 miles d’Indianapolis, la F1 n’y a jamais eu recours, jugeant ce procédé comme un élément purement américain qui dénature la course en relançant artificiellement la compétition en gommant les écarts.
Sauf que, lors du grand prix de Zandvoort de la même année, le monde entier a été choqué de voir la mort en direct de Roger Williamson, prisonnier de sa voiture en flammes, incapable d’être secouru par des commissaires de piste tétanisés, pas équipés pour faire face au feu, alors même que la course continuait sans neutralisation, les autres F1 continuant de passer à côté à toute vitesse, laissant le pauvre et désespéré David Purley, seul pilote s’étant arrêté, batailler seul et en vain pour sauver l’infortuné pilote. En ce début des années 70, les drames se multiplient, les pilotes – avec Jackie Stewart en figure de proue – haussent le ton et la médiatisation croissante du sport rend de plus en plus difficile à gérer les drames qui se multiplient en piste. Ilf aut agir.
Pagaille aux stands et erreur de la direction de course !
Problème, la gestion de la voiture de sécurité va s’avérer très compliquée, et pourtant Michael Masi n’était pas là ! La Porsche 914 est pilotée par le canadien Eppie Wietzes, épaulé par Peter MacIntosh, secrétaire de la FOCA, qui est en liaison avec la direction de course. La Porsche est censée attendre le leader Jackie Stewart et de se placer devant lui, mais l’Ecossais est bloqué aux stands. Deux tours plus tôt, Stewart était déjà rentré pour faire enlever un papier logé sur l’un de ses pneus, et il avait roulé sur les pieds d’un de ses mécanos en repartant.
Revenu aux stands pour cette fois-ci changer de gommes, il est bloqué à cause d’un moyeu récalcitrant ! Comme il tarde à arriver et que plusieurs voitures sont passées, dont Beltoise, Oliver et Revson, la voiture de sécurité reçoit l’ordre de se placer devant la voiture n°25, celle de Howden Ganley. Le néo-zélandais n’est pas un manche, mais il ne pilote qu’une pauvre Iso-Marlboro. L’équipage de la Porsche s’étonne qu’une simple Iso soit en tête, mais la direction confirme que le Néo-Zélandais est le leader…alors qu’il est seulement huitième !
Pas de GPS à l’époque ou de chronométrage sophistiqué automatisé ! Les chronos et les tours par tours sont réalisés manuellement, par une armée de petites mains, officiels comme membres des équipes de course (et parfois même les dames de ses pilotes) qui, chronographe mécanique en main, sont chargés de relever les informations ! La pluie n’a pas facilité les choses, mouillant les feuilles et rendant l’identification des voitures délicates. Les arrêts aux stands, rendus très nombreux par le changement des conditions de piste et le passage aux slicks, provoquent une certaine confusion auprès de la direction de course mais aussi des équipes.
Contrairement à aujourd’hui, les arrêts sont rares à l’époque et ne sont pas des rituels réglés au millimètre comme du papier à musique. Et ils ne s’effectuent pas en 2 ou 3 secondes mais peuvent prendre bien plus de temps ! Pas de communication radio non plus ! Alors quand la voie des stands de Mosport, petite et étroite, est envahie par un « rush » des pilotes simultanément, c’est une joyeuse pagaille qui règne. Certains pilotes « stationnent » derrière leur équipier déjà arrêté au « box », et d’autres préfèrent même repartir et refaire un tour ! Le tour par tour se retrouve ainsi truffé d’erreurs et bien différent d’une équipe à l’autre.
Sortez l’aspirine, qui mène ce joyeux b***** ?
Beltoise, Oliver et Revson, qui occupent les trois premières places, sont donc loin devant la Safety Car et poursuivent leur chemin. Au cours du 36e tour, les voitures se rangent derrière la voiture de sécurité. Beltoise, Oliver et Revson ont fini par regagner le peloton qui suit Wietzes mais à cause de l’erreur de la direction de course, ils ont ainsi gagné presque un tour d’avance sur leurs concurrents.
Au 45e tour, la voiture de sécurité regagne les stands et la course est relancée. Personne ne connait le véritable classement. Ganley mène le peloton et joue son va-tout, puisqu’après tout la direction le considère comme le leader. Avec son Iso, cela semble peine perdue en ayant Stewart et Fittipaldi à ses trousses, mais le néo-zélandais se surpasse. Il roule plus vite que lors des qualifications et résiste pendant deux tours aux cadors, avant de lâcher naturellement prise. Ganley finira finalement 6ème…mais était-ce vraiment sa place ? Son épouse Judy, papier du tour par tour en main, prétendra qu’il était 3ème.
Alors que Peter Revson, « vrai » leader, s’échappe et creuse l’écart sur ses poursuivants, Fittpaldi effectue une remontée phénoménale sur Beltoise et Oliver, leur reprenant près de 40 secondes. Dans l’avant-dernier tour, le brésilien passe l’anglais et le français. Colin Chapman, patron de l’écurie Lotus, est quant à lui convaincu qu’Emerson Fittipaldi est en tête et qu’il va gagner la course. Chapman s’approche de la ligne d’arrivée et fait son rituel habituel avec la casquette qu’il jette sur la piste, mais quand la Lotus franchit la ligne d’arrivée, le drapeau à damier n’est pas agité ! Le starter attend quelques secondes et le montre finalement devant un groupe serré de quatre voitures. Une confusion monstre règne dans la pitlane. Qui a donc gagné cette course ?
Un rendez-vous manqué
Trois pilotes, Peter Revson, Emerson Fittipaldi et Jackie Oliver, sont convaincus d’avoir décroché la victoire. Les patrons de écuries s’énervent et les officiels reçoivent des feuilles de tour par tour bien différentes. Ces derniers refont la course, tour par tour, comparant leurs informations à celles de équipes, dans un climat très tendu et colérique. Après quatre heures de palabres, Peter Revson est finalement déclaré vainqueur devant Fittipaldi et Oliver. Le Français Jean-Pierre Beltoise est classé quatrième devant Jackie Stewart et Howden Ganley aux commandes d’une Iso-Marlboro IR-Ford, ces deux derniers ayant terminé à un tour du vainqueur.
Ce classement confus n’eut pas d’incidence sur les enjeux du championnat du monde. Néanmoins, la F1 se passera pendant 20 ans d’une Safety-Car, appelée ainsi pour la distinguer du « pace car », terme usité en Amérique du Nord. Elle refait son apparition en 1993 lors du grand prix du Brésil disputé sous le déluge. A cette époque, chaque organisateur est chargé de fournir la SC, ce qui donne lieu à quelques surprises : une Fiat Tempra à Interlagos, une Opel Vectra lors du funeste grand prix d’Imola 1994, une Clio Williams en 1996 ! Les voitures sont trop lentes et les pilotes se plaignent de la chute des températures en restant derrière des véhicules trop peu véloces. Il faudra attendre 1997 pour que la Safety-Car soit officialisée et garantie par la FIA, avec le début du partenariat Mercedes AMG.