du doute au pari irlandais
L’option rallye sur une R5 Turbo est d’autant plus envisageable que l’horizon en monoplace semble bouché, après une saison 1988 de galère en F3000. Engagé dans l’équipe Oreca avec laquelle il avait été champion de France de F3 en 1987, Jean a souffert du manque de moyens de l’équipe et de relations compliquées avec son ingénieur de piste Gilles Schaefer. Ce dernier privilégiait l’analyse des datas informatiques pour régler la monoplace, là où Alesi estimait que son feeling de pilote devait prévaloir sur la froide télémétrie. Hormis une 2e place à Pau, la saison a été un calvaire, Jean terminant loin derrière Olivier Grouillard, vice-champion, et derrière son grand rival provençal Eric Bernard. Oreca, qui a perdu en fin d’année le soutien de Marlboro, espère poursuivre avec Alesi, mais ce dernier estime que sa carrière en monoplace ne peut rebondir que par le biais d’une écurie britannique.
Une nouvelle fois, les destinées de Jean Alesi et Éric Bernard, dont la rivalité remonte à la finale du volant Winfield 1983, se croisent : le martégal est en discussion avec Eddie Jordan, le patron d’une prometteuse écurie irlandaise qui avait décroché les 3e et 8e places du championnat F3000 avec Martin Donnelly et Johnny Herbert. Jordan bénéficie de sponsors importants, comme le cigarettier Camel et l’entreprise pétrolière Q8, mais Bernard décline l’offre par loyauté avec Elf, qui l’a soutenu depuis ses débuts et avec qui il est encore lié. L’irlandais reporte alors son attention sur Jean, dont il a repéré les belles performances en France et au Grand Prix de Macao de F3.
Jordan est convaincu que le franco-sicilien est un talent pur qui ne demande qu’à être encadré par une structure performante. La partie n’est pas aisée pour autant, car Jean est un illustre inconnu en Grande-Bretagne, ce qui oblige Jordan à défendre ardemment son projet d’embauche aux commanditaires de l’écurie qui ne sont pas prêts à « lâcher les sous » sur de simples intentions. L’irlandais tenace parvient toutefois à convaincre Duncan Lee, patron de RJ Reynolds- détenteur de la marque Camel- de la pertinence de son recrutement. Pour Jean aussi l’offre n’est pas évidente, car son anglais, très rudimentaire, peut être un handicap dans une écurie britannique où sa faculté d’insertion et d’adaptation sera déterminante. Se considérant lui-même comme « un astronaute débarquant sur la lune », le français n’est pourtant pas effrayé à l’idée de s’expatrier et signe.
De l’ambition et de la pression
Un méridional d’origine italienne chez les irlandais, voilà une association originale. Jean Alesi part s’installer directement chez son patron pour se fondre dans l’atmosphère anglo-saxonne de la course qui lui était jusque-là parfaitement étrangère. Une amitié très forte se noue entre lui et Jordan, qui s’efforce de créer autour de son protégé une ambiance affective et familiale. L’avant saison donne le ton : lors des essais de Vallelunga, l’écurie Jordan se montre d’emblée la plus performante après seulement quelques sessions de mise au point. Jean est aussi rapide voire plus véloce que son expérimenté équipier Martin Donnelly, alors que le français n’est pas un amoureux des longues séances d’essais. Une de ses astuces est de ne pas utiliser l’embrayage en qualifications, ce qui malmène davantage la mécanique mais lui fait gagner quelques dixièmes sur les changements de vitesse. Entre Alesi et Donnelly, le courant passe plutôt bien en dépit de leurs caractères diamétralement opposés et de la barrière de la langue, bien que Jean ait fait d’énormes progrès en la matière. Jordan veille à ce que l’ambiance soit positive, ce regain psychologique va se ressentir immédiatement dans le championnat, que Jean aborde en vainqueur potentiel.
Le début de saison est pourtant compliqué. A Silverstone, Jean n’est que 4e après s’être accroché en course avec Bernard, qui court pour DAMS et fait partie des favoris du championnat. A Vallelunga, il rate ses qualifications et sort de la piste au bout de 10 tours. Jordan passe un savon à l’avignonnais qui compte O point inscrit alors qu’un autre français qu’il connait bien, Erik Comas, équipier de Bernard chez DAMS, en a marqué 5.
Alesi ne manque pas de Pau
Survient alors le très réputé grand prix de Pau. Rendez-vous incontournable du calendrier à cette époque, l’évènement béarnais est très médiatisé grâce à la présence de nombreuses stars dans le paddock. Les équipes de F1 envoient souvent des observateurs pour y détecter les pilotes les plus prometteurs, certains team-managers faisant même le déplacement. A cette époque, la F3000 est véritablement l’antichambre de la F1 et une pépinière de talents.
Sur un circuit qu’il connaît par cœur, Alesi se qualifie 3ème juste derrière Eric Bernard. Lors du tour de chauffe, la Reynard du poleman Marco Apicella perd de l’huile et entraîne un second tour de formation, à l’issue duquel Fabrizio Giovanardi cale ! Au lieu de temporiser, la direction de course se plie aux exigences TV et enchaine immédiatement avec une 3e procédure de départ. Un troisième tour de chauffe est donc effectué, mais ce sont peut-être les esprits qui chauffent plus que les moteurs et les pneus. Quand les feux s’éteignent, Bernard patine et le suisse Philippe Favre part en travers sur une piste encore encrassée, devant tout le peloton ! C’est alors l’inévitable carambolage, avec l’empilement d’une douzaine de voitures qui bloquent l’étroite piste paloise, tandis qu’une roue baladeuse se promène sur la piste !
La direction n’a d’autre choix que de déployer le drapeau rouge. Ça s’agite dans les stands pour réparer ce qui est réparable, mais ça remue aussi dans les tribunes où la colère du public se manifeste bruyamment.
Le départ suivant est enfin le bon. Bernard prend la tête, suivi comme son ombre par Jean Alesi qui a devancé son équipier Donnelly. L’irlandais met la pression sur l’avignonnais mais percute le rail au 15e tour, laissant les deux français seuls pour se disputer la victoire. Bernard creuse néanmoins l’écart quand un retournement incroyable se produit : alors que Paul Belmondo et Didier Artzet s’accrochent au virage du Pont, Éric Bernard arrive en tête sur les lieux mais doit s’arrêter dans le virage, sa trajectoire étant obstruée par les deux monoplaces que les commissaires essaient d’évacuer ! Jean Alesi arrive juste derrière mais, prenant astucieusement l’extérieur du virage aveugle, passe le « bouchon » et prend la tête pour ne plus la quitter !
L’ovation dans les tribunes est à la hauteur de la délivrance que représente ce succès pour Alesi, qui ne peut retenir ses larmes. Cette 1ère victoire en F3000 est un déclic qui va libérer Jean de cette pression terrible qui, la victoire ne venant pas tout de suite, affectait son moral et donc ses performances. La victoire n’est pas passée inaperçue dans le paddock, où se trouve un certain Ken Tyrrell. Le célèbre patron d’écurie, toujours à l’affût de nouvelles pépites, saura bientôt s’en rappeler.
Images : Flickr, wikimedia commons
Bel article souvenirs sympathiques. Alési avait je pense plus le profil d’un pilote de rallye. Ensuite en F1 il a trop rêvé de Ferrari . Il aurait dû partir avant. Il a raté le bon wagon. J’adore Jean Alesi mais ´laffect ne peut pas fonctionner en F1. Merci l’artiste de nous avoir fait vibrer