Vétéran de la Royal Air Force, Ken Tyrrell débute une carrière de pilote dans les années 50, somme toute honorable, avant qu’il ne décide au début des années 60 de passer derrière le muret des stands en tant que directeur de la Tyrrell Racing Organisation. Les débuts sont modestes et c’est dans l’atelier familial de coupe de bois que commence l’aventure. Il révèle Jackie Stewart, qui devient champion britannique de F3 en 1964, puis remporte la Formule 2 dès la saison d’inauguration, en 1967, avec Jacky Ickx au volant d’une Matra-Cosworth. Les liens très forts – et les succès – qui se sont tissés avec l’entreprise de Jean-Luc Lagardère font que leur collaboration se poursuit naturellement au moment de franchir le cap de la Formule 1, en 1968.
La gloire avec Stewart
Dès la saison suivante, c’est un triomphe avec le titre de Jackie Stewart sur la Matra-Cosworth du team Matra International, bannière sous laquelle court la structure de Ken Tyrrell. Seulement, quand Matra souhaite que le V8 britannique soit délaissé au profit du V12 maison, Tyrrell met un terme à son partenariat. Une saison 1970 décevante avec des châssis March le pousse à sauter le pas de devenir constructeur à part entière, ce qui est chose faite avec la Tyrrell 001 de 1971. Ce sont les années fastes, déjà, de l’équipe, qui remporte le titre pilote/constructeur 71 et encore celui de pilote 73 avec Jackie Stewart.
Après la retraite de Stewart et le décès tragique de François Cevert fin 1973, l’équipe perd de sa superbe et ne peut riposter à la montée en puissance de Lotus et McLaren ainsi qu’à la renaissance de Ferrari. C’est tout de même une époque d’audace – et Tyrrell en a – qui pousse entre autres l’équipe à mettre en piste en 1976 une révolutionnaire voiture à 6 roues qui s’impose en Suède avec un doublé de Jody Scheckter devant son équipier Depailler. La plus française des écuries britanniques réussit souvent aux tricolores – Depailler gagne à Monaco en 1978 – et plusieurs grands noms feront partie de l’aventure, qu’il s’agisse de Jean-Pierre Jarier, Jean-Pierre Jabouille, Philippe Streiff, Didier Pironi ou encore Jean Alesi.
Le lent déclin des années 80/90
Dans les années 80, les temps deviennent très durs pour les « garagistes » face à l’explosion des coûts et à l’arrivée en force des constructeurs, dont Renault qui impose le Turbo. Farouche opposant au moteur turbocompressé, acteur ardent de la guerre FISA/FOCA qui secoue la F1 au tournant des années 70/80, Tyrrell joue le « dernier des Mohicans ». En 1984, son équipe est la seule parmi les acteurs réguliers du plateau à rouler en atmosphérique. Pourtant, avec une paire de pilotes composée de Martin Brundle et Stefan Bellof, les Tyrrell cette année-là font des miracles et signent même quelques podiums.
Joie de courte durée, puisque, après de vifs soupçons, aiguisés notamment par des ravitaillements en eau douteux en fin de course, la supercherie est démasquée : les Tyrrell utilisent un carburant non conforme et surtout roulent en dessous du poids règlementaire, les fameux ravitaillements servant en fait à injecter des billes de plomb dans le réservoir en guise de lest pour terminer les GP dans le poids règlementaire. Tyrrell se démène en justice mais le couperet tombe et son équipe est exclue du championnat 1984. ça tombe bien aussi politiquement, puisque Tyrrell était le dernier à mettre son veto à la limitation des réservoirs de carburant…
Mais l’Oncle Ken n’a pas froid aux yeux et revient en 1985…en réussissant à négocier des moteurs Renault Turbo, lui le grand opposant de cette motorisation ! Cela ne suffit cependant pas. Le ciel s’obscurcit et c’est souvent la valise de billets plus que le talent qui détermine qui s’asseoie derrière le volant des Tyrrell. Quelques éclairs auront encore lieu, car Ken Tyrrell est un redoutable négociateur et un dénicheur de talents hors pair. C’est notamment le cas en 1990 grâce au coup de volant de Jean Alesi, révélé un an plus tôt au Castellet sur une Tyrrell, aux pneus Pirelli très performants sur les circuits en ville et à une audacieuse Tyrrell 019 qui introduit le nez surélevé. On se souvient des exploits de l’avignonnais dans les rues de Phoenix face à Ayrton Senna. Quelques espoirs encore en 1991 avec le V12 Honda, puis, à partir de 1992, un recul inexorable en fond de grille, quelques points grapillés ça et là et même rien en 1998.
Clap de fin, changement d’ère
Justement, à l’issue de la saison 1998, son écurie exsangue financièrement, Ken Tyrrell se résout à vendre. C’est l’homme d’affaires Craig Pollock, de concert avec son pilote Jacques Villeneuve, qui rachète la vénérable écurie anglaise. Tout un symbole. Les temps ont changé, Tyrrell appartient à une espèce disparue. Après presque 30 ans de présence sur les circuits, elle cède sa place à BAR, qui deviendra ensuite Honda, puis Brawn, puis…Mercedes !
Ken Tyrrell a dû vendre sa création et ne remettra plus les pieds sur les circuits. Il appartenait à une race de dinosaures, des directeurs d’équipe à l’ancienne, paternalistes, débrouillards et un peu roublards, qui s’occupaient aussi bien du recrutement des pilotes, de la direction technique que des factures et de la gestion des deniers, un sport à part entière ! Tyrrell bénéficiait néanmoins d’un énorme capital sympathie (pas comme le Tyrell de Blade Runner !) et se montra bien plus attaché à ses pilotes que ne l’était Frank Williams.
Il s’éteint le 25 août 2001.
Bel hommage à Oncle Ken
Un bon article qui va à l’essentiel pour rappeler aux fans 2.0 que la F1 est l’œuvre de passionnés et d’utopiques. Dommage que le nom de Tyrrel ait disparu.
Rah la F1 époque Tyrrell…les bagnoles n’étaient pas forcément plus rapides que maintenant, on ne doublait pas forcément plus que maintenant. Mais au moins on avait l’impression que « tout le monde » un peu doué pouvait se lancer.
Un peu la même époque au Mans avec des privés qui faisaient leurs protos et gagnaient ou faisaient podium face à des constructeurs.
La F1 un peu roublarde des Tyrrell, Ecclestone, Mosley, Dennis, etc. qui d’un grand sourire acceptent la pénalité une fois le truc révélé, un peu comme un vieux magicien.
Tyrell avait en 1991 le V10 Honda de 1990, Mclaren passant en 1991 au V12 pour faire face à la montée en puissance de Ferrari en 1990…. sauf que le V10 Renault montrera que c’était une erreur
Quand on écoute les témoignages de certains pilotes, les grands patrons d’écuries anglaises n’étaient pas aussi « paternalistes » qu’on le laisse croire! au contraire, ils étaient surtout de fameux fascistes tant vis-à-vis du personnel que des pilotes… sans pour autant le laisser transparaître! Parlez-en donc à Jarier…