A l'occasion de la présentation de la GMA T.50, nous avons esquissé un bref historique sur les voitures à turbine, en commençant par celles qui utilisaient une turbine à gaz comme moyen de propulsion. Nous nous penchons aujourd'hui sur les voitures qui ont utilisé des turbine à vocation aérodynamique, principalement en compétition.
Si les voitures de grand prix des années 50 sont encore dans l'esprit d'avant-guerre, c'est à la fin de la décennie et au début des sixties que s'opère la première révolution, avec l'introduction par Cooper du moteur arrière, qui devient en quelques années la norme. C'est ensuite dans le domaine de l'aérodynamisme que les recherches et les expérimentations des ingénieurs se focalisent, grâce notamment à une interaction de plus en plus forte avec le monde de l'aéronautique, à l'image de Matra.
Bip, bip !
C'est la défunte marque Chaparral créée par Jim Hall qui a ouvert les hostilités. Portant le nom de cet oiseau emblématique du Texas, appelé égalemet Géocoucou et coursé par un célèbre coyote, la marque américaine détonne dans le monde du sport automobile des sixties en apportant des innovations qui feront école, comme les ailerons mobiles, les radiateurs latéraux ou encore la boîte semi-automatique. Développées pour le fameux championnat CanAm, la Chaparral 2E de 1965, avec son immense aile mobile reliée au pédalier et qui pouvait, sur action du pilote, changer d’inclinaison en roulant, et la 2H ultra profilée, furent parmi les plus spectaculaires prototypes de leur temps. Mais celle qui nous intéresse est la dernière création CanAm de Jim Hall, la Chaparral 2J de 1970.
Animée par un monstrueux V8 Chevrolet de 7,6 litres, la 2J détonne par son apparence, qui donne l'impression que la voiture a été coupée en deux. Mais ce qui se trouve à l'arrière du châssis est incroyable. 7 ans avant Lotus avec la 78 F1, Jim Hall introduit l'effet de sol sur son prototype : les bords inférieurs des côtés du châssis sont munis de "jupes" articulées, fabriquées en Lexan, un polycarbonate développé ici par la branche chimie de General Electric. Ces jupes sont intégrées au système de suspension afin que le bas de la jupe maintienne une distance minimale au sol, indépendamment des forces G ou des anomalies de la surface de la route, cloisonnant ainsi l'espace entre le sol et les bords du châssis. L'air qui circule dans cet espace est alors aspiré par deux ventilateurs, visibles à l'arrière de la 2J, qui sont actionnés par deux moteurs 2-temps de motoneige.
En aspirant l'air sous la voiture, ils créent ainsi un effet ventouse redoutable en termes d'appui aérodynamique. D'emblée, la 2J se montre 2" plus rapide au tour en qualifications que la McLaren M8D qui était pourtant la voiture archi-dominatrice de la série. Des soucis de fiabilité empêchent à la Chaparral de concrétiser en course, mais la riposte ne se fait pas attendre. Sur la foi des plaintes de la concurrence, qui accuse ces ventilateurs d'être assimilables à des "dispositifs aérodynamiques mobiles" (que la FIA venait d'interdire) et aussi de projeter dans leur sillage toutes sortes de poussières et de gravillons dangereux pour les suiveurs, les autorités légifèrent et interdisent le système. Dégoûté par ces manœuvres, Jim Hall arrête les frais. Chaparral disparait mais fera un retour spectaculaire à la fin des années 70 avec la monoplace 2K qui introduisit l'effet de sol en Indycar.
Un petit tour et puis s'en va
8 ans plus tard, l'astuce revient cette fois-ci en Formule 1. Introduit sur la 78 puis amélioré sur la somptueuse 79 avec ses pontons en profil d'aile inversée et les jupes latérales, le principe de l'effet de sol donne à Lotus un avantage net sur la concurrence. L'appui aérodynamique est amélioré tout en réduisant la traînée engendrée par les ailerons conventionnels. La concurrence se doit de réagir, mais l'écurie Brabham ne peut pas utiliser le principe de l'effet de sol et l'effet Venturi...à cause de son moteur ! En effet, le Flat 12 Alfa Romeo est si large que la monoplace ne peut être munie des fameux pontons à dépression sans dépasser les limites imposées par le règlement.
Gordon Murray s'inspire alors de la Chaparral 2J et imagine un ventilateur à hélice, piloté par l'embrayage, lui-même relié au moteur : plus le moteur tourne vite, plus le ventilateur tourne et crée un effet de sol important. L'énorme ventilateur de 18"est monté à la verticale, à l'arrière. Tournant à 8000 trs/min et associé aux jupes latérales coulissantes sur les pontons comblant le creux entre les flancs de la voiture et le sol, il peut générer un effet de succion qui plaque la voiture au sol. Comme le règlement interdit les dispositifs aérodynamiques mobiles, la vocation du ventilateur, placé horizontalement au-dessus du moteur, est également d'aspirer l'air à travers un radiateur pour refroidir le Flat12, ce qui est bien évidemment légal. Avant-même son engagement en course, les rumeurs vont bon train. Colin Chapman, Ken Tyrrell et Teddy Mayer (McLaren) dénoncent un procédé illégal. Ecclestone et Murray se défendent en assurant que ce ventilateur ne sert qu'à refroidir le Flat 12 Alfa Romeo qui surchauffe beaucoup, mais pas grand monde est dupe. Normal, puisque Tyrrell avait aussi testé fin 1977 en secret un ventilateur sur la future 008 lors d'essais sur le Ricard !
La BT46B est introduite en Suède. Tout le monde a les yeux rivés sur la Brabham, qui s'affaisse de 2 centimètres quand le moteur est démarré, si bien que quand elle est à l'arrêt dans les stands, le ventilateur est caché par...des couvercles de poubelles ! Malgré les premières plaintes, notamment de Mario Andretti qui proteste des projections éjectées par la turbine et dangereuses pour le pilote qui suit (ce qui, selon Murray, était exagéré car le flux d'air sortant était bien plus faible que la vitesse de la voiture), les Brabham sont autorisées à rouler. Les réservoirs sont remplis pour ne pas signer de chronos trop significatifs, mais Lauda et Watson se qualifient néanmoins 2e et 3e ! En course, si Watson abandonne, Lauda suit Andretti comme son ombre. La Brabham semble rivée sur des rails, en prenant des trajectoires bien plus tendues que la Lotus. Au 39e tour, l'autrichien passe l'américain, signe le meilleur tour en course et gagne avec 30 secondes d'avance ! Immédiatement, les autres équipes saisissent la CSI qui enquête. Des commissaires se rendent à l'usine Brabham pour mesurer le flux d'air...et constatent que plus de 50% de l'air est envoyé au refroidissement, ce qui rend le système...légal ! La BT46 de Lauda n'est pas disqualifiée, mais la CSI interdit l'usage des ventilateurs avec effet immédiat. Ecclestone est obligé de battre en retraite, les autres équipes ayant menacé de lui retirer leur soutien pour diriger la puissante FOCA...dans un contexte de tension grandissante avec Jean-Marie Balestre, le nouvel homme fort des instances sportives, "Bernie" ne pouvait se le permettre. On ne verra plus de "fan car" en course, hormis virtuellement avec le concept RedBull X2014 pensé par Adrian Newey...pour le jeu Gran Turismo !
La turbine fera une tentative de retour très loufoque en 1980 avec le projet Lion Grand Prix conçu par David Cox. Elle était propulsée par une turbine à gaz de 1100 CV alimentée au kérosène et avait 12 roues de Formule 3, dont 10 pivotantes (!!!). Cox faisait valoir que douze roues de plus petit diamètre réduiraient la zone frontale et amélioreraient l'aérodynamisme...mais on imagine le cauchemar des mécaniciens pour changer les pneus ! La puissance était répartie entre les roues par ordinateur, maintenue en place par une suspension hydroélastique préfigurant les suspensions actives. La voiture n'avait pas de pédales - elle accélérait et ralentissait avec un joystick...la FISA mit rapidement le holà à ce délire.
T.50, l'aboutissement d'une philosophie ?
Dotée d'un rapport poids/puissance bien dans l'esprit de Gordon Murray, la GMA T.50 embarque une aérodynamique de pointe, développée en partenariat avec Racing Point (l'histoire ne dit pas s'ils ont collaboré sur les écopes de freins ! ) et s’inspire de la BT46 avec l’adoption d’un ventilateur aérodynamique de 8,5 kW et 40 cm de diamètre, intégré à l'arrière de la voiture et alimenté par un moteur électrique de 48 volts. Ce ventilateur est multifonctions !
Le ventilateur, qui à pleine puissance tourne à 7000 trs/min, sert à optimiser le refroidissement mais aussi à améliorer l'appui aérodynamique. Ce ventilateur aérodynamique, disposé au-dessus du double diffuseur arrière, fait fonctionner les diffuseurs agressifs du T.50 en accélérant l'air sous le milieu de la voiture, ainsi qu'en l'aspirant du haut du compartiment moteur. Le dessous de la T.50 se poursuit avec un Venturi accompagné d'un diffuseur très raide qui bloque l'air dans les zones dites "réflexes". C'est cet air sale que le ventilateur arrière exploite, créant beaucoup d'appuis juste sous le milieu du châssis.
Le niveau d'implication du ventilateur est contrôlé non seulement par la vitesse des pales, mais aussi par l'ouverture et la fermeture des vannes dans le diffuseur. En mode Streamline, les valves se ferment partiellement, bloquant le diffuseur et réduisant la force d'appui de moitié, ce qui économise le déplacement des roues et rend la voiture plus confortable et plus efficace.
La conception aérodynamique assistée par ventilateur permet une augmentation de 30% de la force d'appui lorsqu'un mode « High Downforce » est sélectionné. Et en cas de freinage brusque, le "Brake Mode" déploie automatiquement les spoilers arrière à leur angle maximum (+45 degrés), avec le ventilateur tournant et les vannes du diffuseur ouvertes. Cette fonction peut doubler la force d'appui, raccourcissant la distance de freinage de 240 à 0 Km/h de près de 10 mètres. L’autre intérêt du ventilateur, enfin, est de permettre un design épuré qui fait l’impasse sur les gros spoilers et autres déflecteurs, générateurs de trainée, allégeant ainsi la silhouette.
Sources : motorsport magazie, 8W, GMA
Images : wikimedia commons, flickr, GMA