Entretien F1 : Paul Hembery, directeur de Pirelli Motorsport, répond aux questions du blog auto
par Pierre-Laurent Ribault

Entretien F1 : Paul Hembery, directeur de Pirelli Motorsport, répond aux questions du blog auto

Il y a deux semaines, le blog auto était convié par Pirelli à assister au Grand Prix du Japon. Une expérience extrêmement intéressante, permettant d’observer de près une discipline qui ne se laisse pas facilement approcher en temps normal, mais ce fut surtout l’occasion de poser à Paul Hembery, le très britannique gentleman qui préside aux destinées de la branche sportive du manufacturier, un certain nombre de questions des lecteurs du blog auto quant au rôle de Pirelli en tant que fournisseur de pneumatiques unique de la Formule Un depuis le début de la saison.

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Paul Hembery est devenu depuis le début 2011 une figure reconnue dans le paddock, qu’il arpente en compagnie de la petite troupe d’ingénieurs du manufacturier pour répondre à ses clients, les écuries, et gérer le rôle important qui a été confié aux pneus dans le déroulement des courses par la FIA. Il occupe le poste de directeur des activites sportives de Pirelli depuis onze ans et a été l’architecte de la fourniture des pneus en WRC avant de se lancer dans le projet F1.

Affable, il n’épargne pas sa peine pour répondre aux sollicitations et communique diplomatiquement mais tous azimuts, de twitter aux télévisions. Sa tâche a été facilitée jusqu’à présent par le fait que Pirelli a réussi sans erreur majeure à reprendre le flambeau de Bridgestone, sachant se sortir des problèmes avant qu’ils ne deviennent inextricables : trouver un équilibre pour la durée de vie des pneus sans générer un nombre absurde d’arrêts comme on a pu le craindre un moment en début de saison, désamorcer le problème des conditions d’utilisation survenu à Spa, et plus généralement ne pas déclencher l’ire de telle ou telle écurie. Reste le problème de l’utilisation des pneus en qualification, lorsque les pilotes préfèrent ne pas sortir en Q3 en vue de la stratégie de course. Paul Hembery n’a pas encore de réponse définitive sur ce point qui reste un sujet de discussion en vue de l’année prochaine comme il nous l’explique. Place à l’interview.

Question : Le public a tendance à considérer qu’un pneu est bon s’il allie performance et endurance. A l’inverse, dans le contexte de la F1, le besoin de favoriser une compétition serrée génère des objectifs différents, en particulier le besoin d’avoir des pneus très performants sur une courte période et d’autres plus lents mais plus endurants. C’est le cas depuis longtemps en F1, mais le phénomène est exacerbé en 2011. Les fans qui suivent la F1 de près s’y retrouvent et peuvent apprécier les différences entre les différents types de gommes et le plus qu’ils apportent en guise de stratégie, mais comment pouvez-vous inscrire cet exercice très spécifique dans le marketing à destination d’un plus large public ? Etes-vous satisfait des retours en terme d’image pour Pirelli depuis le début de la saison ?

Paul Hembery : “Il est important de faire la distinction entre les pneus de course et les produits pour la route, et de communiquer sur cette différence de façon efficace. Nous avons explicité très clairement quelles sont les priorités et les objectifs pour notre activité en Formule Un. Ils répondent au cahier des charges qui nous a été imposé dans le but de favoriser les dépassements. Bien entendu, cela ne veut pas dire que nous ne saurions pas faire un pneu qui puisse durer une course entière, ou même cinq ou six courses. Ce serait bien en fait bien plus simple pour nous. Mais les caractéristiques d’usure de nos pneus de F1 sont délibérément complètement différentes de celles de nos pneus de route, parce qu’ils sont conçus pour remplir des tâches complètement différentes. Et nous pensons que les gens le comprennent bien, puisque les ventes de nos produits pour la route ont augmenté de manière significative depuis que nos sommes en F1. Donc oui, nous sommes très satisfaits du feedback que nous recevons en terme d’image de marque.”

Question : Pirelli a semble-t-il fait du bon travail pour se mettre au niveau tôt dans la saison. Il n’y a pas eu de problèmes notables liés aux pneus à l’exception des soucis liées au carrossage extrême utilisé par certaines écuries aux essais à Spa, qui se sont finalement avérés bénins. Quelles étaient vos plus grandes craintes au début de la saison, et en êtes-vous maintenant là où vous aviez prévu d’être à ce stade de la saison ?

Paul Hembery : “Je pense que notre plus gros souci après avoir signé l’accord était tout simplement la question des délais. Entre notre premier roulage en essais privés et la première séance de tests collective il y a eu seulement quatre mois, et trois mois après ça jusqu’au premier Grand Prix en Australie. Donc nous avons dû affronter la tâche considérable, à la fois technique et logistique, de fabriquer les pneus les plus perfectionnés de tout le sport auto et de recruter les meilleurs individus possibles dans un laps de temps qui ne nous laissait aucune marge d’erreur. Arrivé au début effectif de la saison, les choses sont en fait devenues plus faciles parce le gros du travail initial avait été fait et les infrastructures étaient en place. Nous sommes heureux d’en être là où nous en sommes en ce moment, et fiers de nos collaborateurs, mais la nature même de la Formule Un fait que vous n’êtes jamais complètement satisfait. Il faut toujours courir après la prochaine amélioration, la prochaine évolution. Et nous ne sommes pas différents des autres acteurs de la F1 sur ce point.”

Question : Inévitablement, il y a sûrement des châssis qui sont plus compatibles avec les caractéristiques de vos pneus que d’autres. Comment est-ce que vous gérez cette situation ? Est-ce que vous distribuez vos produits à tout le monde en disant “Voilà les pneus, débrouillez-vous”, ou bien essayez-vous d’adapter les caractéristiques au fur et à mesure pour limiter les éventuels avantages qu’une voiture donnée pourrait avoir naturellement, afin de rester le plus neutre possible ?

Paul Hembery: “Nous devons être neutre, et faire un pneu qui fonctionne de la même façon pour tout le monde, mais au bout du compte il n’y a pas de surprise : les meilleurs écuries tendent à utiliser les pneus le plus efficacement, et nous n’y sommes pour rien. C’est simplement parce que leurs voitures sont les mieux conçues. Les retours des pilotes au sujet des pneus sont plutôt bons, que ce soit à l’avant ou à l’arrière de la grille. Il est important de préciser que toutes les écuries reçoivent de notre part les mêmes produits et le même niveau de support."

Question : Que deviennent les pneus usagés après la course ? Est-ce vous avez un programme de recyclage en place ? De façon plus générale, quelles mesures en faveur de l’environnement avez-vous intégré dans le développement des pneus de course ?

Paul Hembery : “L’environnement est très important pour nous, et nous nous sommes engagés à retraiter nos pneus de la façon la plus écologique possible. Tous les pneus sont renvoyés à notre base d’opérations en Grande Bretagne après chaque Grand Prix et hâchés en granulés qui sont ensuite brûlés à très haute température en guise de carburant dans des cimenteries. A cause de la température très élevée, il n’y a pas de dégagement toxique et les cendres résultantes ne sont pas toxiques non plus. C’est un procédé que nous utilisons depuis 2002 et qui est très utile pour nos pneus de F1. Pour ce que est de la production, nous avons commencé à éliminer les huiles aromatiques en 2007 et nous sommes l’entreprise la plus en pointe dans la catégorie “Composants automobiles et pneumatiques” de l’indice mondial Dow Jones Sustainability pour les quatre dernières années.”

Question : Avez-vous appris quelque chose de nouveau cette année en développant des pneus spécifiquement destinés à la F1 ? Pouvez-vous en tirer quelque chose directement pour les pneus de route ?

Paul Hembery : “Notre façon de voir les choses sur ce point est la suivante : le développement d’un bon pneu repose sur l’alliance entre la créativité et la technologie. Cela s’applique aux pneus routiers autant qu’à la Formule Un. Dans le cas de la F1, nous avons du être particulièrement créatifs pour déterminer ce que nous voulions faire avec les pneus. Notre créativité nous a offert la vision, mais il nous a fallu développer la technologie pour tourner cette vision en réalité. Cette façon de faire n’est pas propre au domaine sportif. Pour prendre l’exemple du P1 Cinturato destiné aux voitures compactes, Pirelli avait une vision assez claire de ce qui devait être fait : meilleure efficacité, moins de résistance au roulement, moins de bruit de roulement et une vie plus longue, dans un des secteurs clés du marché. Nous estimons avoir réussi à atteindre ces objectifs grâce à nos dernières avancées technologiques, et cela inclut la Formule 1. Et au printemps prochain nous allons lancer le P Zero Silver, qui sera notre premier pneu de route directement dérivé de la technologie de la Formule Un.”

Question : Au début de la saison, le sujet de des “marbles”, les billes de gomme hors trajectoire, est revenu régulièrement. Ces derniers temps on en entend moins parler. Avez-vous fait quelque chose de particulier à ce sujet, ou bien est-ce un paramètre qui est désormais accepté et géré par les teams ?

Paul Hembery : “Je ne pense pas que le sujet des marbles soit venu si souvent au début de l’année. Cela a été effectivement mentionné à une ou deux courses mais vraiment hors de proportion. Mais il est vrai les teams ont été très rapides à comprendre les caractéristiques spécifiques de nos pneus et adapter les voitures en fonction. C’est très significatif de la rapidité d’évolution de la technologie en Formule Un. Plus la saison a avancé et plus nous nous sommes concentrés sur des pneus plus tendres, qui en théorie devraient générer plus de ces billes de gomme, et pourtant le sujet n’est plus évoqué. En fait, il n’y en a ni plus ni moins qu’en début de saison, mais ça n’est plus un facteur nouveau.”

Question : Pouvez vous nous donner quelques chiffres pour nous permettre de nous rendre compte de la taille du dispositif de Pirelli en F1 ? Combien de personnes se déplacent-t-elles de Grand Prix en Grand Prix ? Combien de pneus apportez-vous sur une course ? Combien de temps prend la fabrication d’un pneu de F1 ?

Paul Hembery : “Au total, nous avons à peu près 50 personnes sur chaque course, et nous apportons en moyenne 1800 pneus par épreuve, plus encore s’il y a des courses de GP2 et GP3 dont nous sommes également fournisseur. La fabrication d’un pneu ne prend pas beaucoup de temps, quelques heures, mais la R&D qui est derrière est le résultat de nombreuses années d’expérience.”

Question : Pour conclure, quels sont vous objectifs pour développer encore les pneus l’année prochaine ? Quelles sont les directions que vous voulez explorer ? Etant le seul manufacturier, quel type de challenge vous fixez-vous ?

Paul Hembery : “Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire la saison prochaine, et de notre point de vue nous voulons essayer d’être les plus imaginatifs possible pour que les pneus contribuent au maximum au spectacle. C’est dans ce but que nous avons initialement choisi d’être en F1. Cependant nous devons également prendre en compte les considérations financières et logistiques des teams, qui sont au final nos clients. Nous aimerions ajouter des options supplémentaires l’année prochaine, par exemple en augmentant la gamme de pneus disponibles, mais il faudra l’accord des teams. Nous voulons aussi faire quelque chose pour améliorer le spectacle pendant les qualifications. Cette année nous avons eu la chance de voir de très belles actions en course, mais les pilotes ont été plus conservateurs en qualifications, particulièrement en Q3. C’est une chose que nous voulons examiner de plus près en vue de 2012.”

Merci à Paul Hembery d’avoir pris le temps de répondre a nos questions, et le blog auto lui souhaite une bonne fin de saison, à lui et son équipe.

Crédit photos : PLR/le blog auto

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Pour résumer

Il y a deux semaines, le blog auto était convié par Pirelli à assister au Grand Prix du Japon. Une expérience extrêmement intéressante, permettant d’observer de près une discipline qui ne se laisse pas facilement approcher en temps normal, mais ce fut surtout l’occasion de poser à Paul Hembery, le très britannique gentleman qui préside aux destinées de la branche sportive du manufacturier, un certain nombre de questions des lecteurs du blog auto quant au rôle de Pirelli en tant que fournisseur de pneumatiques unique de la Formule Un depuis le début de la saison.

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