Michelin et le défi du FIA GT

– Que représente Spa pour Michelin ?

– (MB) Spa est un circuit très intéressant quelque soit la discipline en fait. Il y a son tracé qui, de par sa longueur (7,004 km) et son profil alternant courbes, lignes droites, montées et descentes, freinages en appui et accélérations transversales, offre un tas de données à récolter, à analyser et c’est un véritable défi Il peut faire beau d’un côté et pleuvoir de l’autre. De plus, il y différentes qualités de revêtement ! Techniquement, c’est donc un très beau circuit, humainement vous avez le plus beau. Même si il s’adapte aux exigences de la FIA, il est évident qu’il est n’est pas dans le « formatage » des circuits actuels.

– En FIA GT, le plateau est conséquent, comment présenter Michelin dans ce championnat ?

– Un acteur comme les autres manufacturiers. Dans le cas des 24 Heures, il est évident que notre présence est conséquente. Nous fournissons près de 35 voitures sur la cinquantaine, ce qui induit une présence sur place avec 5.000 pneus !

– La fourniture d’un top team et d’une structure privée n’est pas la même. Comment conciliez les deux ?

– Il est vrai que pour un top team, la fourniture se chiffre à près de 100 pneus pour le week-end spadois et se réparti comme suit : 80 pour le sec et 20 pour la pluie. Et l’on doit encore nuancer la qualité de la gomme. Pour le slick (pneu lisse), nous avons 4 degrés, du « super tendre » au « dur » tout en comptant les pneus intermédiaires et une définition pluie.

– Le « return » technique est primordial. Comment dialoguez-vous avec tous ces teams, car il est certainement différent en fonction du niveau du team : amateur, semi-pro et pro ?

– Sur le fond, le dialogue est le même. Un pneu travaille suivant le même principe. Ce qui diffère, ce sont les effets engendrés. Ils sont au nombres de 3. L’effet piste, qui concerne le grain du revêtement, l’effet pneu en lui-même et l’effet pilote. A Francorchamps, on doit tenir 30 tours.

– Le dialogue doit être de pleine confiance, avez-vous accès au data (mesures informatiques) des teams ?

– Oui et non. Pour une situation précise, ça peut-être le cas mais bien souvent, les pilotes et les teams savent ce qu’ils veulent et comment utiliser nos gommes. Il est évident que l’on conseille aussi et bien souvent, qu’importe le statu du team, on est écouté. Tous les teams savent pourquoi on leur propose une gomme plus qu’une autre, mais on impose rien. La stratégie intervient parfois et cela n’est pas de notre ressort. Il est essentiel de savoir déjà comment est la piste. Ce premier effet, nous le contrôlons grâce à l’usure, la température de fonctionnement et la répartition de cet échauffement. On fait en principe 3 mesures lors de l’arrêt au stand et ce quelque soit le nombre de tours effectués : une au centre et une sur chaque extrémité de la bande de roulement. On sait en fonction de l’effet pneu, sa construction et sa pression, comment il travaille, comment il s’use. L’effet piste et pneu sont directement corollaire. Le plus difficile à comprendre parfois, et les relevés télé-métriques nous sont alors d’une aide utile, est la contre-performance. Bien souvent, c’est le pilote qui en est la « cause ».

– Cause ou responsable ?

– C’est justement cela l’effet pilote. Il y a des pilotes au pilotage agressif, voire même très agressif. Mais ce n’est pas pour autant synonyme de performance. En FIA GT, le partage du volant permet de faire une comparaison directe. Une même voiture, trois pilotes différents trois styles de conduite souvent similaires, mais parfois différents.

– D’où les conseils ?

– Effectivement ! Il arrive parfois et après concertation avec le team et le pilote qu’on demande alors à celui-ci de changer sa façon de freiner, d’entrer en courbe et d’accélérer en sortie. On pourrait faire une gomme spécifique à son style, mais là, on en finit plus. Il y a quand même des contraintes techniques et de coûts à ne pas dépasser.

– On voit en F1, le pilote qui se prend 5 G sur une courbe, un freinage Ce doit être similaire en GT, mais qu’en est-il pour un pneu puisque sa surface au sol fait à peine deux mains et qu’en plus, celui-ci subit le poids de la voiture ?

– On ne parle pas en G, même si le résultat est similaire puisque l’on multiplie le poids du pilote par ce nombre G pour savoir la contrainte de poids qu’il a subit et donc des kilos. Dans notre domaine, on parle de charge. De plus, le pneu est influencé par divers paramètres. En F1, il y a si peu de suspension que c’est le pneu qui joue ce rôle. Remarquez d’ailleurs que le flanc d’un pneu F1 est nettement plus haut que celui d’une GT. Dans le premier cas, on met encore et toujours du 13 pouces ! En GT, on est à 19. Ces mesures font que le pneu F1 tolère une pression de 1,2 kg/cm2. En GT, on est entre 1,8 et 2,2.

En ce qui concerne la charge à Francorchamps, une GT, quand elle est dans la cuvette au pied du « Raidillon », encaisse 800 kg de charge soit la même valeur que cette même GT encaisse dans la montée de Blanchimont. Dans le premier cas, la contrainte est très brève alors que dans le second, on compte en secondes. Même valeur, mais deux conditions de travail différentes pour le pneu. Voilà le genre de défi que l’on peut rencontrer sur un circuit.

– Sans tenir compte que la suspension d’une Maserati est différente d’une Corvette ou d’une Aston Martin !

– Oui, mais contrairement à ce que l’on peut croire, le pneu ne s’use pas à ce moment Un peu certes, mais c’est au freinage que cela se produit. Pour preuve, la jante glisse sur le pneu tant l’adhérence est conséquente (*).

– Tout compte fait, le pneu de GT est vraiment proche de la monte d’une voiture de série et c’est techniquement et commercialement bien plus intéressant que la F1. Votre éviction de cette discipline ne vous a donc pas porté atteinte ?

– Arrêtez de dire que nous avons été évincés de la F1 intervient Frédéric Henry-Biabaud, Directeur Compétition. Nous n’avons tout simplement pas voulu répondre à l’appel d’offre en fonction du cahier de charge proposé par la FIA. Vous savez, on aurait pu rester en F1 jusque 2008, mais le fait de ne garder qu’un manufacturier dès l’année suivante ne nous intéressait pas ! Le challenge est bien plus constructif quand celui-ci est réalisé dans une saine concurrence. En F1, à partir du moment où on est seul, la motivation n’est plus la même. La communication non plus car on ne parle plus de vous puisque de la 1e à la 22e place vous êtes présent. Chez Michelin, on aime la concurrence et on la respecte car c’est elle qui nous fait avancer. Pour être devant, vous devez être meilleur. Il n’y a pas de secret.

Vive le sport !

Quelle belle expression pour clôturer cette interview.

(*) Sur un pneu de compétition, il y a, lors du montage, un repère à mettre en face de la valve. Cette astuce permet d’avoir un pneu équilibré dès sa mise en place ou d’en réduire fortement le balourd. Après trois tours du circuit de Spa, celui-ci est décalé de 8 cm par rapport à la valve ! Notez aussi que même un pneu slick est directionnel c’est-à-dire qu’il a un sens de rotation imposé.

©Photos : Olivier Duquesne

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