La dernière crise en date concerne Lordstown Motors, qui ambitionne de débuter la production d'un pick-up électrique en septembre dans une ancienne usine de General Motors. Pour ce faire, la société a levé 675 millions de dollars en octobre via un SPAC, un instrument financier à la mode. Mais Lordstown a prévenu début juin qu'elle pourrait n'avoir pas suffisamment d'argent pour produire un véhicule à échelle commerciale.
"Il est vraiment plus difficile pour une petite entreprise de réussir" dans le secteur automobile "car les coûts fixes sont très élevés", remarque Jessica Caldwell du cabinet Edmunds. Non seulement, il faut disposer d'une grande usine mais encore, il faut mettre en place toute une chaîne d'approvisionnement pour les nombreuses pièces d'un véhicule.
Dans un nouveau revers pour l'entreprise, Lordstown a annoncé lundi la démission de son directeur général, juste après la parution d'un rapport reconnaissant que l'entreprise avait fait des déclarations inexactes sur certaines pré-commandes. La start-up a encore dû "clarifier" jeudi dans un document boursier des récents commentaires de la présidente du conseil d'administration sur les commandes.
Après être montée à plus de 30 dollars en février, l'action en valait environ 10 jeudi.
- Comment rivaliser? -
Cette crise rappelle celle traversée par Nikola à l'automne 2020.
Entrée en Bourse en juin 2020, la valorisation de la start-up qui développe des camions électriques et à hydrogène avait temporairement dépassé celle du vénérable constructeur Ford. Mais un rapport d'une société d'investissement contestant de nombreuses déclarations de l'entreprise a poussé son patron vers la sortie et sévèrement remis en cause un partenariat avec General Motors.
Autres dysfonctionnements: le co-fondateur de Canoo, qui développe un van électrique, a démissionné en avril après avoir géré l'arrivée de son entreprise à Wall Street en décembre tandis que Lucid Motors a retardé en février la sortie de sa berline de luxe électrique, trois jours après avoir annoncé sa prochaine entrée en Bourse à une valeur de 11,75 milliards de dollars.
La pente est d'autant plus raide pour ces start-up qu'elles font désormais face à la montée en puissance des constructeurs traditionnels sur le créneau.
Face au F-150 Lighting, la version électrique d'un pick-up que Ford prévoit de commercialiser en 2022 à 40.000 dollars, une société comme Lordstown "perd son modèle économique", estime Mme Caldwell.
Comment rivaliser en termes de prix avec un groupe qui produit des voitures à grande échelle depuis plus de 100 ans?
Certaines start-up tireront leur épingle du jeu en choisissant une niche, avance l'experte. Rivian par exemple prépare un pick-up certes plus cher que le F-150 mais plus compact, qui pourra attirer une autre clientèle.
- Ruée en Bourse -
Mais "tout le monde veut être le prochain Tesla", l'entreprise d'Elon Musk devenue leader sur le créneau des véhicules électriques et particulièrement prisée à Wall Street, observe Mme Caldwell.
Comme on est encore aux prémices - les véhicules électriques représentent actuellement entre 2% et 3% des ventes aux Etats-Unis - de nombreux investisseurs ne veulent surtout pas laisser passer l'occasion. Et se ruent sur les SPAC disponibles.
Cette méthode permet à une entreprise d'entrer en Bourse en fusionnant avec une société déjà cotée, évitant au passage certaines contraintes réglementaires et lui permettant de faire des prévisions financières aguicheuses beaucoup plus librement que dans une opération traditionnelle.
Depuis l'arrivée de Nikola à Wall Street en juin 2020, cinq autres fabricants de véhicules électriques ont eu recours à cette outil, selon le cabinet SPAC insider: Fisker, Canoo, Lordstown, Lion Electric et Arrival. Et quatre autres sont dans les tuyaux: Faraday Future, Lucid Motors, Electric Last Mile Solutions et Xos.
Mais il a fallu plus de 15 ans à Tesla pour dégager régulièrement des profits, souligne Karl Brauer du site spécialisé CarExpert.com. "C'est un long processus qui ne peut pas être raccourci par une rapide infusion de cash."
Entrer en Bourse via un SPAC n'est pas en soi un problème. "Mais si cela conduit au financement prématuré d'une entreprise, alors il y a plus de chance qu'elle échoue", avance-t-il.
Pour le maire de la ville de Lordstown, qui avait accueilli l'entreprise avec soulagement lorsqu'elle avait repris l'usine de GM, l'incertitude reste de mise.
"J'étais très optimiste", a-t-il dit à l'AFP. "J'attends maintenant de voir ce qui peut bien encore arriver."
John BIERS, Juliette MICHEL