Frédéric Sausset, quadri-amputé va courir les 24 heures du Mans 2016 dans une semaine. C’est l’aboutissement d’une volonté farouche de faire face à l’adversité, d’un goût immodéré pour la vie et d’une passion pour la course automobile.
Nous connaissions bien Christophe Tinseau, pilote solognot aux multiples participations aux 24 heures du Mans. Nous avions été intéressés par le coaching qu’il exerçait auprès de Frédéric Sausset, ce chef d’entreprise, qui malgré une amputation des bras et des jambes en 2012, revenait dans les courses VdV des valides, à bord d’un proto Ligier JS53 EVO 2 adapté.
Nous savions que le grand défi de Frédéric était de pouvoir rouler aux 24 heures du Mans. Renforcé dans son projet après avoir eu la possibilité d’effectuer un tour du grand circuit, lors des essais libres de l’édition 2015, Frédéric poursuivait alors un entrainement intensif au cas où les choses seraient possibles.
La volonté de l’ACO, portée par le Président Pierre Fillon, instruite par Vincent Beaumesnil le Directeur sportif et pleinement soutenue par la FIA, permettait la concrétisation du projet en invitant la Morgan LMP2, engagée par le team SRT 41 by Oak Racing, à occuper « le 56ème stand », réservé à l’expérimentation de technologies nouvelles.
La veille de la journée test nous avons croisé Frédéric Sausset dans le paddock.
le blog auto : Alors, demain vous allez-donc rouler officiellement sur le grand circuit du Mans ?
Frédéric Sausset : « Oui, c’est l’aboutissement de ce défi qui est né en 2013. Pour l’instant je ne mesure pas encore. Je commence à me rendre compte que l’on n’est pas loin du bout, mais il y a beaucoup d’appréhension. C’est logique parce que je ne suis pas un pilote professionnel. Par contre, j’éprouve également beaucoup d’excitation ».
LBA : Vous avez effectué un seul tour de ce circuit des 24 heures ?
FS : « Oui j’ai fait un tour avec ma petite CN, lors de la séance d’essais du mercredi soir en 2015 et j’ai tout à découvrir, vraiment ».
Une adaptation technique pointue
Lors du roulage du dimanche, nous n’avons pu pas assister à la mise en place de Frédéric dans le baquet de sa LMP2, préservant ainsi sa volonté de se concentrer pour réussir au mieux son adaptation au tracé, au trafic et aux performances de la voiture. Par contre, Benoît Bagur ingénieur chez Onroak Automotive nous a apporté quelques précisions quant à l’aménagement spécifique de cette Morgan N° 84. Six mois de préparation et d’essais auront été nécessaires pour que l’auto du SRT41 puisse être utilisée alternativement par Frédéric Sausset, puis par Christophe Tinseau et Jean-Bernard Bouvet, pour le SRT41.
Pour permettre à Frédéric de piloter son proto comme son fauteuil, un système d’axe cannelé verrouillé sur le volant fait l’affaire. Avec des palettes intégrées dans le siège et actionnées par les cuisses, on freine en poussant à droite et on accélère, en poussant à gauche. Les changements de rapports ont été automatisés avec un embrayage centrifuge. Quand Fréderic est sorti de la voiture pour être relayé par un coéquipier (opération exécutée en 3 minutes), on repasse les commandes en connexion normale, avec changements de vitesses au volant et des pédales de frein et d’accélérateur, classiques.
Journée test réussie
A la fin de la journée test, alors que les temps réalisés par Frédéric donnaient toute satisfaction aux membres du team issus du OAK Racing et avaient de quoi étonner les spécialistes des courses d’endurance (entre les LMP2 et les GTE NDLR) , nous avons retrouvé successivement Frédéric et Christophe.
LBA : Hier, Frédéric, c’était l’appréhension, aujourd’hui vous recevez des félicitations…
FS : « Oh oui. Il me fallait ce matin découvrir le grand circuit et on avait des obligations imposées par l’organisation (10 tours à parcourir). On a voulu traiter cela ce matin, j’ai roulé 11 tours. Cet après-midi le but était de rouler et de continuer d‘apprendre, tout en effectuant quelques réglages ».
LBA : Quelles sont les impressions d’un pilote des 24 heures ?
FS : « C’est très différent de tout ce que j’ai vécu jusqu’à maintenant. La marche franchie est très importante. Je suis plutôt satisfait, ça ne s’est pas mal passé. Maintenant il faut continuer à apprendre, améliorer encore les temps, tout en gardant une grande humilité parce que je n’ai pas tout le professionnalisme de ces Messieurs qui sont en piste avec moi ».
LBA : De quelle longueur seront vos relais ?
FS : « Eh bien, des relais correspondant au plein d’essence. Je crois a priori 12 tours ».
Maintenant que Frédéric a rempli les obligations réglementaires, Christophe (Tinseau) pouvez-vous nous résumer l’histoire de cette aventure avec Frédéric ?
Christophe Tinseau : « Tâche difficile, car ça a duré 3 ans. La première année j’ai appris à Frédéric à rouler avec une voiture de série, après on est passé à la compétition en VdV et puis cette année, on est arrivé au gros proto, en LMP2 pour faire Le Mans ».
LBA : Comment est né ce projet Le Mans ?
CT : « Frédéric a toujours été passionné par le sport automobile et à ce titre-là, Le Mans ça reste le Graal. Compte tenu de son accident médical, il voulait disputer la plus belle course au monde. Quand il m’a vu pour la première fois c’était pour me dire : j’ai envie de faire Le Mans. Après, je l’ai aidé comme j’ai pu pour aller rencontrer les gens. La personne qui a joué un rôle déterminant dans le projet aura été Vincent Beaumesnil, Directeur sportif de l’ACO ».
LBA : Vous allez disputer votre douzième édition des 24 heures quel est votre rôle auprès de Frédéric ?
CT : « J’ai aidé Frédéric à apprendre à piloter mais petit à petit Frédéric a construit sa capacité à conduire de belle manière. On peut dire qu’il est sans doute passé à côté d’une belle carrière de pilote. Pour la course, je l’épaulerai en tant que coéquipier, voilà, tout simplement ».
LBA : Pour la course vous bénéficiez d’une belle structure technique ?
CT : « L’équipe Onroak est un team de référence avec une équipe de mécaniciens juste sympas et compétents, qui correspond tout à fait au projet. Sébastien Metz comme superviseur Benoit Bagur à la technique et Dorion à la stratégie constituent un trio d’ingénieurs compétents, impliqués et efficaces ».
Dans le stand, les sourires sont de mise. On sent un grand courant de chaleur humaine et d’intense solidarité. Jean-Bernard Bouvet, Christophe Tinseau et Frédéric Sausset forment un équipage solide en totale osmose avec toute une équipe engagée à fond pour faire reconnaître la légitimité de Frédéric comme pilote des 24 heures.
On ne peut que se réjouir du choix de l’ACO d’avoir donné à ce team SRT 41 by Oak Racing l’occasion de promouvoir une telle initiative. Nous serons bien évidemment attentifs à suivre la course de la N°84, tout à la fois techniquement normale et humainement extraordinaire.
Crédit photographique : Gilles Vitry, Thierry Coulibaly, Pascal Aunai / Pascalphotos.net, et team