Termes d’automobile : périphérique ou rocade ?

Échec et mat !

Étymologiquement parlant, une rocade est un terme militaire qui est apparu au XVIIIe siècle. Il dérive du jeu des échecs où l’on peut « roquer ». Lorsqu’un joueur roque, il effectue un déplacement de son Roi et de l’une des tours (en les permutant), sur une ligne horizontale. En stratégie militaire, la route de rocade est donc devenue une ligne parallèle au front de guerre permettant un déplacement des troupes ou des pièces d’artillerie. Ici à l’origine, pas de contournement de l’ennemi (ou de la ville).

Périphérique pour sa part, est un mot plus récent. L’adjectif date du XIXe selon l’Académie Française et est dérivé de la périphérie. Cette dernière, est héritée de l’ancien français perifere (XIIIe) lui-même hérité du grec « periphereia » via le latin et les invasions de la Gaule. Periphereia en grec vient de peri, « autour », et de pherein, « porter ». Il signifie circonférence, arc de cercle.

Si l’on s’en tient aux définitions sticto sensu, une rocade est une route parallèle à la ville (le front) alors que la route périphérique vous « porte autour » et donc contourne. Certains évitent l’écueil du choix du terme en parlant de rocade périphérique. Mais c’est un peu « triché » non ? A l’opposé des contournements, on parlera de radiales ou de pénétrantes pour les voies d’entrée dans la ville.

Tracés selon les vieilles fortifications

Evidemment, on a pas attendu l’automobile pour créer des contournements, rocades ou périphériques. C’est presque aussi vieux que la création des villes. Cela s’est accéléré avec les fortifications des centres-villes dans nos contrées et la création de routes qui passaient plus ou moins loin des fortifications, pour ceux qui ne voulaient pas pénétrer dans l’enceinte de la ville (ou lice). Certaines de nos villes ont conservé l’architecture des places fortifiées et les « boulevards périphériques » ont suivi ces anciens tracés.

D’ailleurs, le mot boulevard est lui-même dérivé directement de cette époque. En effet, le boulevard (XIVe siècle) vient du moyen néerlandais « bolwerc » (de werc l’ouvrage) et désignait un ouvrage de fortification fait de madriers (à l’époque) qui entoure un bourg. De fait, à Paris, les grands boulevards suivent les anciennes fortifications qui ceignaient ce qui constitue désormais les 6 premiers arrondissements (et la partie est du 7e arr.).

Un « boulevard périphérique » serait donc un pléonasme. C’est pourtant le terme consacré à Paris. Ce boulevard périphérique, le « périphe », reprend pour sa part le tracé des fortifications d’Adolphe Thiers. Ces fortifications (surnommées les fortif’) possédaient des portes d’entrée/sortie dont le périph’ a conservé les noms.

Dans d’autres villes, les rocades ont été faites plus loin de la ville pour un contournement – à l’époque – en pleine campagne, mangé par l’urbanisation. Le contournement de Paris est évoqué dès les années 20. C’est d’ailleurs à cette époque, avec le boom de la voiture automobile que ces rocades apparaissent un peu partout. Mais Paris ne se dotera du périphe qu’après la Seconde Guerre Mondiale avec des travaux s’étalant de 1956 à 1973.

Qui a le contournement le plus ancien ?

C’est également en 1958 que fut décidée la création de la rocade de Bordeaux par le Maire emblématique de la ville, Jacques Chaban-Delmas. Là, la rocade mettra près de 30 ans à être bouclée, mais contrairement à la capitale, la ceinture passe non pas à la limite de la ville mais dans les communes limitrophes.

A Lyon, il n’y a pas de boucle fermée, mais un boulevard est. Ce contournement, décidé dans les années 20, suit là aussi l’ancien tracé du mur d’enceinte de Croix-Luizet à Gerland. Si la grande crise économique de 1929 puis la Seconde Guerre Mondiale perturbent les travaux, ils seront achevés à la fin des années 50 avec une inauguration en 1958. C’est sans doute, en France métropolitaine, le plus ancien périphérique « moderne ».

Rennes a dû attendre le désenclavement de la Bretagne décidé par De Gaulle pour voir sa rocade être lancée en 1967 et bouclée uniquement en 1999. Entre temps, Nantes avait lancé son propre projet mi-70 pour le terminer en 1994. Quant à Toulouse, malgré une taille conséquente et des villes s’étalant rapidement grâce ou à cause de l’industrie, elle dû patienter elle-aussi jusqu’en 1995 pour avoir un périphérique bouclé. Il est en fait constitué de bouts de routes express reliés entre eux au fil des années et des aménagements.

Le symbole de la voiture toute puissante…

Avec le trafic routier de plus en plus important, ces périphériques historiques ont tendance à être engorgés en permanence. A Paris, deux autres contournements existent avec la N104 (La Francilienne ou « rocade interdépartementale des villes nouvelles ») et l’A86 ou Super Périphérique.

A l’étranger aussi on trouve ces périphériques concentriques. L’un des exemples visuellement frappant est sans doute Bruxelles qui cumule 4 « périphes ». Le premier, le « pentagone » est le plus au centre. Il fait le tour du centre-ville historique (le coeur de Bruxelles) et suit le tracé de l’enceinte fortifiée du XIVe siècle. La « grande ceinture » est un peu l’équivalent de l’A86 pour Paris car il englobe Bruxelles, mais aussi les communes limitrophes.

Une troisième ceinture ne concerne que l’Est de la capitale Belge et enfin, il y a le « Ring », une immense boucle autoroutière de 75 km lancé dans les années 60. Un peu partout en Europe, on retrouve les mêmes histoires. Les développements des villes qui demandent des aménagements pour la reine voiture, la Seconde Guerre Mondiale qui met tout à plat, et la reconstruction dans les Trente Glorieuses.

A Rome, le « Grande Raccordo Anulare » est lancé après-guerre et connaîtra des travaux de 1951 à 1982. A Moscou, la Moskovskaïa Koltsevaïa Avtomobilnaïa Doroga est inaugurée en 1961. D’abord à 4 voies, elle passe à 10 voies (!) dans les années 95. Certaines villes aux USA ont des « périphériques » tellement étendus et complexes qu’il est difficile de les cartographier simplement. Outre des échangeurs tentaculaires, ils sont souvent constitués d’autoroutes urbaines à 12 ou 14 voies. Le symbole « du tout bagnole » que certains veulent voir disparaître.

…de plus en plus contesté

Désormais, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les nuisances de ces rocades ou périphériques. Il faut que que certaines voies ont été tracées en plein coeur des villes, quand d’autres, tracées au milieu des champs ont été rattrapées par l’urbanisation des années 70 et au-delà.

Mais, en fait, ces ceintures de villes ont toujours été montrées du doigts. A Paris, une fois les fortifications Thiers démontées, la contrescarpe et le glacis (termes militaire des talus de construction des fortifications) ont été très vite utilisés pour installer des bidonvilles. Ce que l’on appelait alors la zone de servitude militaire, puis la zone est alors construit soit de petits collectifs de briques habités par les « zoniers », soit d’abris de fortune habités par les « zonards » qui ne peuvent (déjà) pas se loger dans Paris intra-muros. Il faudra attendre les années 50 pour voir cette zone disparaître avec le périphérique, et des quartiers populaires être construits à proximité de la pollution sonore et de la pollution de l’air.

Avec le « Grand Paris », c’est un « métrophérique » qui est envisagé. Toujours pour faire le tour et éviter la ville. Certains projets existent pour convertir le périphérique parisien en une zone piétonne, cyclables, voies de bus, etc. L’A86 ou « super périphérique » serait alors la nouvelle ceinture autoroutière. Et les villes de s’étendre encore et encore.

Illustration : Benoît-Caen CC BY-SA 3.0 (modifiée par leblogauto.com)

(11 commentaires)

  1. Une petite précision pour Toulouse : Effectivement la rocade Toulousaine est faite d’une succession de voies plus ou moins express misent en conformité autoroutière … pour la partie Ouest.
    La partie Est n’est que le contournement par les autoroutes A62 et A61 Bordeaux > Narbonne.
    Encore un article fort intéressant et bien documenté.

  2. Pour parler franc. On dit bouchons pour les deux cas ! De petits malins font même le compte des mois perdus dans toute une durée de cotisation pour une retraite. Avec bien sûr les dégâts dû à la pollution sur l’organisme.

  3. Grâce à Marcellin, les Bretons ne paient rien. Quand ils sont saisi de la folie à la mode Asterix ils deziguent les portiques. C’est normal les autres paient.
    Pour Bordeaux qui n’a pas connu l’époque héroïque du Pont d’Aquitaine et pour Lyon la folie de Pradel pour faire passer la sortie devant Peyrache. Aujourd’hui les quartiers Est sont toujours parfumés et à l’ouest vers les Monts du Lyonnais on paie !! Les ports eux posent problème comment faire une rocade sur la mer !! On ne va pas copier les Chinois quand même !!

  4. Dans mon esprit, le périphérique fait le tour de la ville et la rocade longe la ville pour l’éviter. Je continuerai avec ça , ça me plait bien n’en déplaisent aux Bretons 😉

    1. C’est ce que je pensais avant de lire cet article aussi. Je me disais qu’on gardait le nom rocade à Rennes parce que ça ne faisait pas longtemps qu’elle faisait vraiment le tour, alors que le périph nantais était beaucoup plus vieux et faisait le tour depuis beaucoup plus longtemps.
      Quoi qu’il en soit, étant donner qu’une seule des deux villes se trouve en Bretagne, la question ne devrait pas déranger les bretons très longtemps. 😉

      1. @seb : aucune des deux villes n’est en Bretagne 😉

        Rennes est en pays Gallo et se voit imposer une double signalisation français/breton historiquement inepte.
        La vraie Bretagne, la Bretagne bretonnante ou « Basse Bretagne » c’est le Finistère, l’ouest du Morbihan (avec Vannes) et l’ouest des Côtes d’Armor.
        Bref, Rennes comme Fougères ou Nantes sont en « Haute Bretagne » ou pays Gallo (dit Bretagne gallésante qui allait jusqu’au Mont Tombe (qui a été volé par les Normands comme tout le monde sait lol). 🙂 😉

      2. Au fait, le Boulevard Périphérique de Lyon n’est pas fermé…on l’appelle rocade alors ? 😀 🙂

  5. Pour voir tous ça juste à travers un pseudo, j’espère que tu bosses pour la police ou la gendarmerie, sinon ça serais du gâchis de ne pas utiliser un talent comme le tiens.

  6. Quelques « précisions » d’un Parisien » nous on écrit Périph’ comme Fortif’ il y a aussi des déviassss qui contournent. Exemple la RN14 dans les villes de SANNOIS – FRANCONVILLE, prémices de l’A15.
    A Lyon le Boulevard Laurent BONNEVAY ( 3 ans à le regarder, je voulais écrire l’entendre ! ) est un vague contournement.
    des rocades débiles de la RN 10, comme à CHATEAUDUN ( +5 kms) ou très bien faites comme à VENDOME.
    Pour BORDEAUX, je ne sais pas comment le Projet à été conçu mais je peux témoigner qu’en 78/79 il fallait passer par le Quai des Chartrons et le Port pour aller à DAX quand on venait d’Angoulème.
    A POITIERS, la rocade était un sens de l’A10. Une voie dans chaque sens, un gain de temps inouÏ..
    et des ponts aussi comme sur la SEUDRE. Le Conseil Régional du 17 est le seul à cesser le péage quand l’Investissement est remboursé

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