Rindt et Lotus, une entente pas cordiale
Étrange situation que celle de Jochen Rindt, quand il arrive à Monza, en septembre 1970. Solide leader du championnat après avoir enchaîné 4 victoires de rang à Zandvoort, Charade, Brands Hatch et Hockenheim au volant de sa redoutable Lotus 72, le protégé de Bernie Ecclestone (qui est alors son manager) n’est pourtant pas très serein. Les relations avec son patron, Colin Chapman, le directeur de Lotus, sont crispées, glaciales même. Conflit de caractères, certes, mais il faut dire aussi que la révolutionnaire Lotus 72, aussi rapide soit-elle, n’est pas très fiable et que sa fragilité mécanique a de quoi inquiéter. Lors de la course précédente, l’équipier de Rindt, John Miles, a réchappé par miracle à un gros crash sur l’Osterreichring, causé par une rupture d’un axe de frein…Lotus a la réputation de concevoir des monoplaces audacieuses et performantes mais également fragiles et donc dangereuses, surtout à cette époque. Le concept du « light is right », si cher à Colin Chapman, est poussé à son paroxysme. Et depuis le début de sa collaboration avec l’écurie britannique, Rindt a déjà essuyé pas mal de casses.
En fait, il faut remonter au grand prix d’Espagne 1969 pour retrouver les origines profondes de cette discorde. Rindt avait subi sur le circuit de Montjuich un énorme accident, causé par la rupture de l’aileron arrière de sa Lotus. Sa voiture, devenue folle, avait heurté violemment le rail avant de percuter à son tour…la Lotus abandonnée de son équipier Graham Hill, lui aussi victime quelques tours plus tôt d’un accident vraisemblablement lié à une casse d’aileron. L’écurie britannique avait introduit en F1 ces appendices aérodynamiques révolutionnaires mais leur manque de solidité les rendait très dangereux…ce qui ne semblait pas inquiéter Chapman outre mesure.
Victime d’une fracture du crâne et hospitalisé, Rindt avait eu cette phrase cinglante : « Stewart sera champion du monde. Son équipe construit des F1 qui ne se désintègrent pas. » Sur son lit d’hôpital, il avait aussi pris la peine d’écrire un courrier à Chapman, pour lui demander instamment de renforcer la solidité des Lotus: « Honnêtement, vos voitures sont tellement rapides qu’elles seraient toujours compétitives même avec quelques livres en plus afin de solidifier les pièces les plus fragiles. De plus, je crois que vous devriez passer un peu plus de temps à vérifier ce que font vos employés. Je suis convaincu que les triangles de suspension de la F2 auraient été différents. Réfléchissez bien à ma suggestion. Je ne peux conduire qu’une voiture en laquelle j’ai confiance. Et je sens que je suis sur le point de perdre toute confiance. » Depuis cet accident, Rindt n’a pu s’affranchir de cette méfiance. Les relations avec Chapman, que son épouse Nina Rindt ne supporte pas, se sont progressivement détériorées.
1970, la mort rôde
Malgré ses victoires, 1970 n’a pas été une belle année non plus, puisque Rindt a souffert de la perte successive de Bruce McLaren et surtout de son proche ami Piers Courage, décédé au grand prix des Pays-Bas dans un épouvantable accident où sa De Tomaso, dotée d’un châssis en magnésium, a été littéralement carbonisée. Victorieux ce jour-là, l’autrichien apprit le décès de son ami à la descente de voiture, et demeura figé sur le podium. Trop, c’était trop. Les accidents s’enchaînent vite en ces temps là, car la hausse des performances des voitures ne s’est pas accompagné d’un renforcement de la sécurité, ni des voitures, ni des circuits. Nina Rindt n’attend qu’une chose, c’est que son mari prenne sa retraite…et le titre qui se rapproche pourrait accélérer cette délivrance. Jochen Rindt y a sans doute songé aussi, et lui aurait fait la promesse, en cours de saison, de raccrocher son casque à très brève échécance.
Morituri te salutant*
Dans le paddock de Monza, le débat sur les ailerons refait surface et certaines équipes, afin de gagner de la vitesse de pointe, décident de les retirer de leurs monoplaces, quitte à avoir une voiture plus instable. C’est le choix que fait Jochen Rindt le vendredi, « le seul moyen d’aller vite sur ce toboggan » dit-il. L’autrichien semble pourtant satisfait après avoir mis le doigt su de bons réglages. En piste, lors des essais du vendredi, son équipier Miles se trouve dans le sillage de Rindt au niveau de la courbe Ascari et remarque que la Lotus 72, dépourvue de ses ailerons, louvoie énormément. Miles, qui a essuyé pas mal les plâtres chez Lotus et qui vient de se fracasser en Autriche, souhaite conserver les ailerons mais Chapman lui impose leur retrait, malgré son opposition.
Le samedi matin, tout le monde repart pour les derniers essais précédant les qualifications. Dennis Hulme, sur McLaren, voit le drame se dérouler sous ses yeux. Après avoir été doublé par la Lotus de Rindt, il l’a vu soudainement zigzaguer à l’approche de la Parabolique, sur la phase de freinage. L’hypothèse la plus probable – car les faits n’ont jamais été établis avec une absolue certitude – serait celle d’une défaillance des freins. La rupture d’un arbre de freins qui était creux, allégé pour gagner du poids…A pleine vitesse, Rindt perd le contrôle de sa voiture rendue très instable par l’absence d’ailerons. La Lotus louvoie puis fonce brutalement à gauche vers les rails de sécurité. Ceux-ci ont été montés trop haut et, facteur aggravant, un trou sous la barrière va accroître la gravité du choc. La monoplace s’encastre dedans puis heurte un poteau de soutènement. Le cockpit explose littéralement sous l’effet de la violente décélération, la Lotus effectue ensuite plusieurs saltos dans les dégagements de sable avant de s’immobiliser. Qui plus est, afin de se détacher plus vite en cas d’incendie, Rindt n’attachait que 4 des 5 boucles du harnais. La sangle libre s’enroule autour de son cou au moment du choc et lui inflige une grave blessure à la gorge. Quand les secours arrivent, il est déjà trop tard. Enfoncé dans son cockpit, les jambes dans le vide, l’autrichien est décédé. Bernie Ecclestone et Eddie Dennis, le chef mécanicien, arrivent dans la parabolique au pas de course, et trouvent au sol le casque de Rindt, une de ses chaussures…mais aussi un disque de frein.
Titre posthume
Le décès de l’Autrichien n’est officiellement prononcé que quelques heures plus tard. En effet, si Rindt avait été déclaré mort sur le circuit, le Grand Prix aurait été annulé afin de permettre à la police d’ouvrir une enquête. Cela ne vous rappelle rien ? Souvenez-vous, Roland Ratzenberger, à Imola, en 1994… Quant à Colin Chapman, craignant d’être inculpé, il quitta précipitamment l’Italie, même si les poursuites furent rapidement abandonnées. La nouvelle assomma le paddock mais tous les pilotes accueillirent cette funeste tragédie avec flegme. Ils savaient qu’ils étaient tous exposés à la grande faucheuse, et que celle-ci frappait souvent, sans prévenir. John Miles, écœuré et traumatisé, quitta Lotus avec effet immédiat.
Grâce à son confortable avance au championnat, personne ne fut en mesure de dépasser Jochen Rindt au classement, mais qui aurait eu envie de coiffer au poteau un mort pour décrocher le Graal ? A l’issue du dernier grand prix de la saison au Mexique, Lotus triomphe avec sa nouvelle vedette, Emerson Fittipaldi, qui empêche ainsi à Jacky Ickx de marquer suffisamment de points. Jochen Rindt devint ainsi officiellement, le 25 Octobre 1970, un mois et demie après sa mort, champion du monde de Formule 1. Il avait 28 ans.
* »ceux qui vont mourir te saluent », la phrase que les gladiateurs clamaient devant l’Empereur, avant de débuter leur combat.
Images : pinterest, f1facts
Horrible quelle tragédie 🙁
« Cela ne vous rappelle rien ? » >> En fait, c’est pratiquement le cas sur tous les circuits. En 2013 quand Simonsen percute le rail au Tertre au tout début des 24H du Mans, il est transporté officiellement inconscient à l’hôpital tout près où il est déclaré mort à son arrivée.
S’il était mort sur le circuit, là aussi il y aurait eu arrêt immédiat de la course pour figer la scène et lancer l’enquête.
Pour Rindt, il y en a eu des décès à cause des rails mal placés ou pas assez nombreux (je pense à Cévert par exemple). C’était une époque (jusqu’au début des années 80) où le sport auto rimait souvent avec la mort. Moins maintenant et le décès de Anthoine Hubert il y a 1 an (le 31 août 2019) à Spa nous rappelle que ces pilotes sont des sur-humains. A l’époque, monter dans la voiture signifiait une prise de risque énorme et statistiquement importante.
Toutes les morts accidentelles sont horribles, mais l’une d’elles m’a marquée(en photos et vidéos sur Internet): celle du Gallois Tom Pryce au GP de Kyalami(Afrique du sud)en 1977, presque décapité par l’extincteur d’un jeune commissaire de piste en intervention soudaine(et tué lui aussi sur le coup) 😮
« Souvenez-vous, Roland Ratzenberger, à Imola, en 1994… »
Ce n’était pas plutôt Senna, Ratzenberger se tuant lors des essais?
Sinon, excellent article, comme d’habitude, sur un pilote talentueux sacrifié sur l’autel de la Formule 1. Un de plus me direz vous.
Disons que dès le décès de Ratzenberger, la loi aurait dû s’appliquer et stopper les évènements…
Sur ce point je suis d’accord, mais le week-end de GP a quand même continué malgré le décès du pilote autrichien. Si je m’en souviens bien, la mort de Senna fut annoncée après la fin du Grand-Prix. D’où mon interrogation.
aussi oui
J’ai lu une autre version quant à Ickx. Il aurait volontairement tout fait pour ne pas être champion à la place de Rindt. Sachant qu’il a une réputation de gentleman driver, cela ne serait pas étonnant.
en effet, Ickx s’était dit soulagé à l’issue de la dernière course. Il n’a donc pas du donner le maximum.
Light is right but too light is dangerous.
Déjà lors de la tragédie du Mans en 1955 la course n’avait pas été arrêté. Officiellement pour faciliter l’évacuation des blessés.
Sauf que par respect Mercedes c ‘est retiré de la course et a contribué à empecher son palmares sportif de grandir notamment au profit de Ferrari.
Je ne sais pas si une autre marque c est retiré apres la mort d un de ces pilote.
Lancia en 1955 après le décès d’Alberto Ascari sur une Ferrari Sport à Monza lors d’essais privés. L’écurie n’effectuera plus que le GP de Belgique avec Castellotti à SPA avant de jeter l’éponge et de vendre la Lancia D50 à la Scudéria Ferrari devenue Ferrari D50 puis Ferrari D50/801.
À partir de 1966, l’atelier de course est rebaptisé Squadra Corse HF Lancia et Lancia fait son retour en compétition en rallye avec la Fulvia puis avec les Beta, Stratos, 037 et Delta. Depuis fin 1991, Lancia a cessé tout engagement officiel en compétition automobile.
Chapeau au photographe qui a shooté l’accident de Rindt à Montjuich.
En argentique, sans automatismes et entre autre sans autofocus ou suivi de mouvement.
« sa De Tomaso, dotée d’un châssis en magnésium » n’est pas un amalgame largement approximatif, dont « on » use aussi pour la Honda de Jo à Rouen 68 ?
HHS