Renault, les plus fortes sur 1/3 de course
Renault aborde le grand prix de France 1982 avec une certaine pression. Après les deux premiers grands prix de la saison remportés par Alain Prost, plus rien ! Sur les huit courses suivantes, la régie n’a inscrit qu’un seul point, avec la pauvre 6ème place de Prost en Angleterre ! La fiabilité du moteur français, catastrophique, est pointée du doigt, notamment au niveau de l’injection électronique et compromet les chances de titre mondial. A d’innombrables reprises, Prost a été trahi par sa mécanique alors que la victoire ou un podium étaient jouables, comme à Imola, au Canada ou encore aux Pays-Bas, en dépit de la supériorité des monoplaces en qualifications grâce à la puissance de leur moteur turbo.
De son côté, René Arnoux, toujours aussi rapide avec 3 poles positions à son actif, a également été victime d’ennuis techniques, mais aussi de nombreux incidents et accrochages en piste. Moins régulier que son équipier, avec qui les relations ne sont guère chaleureuses, Arnoux n’est plus en odeur de sainteté au sein de la régie et commence à regarder ailleurs, des rumeurs faisant état d’un rapprochement avec la Scuderia Ferrari pour 1983. Par chance, la concurrence est irrégulière et Prost, avec 19 points contre 35 au leader du championnat Didier Pironi, peut encore espérer jouer le titre.
Une consigne qui ne passe pas
Sur un circuit du Castellet qui fait la part belle à la puissance, les Renault sont intraitables. Arnoux réalise la pole devant Prost, alors que la concurrence est reléguée à plus d’une seconde. Avant la course, Gérard Larrousse, directeur sportif de Renault, annonce aux deux pilotes que si le doublé est en vue, des consignes seront appliquées dans l’intérêt du championnat pilotes. Autrement dit, si Arnoux se retrouve leader devant Prost, il devra s’effacer devant son équipier mieux placé au championnat. Arnoux ne dit rien…
Dans le premier tiers de la course, Piquet sur sa Brabham prend les commandes et imprime un rythme d’enfer, en prévision d’un ravitaillement en essence. Le grand prix est marqué par un effroyable accident dans la courbe de Signes, à plus de 250 Km/h, provoqué par un accrochage entre Mauro Baldi et Jochen Mass. La March de ce dernier est catapultée contre les grillages des tribunes et prend feu, mais, heureusement le pilote comme les spectateurs à proximité sont indemnes.
Alors que Piquet est éliminé sur une casse du turbo, Arnoux prend les commandes et mène allègrement devant son équipier Prost, avec près de 20 secondes d’avance. A 10 tours de l’arrivée, le stand Renault brandit le panneau « 1 Alain 2 René » qui confirme l’application de la consigne de course prévue avant le départ. Sauf que, tour après tour, malgré la présentation du panneau à chaque passage, l’équipe et Prost se rendent à l’évidence : Arnoux ne ralentit pas, et même hausse son rythme ! Il n’a visiblement pas l’intention de respecter la consigne, et, à cette époque, pas moyen d’entrer en liaison radio.
Une affaire aux proportions inattendues
Dans les deux derniers tours, Arnoux lève le pied pour soulager sa mécanique mais conserve la tête. Il devance Prost et les Ferrari de Pironi et Tambay. C’est historique, 4 français aux 4 premières places du grand prix national ! Si l’explosion de joie de Renault est légitime, rapidement, c’est la soupe à la grimace. Alors que Gérard Larrousse et Jean Sage manient la langue de bois et la diplomatie devant les médias pour éviter le déballage grand public des frictions internes, Prost ne décolère pas et se montre cinglant : « René n’a pas tenu parole. Nous ne collaborons plus. Un de nous est de trop dans l’équipe ».
Néanmoins, l’opinion, elle, a fait son choix et préfère le sport au calcul. La majorité du public français plébiscite le panache d’Arnoux plutôt que la vision jugée froide et calculatrice de Prost, qui commence à se voir coller par une partie de la presse et du public français une étiquette de « râleur », de mauvais perdant voire de « pleurnichard », des étiquettes qui resurgiront plus tard, contre Senna ou lors du début de saison 1993 plus compliqué que prévu. En rentrant chez lui le soir du grand prix, Prost fait le plein dans une station-service Elf mais il est confondu avec Arnoux par le pompiste qui lui dit : « Bravo pour votre victoire, vous avez bien fait, parce que ce Prost, quel connard alors ! ». L’affaire fait grand bruit dans les médias tricolores mais prend des proportions inattendues. Prost racontera plus tard avoir reçu de nombreux messages d’insultes, et même avoir eu deux de ses voitures brûlées sur des parkings, ce qui le poussera, via la société de management McCormack qui le prend sous son aile, à résider à l’étranger plus tard.
Pour Arnoux, c’était l’occasion de mettre fin à une série noire et à plus de deux ans sans succès, mais aussi sans doute de clouer le bec à un équipier qui semblait avoir davantage les faveurs de l’équipe. De toute façon, pour lui, la messe est déjà dite avec le losange qui, empêtré jusqu’au bout dans ses soucis de fiabilité, échoue dans la quête des titres face à Williams et Ferrari. A Monza, son arrivée chez Ferrari est confirmée pour la saison 1983. Ironie du sort, il remporte justement le grand prix d’Italie devant les Ferrari alors que Prost a encore été victime de sa mécanique, et reçoit l’ovation des tifosis qui en ont déjà fait l’un des leurs. Sur le podium, Arnoux déclare alors « je me suis senti le compagnon d’écurie de Tambay et d’Andretti ».
Les meilleurs moments de la course dans ce résumé.