Les concepts-cars français : Simca Fulgur (1958)

Le nouvel épisode de notre saga de l’hiver sur les concepts cars français est consacré à la Simca Fulgur présentée en 1958. Un ORNI s’il en est.

SIMCA, la bonne idée de FIAT

Quand on pense constructeur automobile français, on pense à Renault, Peugeot et Citroën, toujours en activité. Mais, la France a connu le foisonnement avec de grands noms aujourd’hui disparus. Simca est symbolique de la rationalisation du secteur automobile de l’après choc pétrolier.

Simca a beau être français, elle est intimement liée à FIAT. En effet, la Société Industrielle de Mécanique et Carrosserie Automobile est née de la volonté de la Fabbrica Italiana Automobili Torino (FIAT) de contourner le protectionnisme français.

Dans les années 30, l’Union Européenne n’était même pas un « embryon de germe d’idée ». Aussi, il y avait d’importantes taxes à l’importation. Donc, les voitures FIAT avaient du mal à concurrencer les modèles français. En créant une filiale sur le sol français pour assembler des véhicules sous licence, FIAT contournait ainsi les taxes.

Second constructeur en quelques années

La première voiture officiellement construite en France par Simca (qui s’appelle encore Safaf) sera la 6 CV. Assemblée à Levallois dans l’usine Safaf dès 1932, sa production déménage à Nanterre avec le changement de nom. On est en 1934 et les voitures sont alors badgées Simca-Fiat. Elles sortent de l’usine Donnet-Zédel, ex-Vinot & Deguingand, des constructeurs automobiles qui n’ont pas survécu à la crise de 29.

Juste avant la seconde guerre mondiale, Simca est le 4ème constructeur français grâce, déjà, à des prix serrés. L’essor de Simca, ce sera l’Aronde lancée en 1951. Un tel essor que la marque rachète l’usine Ford en France, à Poissy (contre 15% du capital de Simca) puis celle des camions UNIC. Simca est alors 2nd constructeur derrière la Régie Renault, nationalisée à la libération.

Faire du pied à l’Amérique

Cela attire la convoitise de Chrysler. Ainsi, l’Américain rachète les parts de Ford puis porte sa participation à 25% du capital de Simca. C’est dans ces conditions d’euphorie que naît la Fulgur.

Ce concept est dû à Tintin, au journal Tintin précisément. Le périodique a lancé un concours un peu loufoque, imaginer la voiture de l’an 2000. Cette « barrière » commence à fasciner et le résultat ne déçoit pas. Simca répond à l’appel de Tintin et confie à Robert Opron le dessin du véhicule.

Opron est un « jeune prometteur ». Il sera plus tard le père de la Citroën DS phase 2 (une partie sous la direction de Bertoni), GS, SM, CX, puis chez Renault de l’Alpine A310, la Fuego, les 9 et 11, la 21 et la grande routière Renault 25. Le designer convaincra Simca d’en faire une maquette à l’échelle 1.

Pour le style, Rémy Constantin nous livre son avis éclairé ci-après. Mais, techniquement, Simca imagine ce qu’il y aura dans les voitures 40 ans plus tard !

La première oeuvre de Opron

Pèle-mêle, on trouve un ordinateur de bord qui contrôle la voiture, une détection des routes pour adapter le comportement de la voiture via des suspensions électro-magnétiques. Elle est climatisée et sa « canopée » est traitée pour réfléchir une partie des rayons du soleil. Pour le confort des occupants, les sièges sont à « souplesse variable ».

Elle est mue par un moteur, alimenté par une « pile à radicaux libres ». Une pile à combustible comme on l’appelle désormais. L’autonomie est de milliers de kilomètres. A noter que Simca imagine des routes à induction pour alimenter la voiture directement.

Un peu comme les bateaux modernes qui « volent » sur l’eau grâce à des « foils », la Fulgur ne touche Terre que par les roues arrières, passée une certaine vitesse. Elle est alors stabilisée par des gyroscopes et, évidemment, par les ailerons arrières.

Le rêve américain… à l’échelle européenne

La Simca Fulgur est un « Dream Car » comme on les concevait dans les années 50 notamment aux Etats-Unis. Ces concept-cars d’un genre un peu particulier avaient pour but d’incarner une vision idéalisée du futur automobile, en s’inspirant des icônes du progrès portées par la pop culture, en l’occurrence les avions à réaction. Elle s’inscrit dans la lignée de Dream Cars telles que la Ford FX Atmos (1954) ou la GM Firebird II (1956).

Le jeune Robert Opron vient tout juste d’intégrer le centre de style de Simca lorsqu’il dessine la Fulgur. Il voue une véritable passion pour l’aviation et a suivi une formation d’architecte. Ces deux influences trouvent un terrain d’expression rêvé lors de la conception de la Fulgur, sous la direction de Mario Revelli de Beaumont (ex-Pininfarina). Ce sera le premier projet d’une longue et fructueuse carrière automobile puisqu’il signera entre autre les dessins de la Citroën SM et de la Renault 25.

Aviation et architecture

Les références à l’aviation moderne sont partout : bulle de chasseur, partie avant aérodynamique à optiques escamotables, prises d’air, absence de roues, ailerons, planche de bord en aile d’avion, manche à balai. Mais si l’inspiration est clairement américaine, l’exécution est typiquement européenne : faible encombrement, volumes compacts, effets de style discrets, motorisation électrique alimentée par une pile à combustible nucléaire. L’ensemble, pour spectaculaire qu’il soit, n’en reste pas moins sobre dans le traitement des volumes, débarrassé des artifices chromés en vigueur outre-Atlantique tels que les sorties de réacteurs ou les ailerons chromés surdimensionnés.

L’architecture de la Fulgur dénote d’une belle intelligence de conception, à la garde au sol réduite permise par la suspension électromagnétique à assiette constante, intégrant une ligne de caisse très basse puisque toute la mécanique est à l’arrière, le tout surmonté d’une bulle transparente étonnamment volumineuse procurant espace et luminosité. A l’intérieur, les sièges sont inspirés du mobilier contemporain tels que la Lounge chair de Richard Eames avec ses dossiers en deux parties.

Bien qu’elle puisse prêter à sourire plus de 50 ans après sa présentation (elle était censée préfigurer la voiture de l’an 2000), la Simca Fulgur a été exécutée avec beaucoup de goût, hors des canons automobiles en vigueur chez les Dream Cars américaines. Cela lui confère encore aujourd’hui une certaine fraîcheur.

Rémy CONSTANTIN, consultant en design stratégique

Le fantasme de l’an 2000

Pour assurer la promotion de la Fulgur, Simca fera aussi appel à Colette Duval et Gil Delamare. La première est un mannequin, parachutiste, actrice. Le second, son amant de l’époque est un cascadeur automobile célèbre qui a lancé un certain Rémy Julienne peu après.

La Simca Fulgur ne restera bien entendu qu’un exercice de style sans lendemain. De plus, on le sait, en l’an 2000, les voitures ne ressemblaient pas à cela, et toujours pas maintenant. Mais, elle servira à Simca pour sa renommée aux USA. En effet, le concept car ira s’exposer au salon de New York, puis à Chicago quelques mois plus tard. On peut l’apercevoir dans cette vidéo (à 1 min 07).

Quant à Simca, quelques mois après, Chrysler prendra le contrôle. Majoritaire dans un premier temps en 1962, puis total en 1970 avant de négliger celle qui allait devenir Chrysler France. La revente à Peugeot en 1978 signera la mort du 4ème constructeur Français qui rêvait de voler sur la route en l’an 2000.

Illustration : Simca

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