Termes d’automobile : Skiff et Runabout, tous à l’eau !

L’automobile est fille de plusieurs autres secteurs. Elle a été d’abord inventée pour transporter de lourdes charges comme avec le fardier de Cugnot (véhicule vapeur qui ne dépassait guère la vitesse d’un humain au pas). Il y a eu ensuite des pistes comme l’Obéissante qui ressemblait plus à une voiture de train, mue par la vapeur. Puis, avec les débuts des moteurs thermiques qui remplaçaient les moteurs à vapeur, elle a pris le relais de l’hippomobile, reprenant bon nombre de ses codes.

Mais, ce serait vite oublier la contribution de l’aviation, et faut-il le rappeler, celle de la guerre, hélas, qui a poussé l’industrie des moteurs. Saab, BMW, Renault, etc. ils sont nombreux à avoir développé des moteurs, ou plus, pour l’aéronautique. Certains se sont même lancés dans l’automobile bien après l’aviation comme BMW.

L’autre industrie, qui va nous occuper aujourd’hui, c’est le nautisme. Voitures et bateaux sont des associations plus rares, mais qui existent. Certains studios de design automobile s’attaquent encore à des yachts par exemple.

Ici, il est question de carrosseries qui empruntent leur nom ou leur silhouette aux bateaux. On ne parlera pas des voitures amphibies qui sont à la croisée des chemins entre automobile et nautisme, mais bel et bien de voitures automobiles avec des noms de bateaux.

Un runabout pour tous les jours

La première est le runabout. Le runabout est à l’origine un véhicule hippomobile. « Hein ? Attendez, vous venez de dire qu’on allait parler de bateaux ?! ». Léger et découvert, le « running about » (courir partout), est un petit véhicule tracté par un cheval pour les déplacements du quotidien. De nos jours on parlerait volontiers de « commuter ».

L’automobile a alors copié le concept en créant de petits véhicules, souvent deux places, protégés par une simple toile, là encore pour les déplacements quotidiens. Au fil des années, les « runabouts » automobiles seront surtout des versions roadster ou coupés découvertes de voitures classiques. On pourra noter par exemple la marque Packard qui a décliné bon nombre de ses modèles en Runabout. C’était alors une carrosserie classique comme le touring, la limousine, le landau. Et jusque là aucun lien avec le bateau…

Mais, en 1908, John L. Hacker crée Hacker-Craft (ou Hacker Boat Company) qui est le plus ancien constructeur de bateaux en bois qui existe encore de nos jours. John Hacker lance alors des bateaux qu’il appelle « runabout ». Là, on n’est plus dans le petit véhicule léger mais dans le grand bateau surmotorisé pour clients fortunés. Pour ses bateaux, Hacker s’inspire de l’automobile et au lieu de la barre « classique », il dispose un volant directionnel et une manette de gaz.

La tentation de la marine est toujours là

Ces bateaux en bois deviennent très à la mode dans les années 50, surtout avec le constructeur Italien Riva ou Christ-Craft (autre constructeur américain). C’est à cette période que l’automobile s’intéresse de nouveau au runabout qui est tombé dans l’oubli peu à peu. En 1964, General Motors présente un concept à trois roues, le GM Runabout.

Ce concept se veut un véhicule pour les femmes au foyer (on est dans les années 60…). Un chariot pour faire les courses est intégré au véhicule : on s’en sert pour les courses et on le réintègre au véhicule sans sortir les marchandises. Le véhicule est présenté avec d’autres concepts cars dans le cadre de « Futurama 2 » qui se voulait être la vision du futur de nos villes. De nos jours, le terme runabout est encore utilisé populairement dans certains pays pour désigner un petit véhicule pour tous les jours.

En 1997, Peugeot présente au Salon de Francfort le concept 806 Runabout. Là encore, l’univers du bateau est intégré à l’automobile avec un plancher marine, un intérieur type bateau et même un volant qui reprend le style d’une barre. Le concept n’aura pas de dépendance.

Très régulièrement, le carrossier Castagna présente des modèles qui intègrent – de façon plus ou moins heureuse – du bois typé marine. Les liens entre autos et bateaux continuent d’être serrés. En 2016, Fiat et Riva s’associent pour sortir une Fiat 500 Riva. Le but est d’allier l’image de ces deux synonymes de Dolce Vita. De façon ironique, le runabout né hippomobile, puis automobile est passé dans le nautisme avant de revenir dans l’automobile.

Le kiff du skiff ?

En navigation, le skiff peut désigner plusieurs types de bateau. Généralement c’est un bateau léger qui existe en plusieurs tailles. Pour ceux qui ont fait un peu de voile (un peu plus que de l’Optimist s’entend), ils ont certainement appris avec des 29ers ou des 49ers qui sont des skiffs comme une majorité des dériveurs des années 90 et après.

Labourdette, de son côté, est un des grands noms de la carrosserie du début de l’automobile. C’est cette société qui crée le vis-à-vis de Richard-Brasier en 1896 ou qui aide Louis Renault a créé la Type A de 1899. Jean Henri-Labourdette prend le relais de son père en 1910 et va lancer une série de skiffs sur des véhicules prestigieux comme des Panhard & Levassor, Rolls Royce, Peugeot, ou Hispano-Suiza.

L’idée du carrossier va être d’intégrer une poupe de bateau sur les voitures. Ainsi naissent les skiffs automobiles. Les deux premières furent une Panhard&Levassor X19 Torpedo de 1912 (cf. ci-avant), ainsi qu’un Gobron-Brillié aussi en 1912 (cf. ci-après). Un modèle a été vendu 208 800 € en 2012 par Artcurial ce qui permet de mieux admirer la bête.

Des carrosseries huppées, mais pas uniquement

Le principe est de greffer une carrosserie en bois sur un véhicule classique. Cette carrosserie va plus ou moins prendre les lignes d’un bateau. Les passagers avant et arrière (s’il y en a) sont dans deux « compartiments » séparés par un tablier. En cela, cela rapproche le skiff du double phaeton des années 1920/25 si ce n’est que ce dernière possède un parebrise devant les passagers arrière. Comme pour les phaetons, les occupants sont installés sur de confortables banquettes.

Plusieurs Rolls Royce ont été carrossées par Labourdette en skiff dont certains donnent réellement l’impression d’être dans un bateau lorsque l’on est à bord. Mais, il n’y a pas que des véhicules chers et prestigieux que Labourdette a carrossés en skiff. En effet, il s’est aussi attaqué à des Amilcar par exemple (cf. ci-après). Là encore, la recette est la même : greffer une poupe de bateau sur la voiture.

Labourdette n’a pas été le seul à faire des skiffs. On pourra citer Schebera (Allemagne) qui travaillait aussi sur des Rolls Royce dites Schapiro Schebera (voir ici lors de la vente par Bonhams). En 2015, cette Rolls Royce 40/50 Silver Ghost Skiff de 1914 a été vendue pour un peu plus de 1 millions d’euros ! A noter que la Rolls Royce Silver Ghost 1914 Skiff par Labourdette est considérée comme la plus belle des RR Skiff. A vous de juger (voir ici).

Il n’y a pas que Labourdette

De Dion – Bouton a également créé des skiffs. Sans doute l’un des constructeurs et motoristes les plus réputés de 1900 à 1929, De Dion Bouton a lancé la Type IE pour les classes aisées. Ces dernières peuvent commander la voiture en châssis-moteur et la font carrosser chez l’un des artisans du moment. La Type IE Skiff-Tôlé est réalisée par la carrosserie Georges Aubertin. Ici, l’originalité est d’avoir une forme de bateau, mais une tôle extérieure et non du bois. D’où le terme de skiff-tôlé.

A noter que chez Aubertin, on retrouve un ancien de la maison de Dion – Bouton et qui se fera un grand nom dans la carrosserie automobile : Marcel Pourtout. Il était à l’époque chez Aubertin et a sans doute œuvrer sur le skiff-tôlé. Pourtout est sans doute plus célèbre pour avoir réalisé la Peugeot 401 Eclipse dessinée par Georges Paulin. En 1935 c’était le tout premier coupé-cabriolet de l’histoire de l’automobile.

SKiff comme Runabout sont plutôt prisés des collectionneurs. Ils allient l’automobile au nautisme avec des codes de luxes et de préciosités de chacun des domaines. Régulièrement, un modèle Skiff est mis à l’encan et part pour des centaines de milliers d’euros, même pour des constructeurs « roturiers ».

D’autres carrosseries peuvent se rapprocher des skiffs comme les « duck’s back » de chez Alvis. Mais pour ces dernières, pas de bois marine, juste une forme en poupe de bateau ou…en queue de canard. Certains considèrent aussi que les « woodies » (breaks avec carrosserie arrière en bois) font partie de la même mouvance. Mais, là encore pas de lien avec le nautisme.

(7 commentaires)

    1. Cette Alvis est une interprétation libre d’un passionné de nautisme. Il est parti d’une quasi épave ( 3000 heures de travail quand même !)
      De nombreuses version de la TA14 existent en « woodies » d’origine très en vogue à l’époque.

  1. Juste pour préciser la notion de skiff dans le nautisme :
    – soit un bateau d’aviron, étroit, à 1 place (sans doute l’origine du terme pour l’automobile)
    – soit un dériveur léger ayant, pour faire simple, un rapport poids/puissance lui permettant de déjauger (partir au planning) – si les 29ers et 49ers sont des skiffs connus et répandus, rares sont ceux qui ont appris la voile sur ce type de bateaux, plutôt instables et difficiles à maîtriser. Ceux qui ont un peu appris la voile l’ont sans doute fait sur Optimist, 420, Vago, .. qui ne sont pas vraiment des skiffs.

    1. Le « un peu » s’entend « un peu plus que caboter dans un Optimist » 😉 même moi je me suis traîner en optimist c’est dire que ce n’est pas faire de la voile héhé.
      Mais oui, les skiffs pour être un peu plus technique, permettent de devancer leur propre vague. Par contre c’est « un peu » casse-gueule puisque cela chavire plus facilement qu’un dériveur plus classique.
      A noter que certains modèle hybrides permettent désormais de commencer le skiff sans trop de risque de chavirage comme l’Ep0h (http://epoh.eu/).

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