D'une manière un peu réductrice, je vous l'accorde, on pourrait résumer cette seconde manche du championnat du monde par ces mots : seuls Loeb et Tänak ont évité la faute.
Pour notre nonuple champion du monde, faute de connaître le parcours il indiquait à l'arrivée : "C'était compliqué tout le week-end, il y a eu des hauts et des bas. Je suis heureux d'être à l'arrivée. Nous avons fait des bons chronos, parfois des moins bons. Nous avons beaucoup appris, donc ce n'est pas si mal à la fin".
On pourrait ajouter que l'équipage n'était guère ravi samedi soir de disputer la Super Spéciale sur l'hippodrome de Karlstadt, où les immenses flaques d'eau avaient remplacé la glace espérée. Daniel Elena sans grand enthousiasme ajustait avant de partir la pression des pneus plantés de 384 clous. Malgré tout, à n'en point douter Loeb aura emmagasiné bien des infos concernant l'auto qu'il saura transmettre à l'équipe technique en vue de faire progresser la Hyundai.
Ott Tänak serein et dominateur
Tänak, quant à lui, fut serein du début à la fin du rallye s'installant en tête de la course dès la seconde spéciale, tout en affichant une grande détermination et une concentration impressionnante dès qu'il s'agissait de s'élancer pour un chrono.
En toute simplicité à l'arrivée il déclarait : "Evidemment, c'est incroyable. Je suis vraiment très content de gagner et d'apporter cette victoire à l'équipe. J'ai roulé plus vite que normalement, mais toujours sans prendre de risques".
En tant qu'invités du Team Toyota Gazoo Racing, nous avons l'occasion de nous retrouver en de nombreuses occasions au sein même de l'écurie, lors des assistances toujours très calibrées en temps d'intervention et sous le contrôle sourcilleux des commissaires de la FIA.
Nos observations, les informations glanées par ci, par là nous autorisent à faire par comparaison aux deux saisons passées, un certain nombre de constats que vous nous livrons, ainsi que quelques extrapolations.
L'équipe technique s'est renforcée et même si nous n'avons pas accès au staff des ingénieurs on peut en indiquer l'ossature. Pour chacune des trois autos nous dénombrons : un ingénieur responsable, un ingénieur moteur et un ingénieur systèmes. Deux autres ingénieurs coiffent ces trois équipes, alors que d'autres ingénieurs spécialistes travaillent sur des domaines spécifiques non précisés, du moins aux journalistes.
Si comme nous le rappelait Dimitri responsable des sous-ensembles trains roulants, ponts, directions, amortisseurs, suspensions, tout est préparé, marqué ou plombé et prêt au montage pour apporter les garanties nécessaires aux commissaires techniques lors des interventions. C'est après le compte-rendu du pilote à son ingénieur voiture et une confirmation rapide à partir du déchargement des datas que les mécaniciens (4 par voiture) entrent en lice pour des temps d'assistance strictement contrôlés.
Extrait du règlement : Art 49.2 PARCS D'ASSISTANCE – HORAIRE L'horaire pour chaque voiture dans le parc d'assistance est le suivant : 49.2.1 15 minutes avant la première ES suivant un regroupement pour la nuit - Des contrôles techniques pourront être réalisés dans le parc fermé. 49.2.2 30 minutes entre deux groupes d'épreuves spéciales - Précédé d'une zone technique de 3 minutes qui pourra se trouver dans un regroupement 49.2.3 45 minutes à la fin de chaque section avant un regroupement pour la nuit excepté après la dernière section du rallye. - Des contrôles techniques de 10 minutes devront être effectués dans le parc fermé précédant la flexiassistance. 49.2.4 10 minutes avant l'arrivée. - Précédé d'une zone technique de 3 minutes qui pourra se trouver dans un regroupement. |
L'assistance Toyota en parfaite maîtrise
L'observation du retour au parc d'assistance de Meeke qui avait fortement tapé à l'avant gauche de la Yaris fut une belle illustration de la sérénité de toute cette équipe technique. Pendant que le pilote débriefait avec son ingénieur référent, les données embarquées étaient envoyées sur les écrans des ingés regroupés dans un PC, interdit de visite. L'ami Dimitri les mains bien serrées dans le dos pour ne pas toucher à quoi que ce soit, touchait néanmoins avec les yeux tout ce qui pourrait bien le renseigner sur l'étendue des dégâts et la meilleure façon d'intervenir.
Le top départ étant donné, chacun se consacrait aux tâches habituelles, alors qu'un mécanicien consacrait tous ses efforts aux réglages du pédalier, après que la direction ait été « soignée », sans pourtant apporter entière satisfaction au pilote qui confiait : "J'ai eu un impact énorme sur l'avant-gauche et maintenant la direction assistée est serrée. J'ai eu des difficultés par la suite et j'ai perdu du temps".
Nous avons eu nettement l'impression que cette l'équipe était moins directement impulsée par Tommi Mäkinen que par le passé, mais un peu plus par Toyota Motorsport Gmbh (TMG) et aux assistances, une petite armée rouge se déployait en silence mais avec une coordination et une synchronisation d'action, tout à fait huilées et redoutables d'efficacité.
Il faut dire que le titre de champion du monde des constructeurs gagné au bout de deux années seulement d'engagement en WRC, au nez à la barbe de Hyundai, qui s'y voyait pourtant, apporte sans doute pas mal de sérénité, tout en nourrissant des ambitions croissantes, à savoir réussir le doublé avec un Ott Tänak à propos duquel il convient de souligner l'aisance.
Avec cette victoire sur une surface où il n'avait pas encore gagné, la pépite estonienne entre dans une autre dimension.
En plusieurs occasions au cours de ce rallye nous avons pu voir un pilote détendu, notamment aux côtés de Shigeki Tomoyama le patron du Toyota Gazoo Racing, ou, presque enjoué en répondant aux journalistes en fin d'épreuve spéciale. Dès lors que le chrono était lancé, une sorte de métamorphose s'opérait. Tänak semblait s'installer dans un autre monde, celui du pilote de très grande classe.
Il a démontré quasiment de bout en bout qu'il avait atteint une sorte de plénitude et que rien ne pouvait entraver sa mise sur orbite pour un titre de champion du monde. La preuve en fut donnée au monde entier quand, contre toute attente, il décroche le meilleur temps de la Power stage avec cette apparente décontraction, cachant un tempérament de gagneur et un pilote, vraiment d'exception.
Il faut dire que la Toyota Yaris elle aussi, est totalement aboutie et que le niveau de confiance du pilote envers son auto reste maximal, quelles que soient les conditions de roulage, pourtant pas forcément évidentes au cours des journées ayant fait fondre la glace et la neige, en bien des endroits et craindre aux pilotes de devoir prendre les plus grands risques à cause de pneumatiques détériorés.
Une ambiance très typique
Cette hausse des températures n'avait pas dissuadé tout un peuple de partir comme en pèlerinage à l'assaut des meilleurs points de vue pour apprécier en connaisseurs les jumps fantastiques ou les glissades improbables.
Nous avions rencontré en bien des occasions des fervents amateurs de rallye, bien organisés, là en Suède, l'ambiance est tout autre, en tout cas très spécifique. Comme le froid demeure une composante essentielle du rallye à cette époque de l'année, on croise sur les pentes surplombant les tracés, des installations de campement organisées comme pour tenir un siège (en général la journée avec la même spéciale disputée deux fois) et rapidement, vous savez que vous retiendrez deux choses : la gentillesse des spectateurs et l'odeur des feux et des grillades.
Bien sûr, bière et alcools en tous genres coulent généreusement (à consommer avec modération), les drapeaux suédois ou norvégiens mais aussi les oriflammes à la gloire de telle ou telle marque ou pilote emblématique, flottent un peu partout. Tout cela n'empêche pas de profiter en connaisseurs des trajectoires osées, des réceptions de sauts compliquées et de parier sur la longueur du saut, qui sous nos yeux fut de 38 mètres ! Meeke remporte d'ailleurs le plus long saut du weekend avec 41 m au fameux Colin's crest.
Quoiqu'il en soit, avec comme guide Anne-Chantal Pauwels ex-copilote de rallye en championnat du monde et experte du pilotage sur glace qu'elle enseigne aux policiers canadiens, nous étions particulièrement bien conseillés pour découvrir les spots mythiques de ce rallye de légende et profiter des explications techniques les plus pertinentes, quant aux difficultés et contraintes particulières de ce rallye suédois.
En conclusion
L'ère Tänak semble ouverte tant le talent, la constance des performances, la confiance en son auto habitent pleinement le jeune homme. Il sait pouvoir compter sur une auto très aboutie, servie en toute circonstance par une équipe technique basée maintenant chez lui en Estonie. Messieurs Ogier, Neuville et consorts, il vous faudra sans doute beaucoup donner pour barrer la route à celui qui ne rêve que de ce titre. Il lui reviendra « l'honneur » d'ouvrir la route au rallye du Mexique disputé sur terre du 7 au 10 mars, voilà ce qu'il a gagné -avec ses 7 points d'avance sur Neuville-, comme handicap, pour le futur immédiat.
Chez Toyota Gazoo Racing, la future séquence est déjà enclenchée, le titre « constructeurs » donne des ailes et même, si l'on sait que la saison sera longue et sans doute marquée encore par des coups de moins bien, comme celui de Latvala ici en Suède ou la sévère touchette de Meeke, toute l'équipe déroule son programme d'essais et de préparation dans la sérénité.
Affaire à suivre donc !
Michelin et ses clous collés à la mainGrâce à l'amabilité d'Arnaud Rémy responsable activité Rallye chez Michelin, nous sommes en mesure de fournir quelques précisons sur cette question des pneumatiques, tellement essentielle au rallye de Suède que, juste avant le départ du Rallye la dotation autorisé pour les WRC, fut portée de 24 à 26 pneus. En effet, comme l'indique notre interlocuteur : "les pilotes étaient inquiets quant aux conditions de roulage qu'ils allaient rencontrer en raison de la fonte de la neige et de l'absence totale de glace sur certains portions. En fait, il n'y a pas eu autant de problèmes que cela. Même dans les conditions les plus sévères, les performances des pneumatiques ne furent aucunement remises en cause et la perte des clous fut tout à fait minime". Les pilotes ont eu parfois à lutter contre un problème de grip, lorsqu'ils rencontrèrent des rails avec des coulées d'eau. Les pneus avec leurs 384 clous posés et collés à la main dans un travail artisanal développé avec un partenaire suédois, ont démontré combien cette expertise était la garantie d'une grande efficacité malgré des conditions inhabituelles. Bien entendu, les roues hérissées de leurs clous dépassant de 6 mm étaient l'objet de toutes les attentions de chaque technicien détaché chez chacun des 4 constructeurs engagés en WRC, lors de chaque passage à l'assistance. Le plus souvent les équipages embarquaient 2 roues de secours pour parer à toute éventualité, surprise ou accident. Avec toutes les autos chaussées (avec de nouvelles enveloppes en WRC2) en Michelin, le manufacturier disposait de 1 000 pneus en Suède. Responsable, coordinateurs, techniciens, monteurs, et chargé de communication composaient le détachement auvergnat en Suède, qui fut tout à fait à la hauteur d'une situation à priori délicate et inédite. |
Alain Monnot texte et photos