Champions du monde chez Ferrari : à quitte ou double !

Ce rêve en rouge présente aussi des contreparties. Il faut avoir les épaules et la tête assez solides pour supporter ce poids de l’histoire, cet héritage à perpétuer, ainsi que cette pression unique exercée par les tifosis et les médias italiens. Sur les 9 pilotes qui ont eu l’honneur de décrocher un titre mondial avec Ferrari, seuls deux l’avaient déjà acquis dans leur carrière avant d’endosser la tunique rouge : Juan-Manuel Fangio et Michael Schumacher. D’ailleurs, l’Allemand, par la longévité de son partenariat (10 ans) et l’ampleur du palmarès acquis avec Ferrari, fait presque office d’exception, car les relations entre Ferrari et les champions du monde ont souvent été capricieuses…

Ils s’y sont cassé les dents

Alain Prost a dit « camion »

épuisé et dégoûté par l’ambiance délétère provoquée chez McLaren par sa rivalité exacerbée avec Ayrton Senna, le français, qui fut longtemps la bête noire des tifosis, arrive chez Ferrari en sauveur. La première saison, en 1990, est prometteuse, avec 5 victoires et un titre manqué à cause de l’assaut kamikaze de Senna à Suzuka. Mais déjà, si Prost a mis sous l’éteignoir son équipier Mansell et contribué, par son expertise, à faire de la Ferrari 640 une excellente machine, l’intromission du français dans la « politique » de l’écurie et sa volonté d’avoir les coudées franches vont dresser un mur contre lui. Ferrari est miné de l’intérieur par les querelles de pouvoir et la guerre des clans. Prost se brouille avec Cesare Fiorio et se met à dos la presse italienne, souvent hostile à son encontre. En 1991, le ratage complet de la 643 rajoute de l’huile sur le feu, jusqu’au fameux grand prix du Japon 1991, où Prost compare sa monoplace à un « camion ». Amplement relayé par la presse, cette déclaration est la goutte d’eau pour Ferrari, qui licencie sur-le-champ le français, viré comme un malpropre !

Fernando Alonso, le fier ibère

Tout avait bien commencé pour Fernando Alonso, qui sortait, comme Ferrari, d’une saison 2009 frustrante. Auréolé de ses deux titres avec Renault en 2005 et 2006, le « taureau des Asturies » est une recrue de choix, avec gros sponsor et gros salaire. Première course à Bahreïn et première victoire ! Par deux fois, l’espagnol rate de peu le titre mondial en 2010 et 2012. A partir de 2013, la Ferrari décline en performances et les relations se crispent entre Alonso et Stefano Domenicali, ce dernier étant finalement limogé. En 2014, Ferrari rate le virage de l’hybride et subit la loi de Mercedes. En plus d’être très moche, la F14T est lente, condamnant Alonso à un long chemin de croix. L’espagnol se répand de plus en plus en critiques acerbes dans les médias et semble ne plus croire en la capacité de Ferrari à retrouver le sommet. Les critiques sont mal vécues par le personnel, la rupture est consommée fin 2014, quand l’espagnol s’engage avec Mclaren et Honda, pour ce qui fut un chemin de croix encore plus douloureux !

Sebastian Vettel, spin doctor

Avec 14 victoires, l’Allemand est à ce jour le 3e pilote le plus victorieux avec Ferrari et fait mieux que Alonso en cinq saisons complètes. Il y a pire ! Pourtant, le bilan laissera un goût amer. Après deux premières années passées dans l’ombre de Mercedes, Ferrari relève la tête en 2017. Vettel peut encore titiller Hamilton au championnat avant que le départ chaotique de Singapour ne mette les deux Ferrari au tapis et permette à l’anglais de s’imposer, alors que la Mercedes y était inférieure.

En 2018, ça part encore mieux avec deux succès en ouverture de saison. Mais en Allemagne survient sans doute le tournant de l’ère Vettel chez Ferrari, quand l’Allemand sort tout seul comme un grand sous la pluie alors qu’il a la course en main. Quelque chose s’est-il brisé ? Fébrile, Vettel enchaîne alors les bourdes et têtes à queue: Monza, Japon, Etats-Unis. La presse commence à le critiquer et sa position se fragilise, quand bien même Ferrari le soutien encore.

En 2019, rebelote. Vettel est toujours gaffeur,  craque  sous la pression contre Hamilton à Bahreïn et subit la montée en puissance de son équipier aux dents longues, Charles Leclerc. Les stratégies de course créent des remous et, surtout, Vettel voit bien que Ferrari ne jure plus que par le jeune monégasque à l’avenir. L’accrochage du Brésil agit comme un catalyseur d’une accumulation de crispations et de couacs. Si Vettel n’a pas été aussi acrimonieux qu’un Alonso ou qu’un Prost, sa cote a chuté. Finalement, les discussions n’ont pas abouti à une prolongation de leur association. Encore un champion qui quitte Ferrari sur une déception.

Champions, mais dans l’amertume

Niki Lauda, pour venger l’affront

Quand l’autrichien arrive chez Ferrari en 1974, son palmarès est encore bien maigre. Le doute l’emporte largement sur l’enthousiasme quant au bien fondé de son recrutement. Mais Lauda fait rapidement taire les sceptiques et, grâce à la fabuleuse 312 T1 de Mauro Forghieri, domine une saison 1975 où il acquiert son surnom, « l’ordinateur ». En 1976, alors qu’il est sur une voie royale pour remporter un 2e titre, tout bascule avec l’accident du Nürburgring et ses terribles séquelles physiques. Touché dans sa chair, Lauda l’est aussi dans son honneur quand Ferrari  ^réfère lui imputer la responsabilité du crash à cause d’une faute de pilotage et doute ouvertement de sa capacité à revenir. Présent sur la grille de départ de Monza seulement 3 semaines après le drame, Lauda force l’admiration mais Enzo Ferrari ne digère pas son retrait volontaire sous le déluge du Japon, qui offre le titre à James Hunt.

Pour 1977, Ferrari recrute Carlos Reutemann et fait clairement de Niki Lauda un numéro 2. Mais l’ordinateur, bien décidé à laver l’affront, surclasse tout le monde, alors même que l’ambiance au sein de la Scuderia est totalement délétère. En Italie, Lauda annonce son départ et s’attire les foudres de la presse transalpine et d’une partie des tifosis, au point d’avoir recours à des gardes du corps. Avant la dernière course du championnat, assuré du titre, Lauda claque la porte sans même terminer la saison. Ferrari ne félicite même pas l’autrichien pour son titre et purge l’équipe en virant son ingénieur et son chef-mécanicien. Fiat, de son côté, ne mentionne même pas Lauda dans sa communication commerciale pour fêter les titres. Malgré tout, après la mort d’Enzo Ferrari, Lauda renouera avec la Scuderia au début des années 90 en tant que consultant de luxe.

Fangio, l’incompatibilité d’humeur

Juan-Manuel Fangio avait prévu d’arrêter sa carrière fin 1955, suite au retrait de Mercedes. Sauf que la chute du président argentin Péron, dont il était le protégé, l’incite à reprendre le volant pour assurer ses arrières. Il trouve refuge chez Ferrari, pour qui il avait brièvement couru en 1949 et 1950 (dans des courses annexes) avant de faire le bonheur d’Alfa Romeo et Maserati. En 1956, Fangio obtient un 4e titre mais dans la douleur, en ayant recours à deux reprises au sacrifice de son équipier Peter Collins qui lui cède sa monoplace pour marquer des points (ce qui était permis par le règlement à l’époque).

Fangio et Ferrari ne s’apprécient pas du tout. Le premier, un brin paranoïaque, est persuadé que le Commendatore est prêt à saboter sa machine. Fangio justifie ses contre-performances par tel ou tel problème mécanique saugrenu, il soupçonne même un jour sa Ferrari d’être percée pour que la pluie s’infiltre ! Le second second trouve l’argentin trop ténébreux, difficile à cerner, fuyant. Sur fond de désaccords et de tensions, le couple Ferrari-Fangio ne survit pas à la saison 1956.

Avant-guerre, déjà tumultueux avec Nuvolari

Pour beaucoup, Nuvolari, c’est un peu le « Senna des années 30 ». Le virtuose du volant remporte le championnat d’Europe des pilotes 1932 avec Alfa Corse, qui se retire alors officiellement des grands prix. En 1933, le mantouan trouve refuge au sein de la Scuderia Ferrari qui engage des Alfa Romeo semi-officielles. Toutefois, les vieilles 8C du Biscione sont dépassées par les Maserati. Nuvolari en achète une et l’engage à titre privé, gagnant d’emblée à Spa. Il claque alors la porte de Ferrari.

En 1935, il est approché par Auto-Union mais Achille Varzi, son grand rival, déjà engagé par l’écurie allemande, s’oppose à son arrivée. Nuvolari reprend alors contact avec la Scuderia Ferrari, mais le Commendatore, rancunier, s’y refuse.  Il revient finalement sur sa décision, Mussolini en personne ayant intercédé en sa faveur. Cependant, malgré quelques exploits, Nuvolari ne peut que constater l’écrasante domination des flèches d’argent. Début 1938, lors du grand prix de Pau, le réservoir de son Alfa Romeo Tipo 308 explose. N’en pouvant plus, l’italien se jure de ne plus conduire pour eux et accepte une offre de Auto Union, bien content de le récupérer après avoir perdu tragiquement Bernd Rosemeyer. Malgré tout, à la mort de Nuvolari, Ferrari aura ces mots : « Nul n’a, comme lui, combiné une si haute sensibilité de la voiture à un courage presque inhumain » .

Images : Ferrari, Flickr, pinterest

(2 commentaires)

  1. « Pour l’écrasante majorité des pilotes, piloter pour Ferrari est un privilège »

    C’est surtout l’opportunité de surfer sur un nom qui fait saliver une écrasante minorité , se faire un nom avant de repartir chez quelqu’un qui nous permettra ENFIN de gagner une course avec une voiture potable et une stratégie de course qui n’est pas écris sur une feuille de PQ … ???

  2. Le plus gros souci de Ferrari est toujours le même depuis des lustres: Ferrari.
    Tout le monde s’en mêle, la presse commente et est trop écoutée, les services se tirent dans les pattes et se poignardent dans le dos…
    Bref c’est le bordel en interne et du coup difficile de se concentrer sur la course quand on dépense de l’énergie sur d’autres sujets

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