On a coutume de dire que le Français n’est pas un grand voyageur. C’est peut-être vrai, mais alors la maxime ne s’applique pas aux pilotes de course. On connaît bien les exploits de Sébastien Bourdais, multiple champion de Champ Car aux Etats-Unis, où il côtoie les frères Philippe, il y a les spécialistes de l’endurance comme Romain Dumas ou Manu Collard, pour ne citer qu’eux, mais il ne faudrait pas oublier le petit groupe qui brille sur les circuits japonais, et dont le meilleur représentant pour 2006 est Benoît Tréluyer, champion de Formula Nippon et valeur sûre du championnat SuperGT. Bref, le top niveau sur les pistes du deuxième marché automobile mondial. Il s’avère que c’est en plus un garçon extrêmement sympathique qui a bien voulu nous accorder un long entretien en marge du Nismo Festival 2006.
Pour ceux qui le connaîtraient mal, un rapide résumé de sa carrière:
Né le 7 décembre 1976 à Alençon, il commence le kart en 1990. En 1994 il passe à la monoplace en Campus, puis en Formule Renault où il fait à chaque fois deux saisons. C’est ensuite la F3 à partir de 1997: il finit 3ème du championnat en 1999, après s’être fait remarquer en survolant le GP de Pau devant les autres européens.
Mais faute de débouchés en Europe, il fait ses bagages et part au Japon pour la saison 2000. Là encore, il y passe deux saisons en F3 et remporte la seconde en 2001, dominant outrageusement avec 13 poles et 15 victoires sur 19 courses. Cette même année, il remporte la World Cup, classement combiné des deux traditionnelles épreuves de fin de saison où se retrouvent les meilleurs représentants internationaux de la discipline, en finissant second à Macau et troisième en Corée.
A partir de 2002, il fait son trou parmi l’élite locale, en disputant chaque année les deux championnats les plus importants du pays, la Formula Nippon et le SuperGT. Il revient disputer les 24 heures du Mans, où il termine 4ème en 2004 sur la Pescarolo derrière les trois Audi. Une montée en puissance et en maturité progressive dans les championnats japonais l’amène à sa meilleure année en 2006, où il gagne le titre en monoplace et signe avec son équipier la victoire dans les 1000 km de Suzuka, l’épreuve phare de la saison SuperGT.
C’est donc un Benoît Tréluyer tout sourire qui s’asseoit avec Le Blog Auto pour évoquer sa vie de pilote au pays du Soleil Levant.
LBA: J’imagine que tu es très satisfait de ce titre 2006 ?
BT: Il y avait longtemps que je courais après. J’y suis presque en 2003 pour ma seconde saison, mais je me fais sortir à un moment crucial et je termine deuxième. En 2004, un loup sur la voiture, en l’occurrence une coque délaminée que nous mettrons une demi-saison à trouver, nous gâche le début du championnat. 2005 est une saison à oublier, où me tombent dessus tous les ennuis possibles. Je ne crois pas à la malchance, mais cette année-là j’y ai vraiment eu droit à tous les coups.
En 2006, tout s’est enfin bien déroulé. J’avais un nouvel ingénieur, Ricardo Divilla, qui grâce à son immense expérience (il a commencé avec Emerson Fittipaldi), m’a apporté beaucoup de confiance pendant les week-ends de course. Si tu fais attention à ne négliger aucun détail, tu fais la différence.
Ce titre ,c’est très gratifiant, à cause du palmarès de la catégorie (NDLR : nombre de pilotes titrés ont fait le saut en F1, Irvine, Frentzen, Ralf Schumacher…), et puis il faut savoir qu’on se bat contre des pilotes qui sont pour certains là depuis plus de dix ans, avec des tonnes d’expérience. Il ne faut pas penser que c’est simple, il y a pas mal de gens qui sont venus et s’y sont cassé les dents. Alors, oui, vraiment satisfait.
La voiture qui a permis à Benoît de remporter le titre 2006
LBA: Pourquoi as-tu choisi de venir au Japon ?
BT: Je n’ai jamais eu d’argent pour courir, au début de ma carrière je m’attendais à devoir arrêter à la fin de chaque saison. A la fin de 1999, j’avais une possibilité en Grande Bretagne, très hypothétique, et une proposition, pas mirobolante mais ferme, pour une saison au Japon. J’ai préféré la deuxième solution. J’ai débarqué avec 20.000 francs, et l’ambition de vivre des primes de résultat. De toute façon, si je n’étais pas assez bon, je n’avais rien à faire ici. J’ai vraiment tiré le diable par la queue la première année, mais je suis resté…
LBA: En F.Nippon comme en SuperGT, tu es maintenant depuis 3 ans dans le team Impul. C’est une écurie très établie, dont le patron Kazuyoshi Hoshino est une légende ici, premier pilote japonais à s’être aligné en F1 en 1976, un genre de Mario Andretti local. En SuperGT, tu conduis la Nissan Calsonic bleue numéro 12, c’est une voiture mythique. Comment le vis-tu ?
BT: Absolument, je suis très conscient de ça. Monsieur Hoshino m’a repéré lui-même en 2002, sur mon coup de volant dans les Esses de Suzuka alors que j’étais au milieu de grille, dans une voiture pas très performante. J’ai intégré le team et j’ai couru avec Motoyama . Quand Kazuyoshi Hoshino a arrêté de piloter, il m’a désigné pour prendre son volant sur la GT et en Nippon. C’est un grand honneur pour moi.
LBA: Mais tu es pilote Nissan ?
BT: Je suis pilote officiel Nissan, prêté au team Impul. La voiture est identique à celles de Nismo, avec des ingénieurs de Nissan détachés chez nous.
LBA: Tu es bien dans cette équipe ?
BT: C’est comme une famille, et Monsieur Hoshino est un peu comme mon père japonais. Je m’entends très bien avec son fils Kazuki qui es mon équipier depuis cette saison. Il a eu un peu de mal à trouver la vitesse en début de saison, mais il a été régulier et n’est jamais sorti, un bon job pour un rookie. Et j’apprécie aussi beaucoup le support des fans.
La Skyline d’il y a quinze ans: même numéro, même décoration
LBA: Les Japonais sont effectivement énormément enthousiastes, et loyaux à leur marque ou leur équipe préférée. Les tribunes regorgent de gens habillés en bleu Calsonic, par exemple.
BT: Je n’ai jamais ressenti ça en France. Ici, les gens viennent nous voir après chaque course, pour nous féliciter ou nous pousser à faire mieux. J’ai une anecdote: chaque année à Motegi, je repère un couple qui agite des drapeaux pour moi à chaque passage, toujours au même endroit. Je ne les ai jamais vu dans le paddock, ils n’ont sans doute pas de quoi se payer le supplément. Ca me touche beaucoup. Les circonstances m’en ont empêché jusqu’à présent, mais je veux m’arrêter un jour après la course dans ce virage pour les remercier et leur offrir quelque chose. Il y aussi un fan qui a refait sa voiture exactement aux couleurs de la voiture de course, et qui vient nous voir à chaque fois. Ce support me motive énormément. Et surtout chez Nissan, tu sens la passion pour la marque, toutes ces Skyline de toutes les époques dans les parkings du circuit…
(NDLR: ce ne sont pas que des mots: j’ai pu voir quelques minutes après Benoît se prêter avec enthousiasme à la traditionnelle « Grid Walk », séance de rencontre avec le public sur la grille de départ).
La passion en famille