Une fois n’est pas coutume, nous allons évoquer un BON film. Un bon film sur l’automobile, c’est rare. Tucker mérite donc d’autant plus qu’on s’y attarde.Preston Tucker est une étoile filante de l’automobile US. Catalyseur de la Miller/Ford d’Indycar, puis commanditaire d’un blindé à tourelle électrique, il veut lancer la voiture du futur. Look futuriste et discours sécuritaire, la Torpedo impressionne. Elle sort en 1948 et ne dépasse pas vraiment le stade de la pré-série. Accusé d’escroquerie (un procès téléguidé par les « 3 grands »), il fait faillite, se lance dans d’autres aventures (le coupé Talisman, produire la Torpedo au Brésil, reprendre le projet Playboy…) Puis il meurt finalement en 1956, à 53 ans.
Carmine Coppola, le père de Francis Ford, est l’un des petits porteurs de la Tucker Company. Il achètera d’ailleurs l’une des Torpedo, à sa mise en « production ». Ceci explique sans doute pourquoi Francis Ford songe à un film sur Tucker dés les années 60.
Au milieu des années 70, il rêve d’une comédie musicale, mais dans un esprit « mêlant Bertolt Brecht et le théâtre kabuki ». Ce serait une fresque expérimentale, où Tucker se balade dans le temps et discute avec d’autres inventeurs américains. Leonard Bernstein serait à la partition et Gene Kelly s’occuperait des chorégraphies. Marlon Brondo jouerait le personnage principal, aux côtés de Jack Nicholson. Coppola fonde son propre studio, American Zoetrope et il envisage un coup d’envoi pour le milieu des années 80.
Mais suite à plusieurs bides, American Zoetrope fait faillite. Coppola en est réduit à filmer Captain Eo pour payer ses impôts. Sur le tournage, il rencontre Georges Lucas, qui lui conseille de changer Tucker en film « normal ». Compte tenu des crises de jmeladonnisme d’un Coppola en liberté (Le parrain est un film de commande), on l’a échappé belle.
Jeff Bridges hérite du rôle de Preston Tucker. Coppola privilégie le talent à la ressemblance physique. Pour qu’il se glisse dans le personnage, Coppola rachète la maison des Tucker. Bridges rencontre les enfants du constructeur et il enfile même l’un de ses costumes.
Joan Allen, habituée aux rôles d’épouses effacées, est madame Tucker.
Alexis Tremulis est joué par Elias Koteas, dont le grand rôle sera Casey dans Tortues ninja. Le vrai Tremulis travaille comme consultant sur le plateau.
Parmi les seconds rôles, Coppola préfère mettre en avant Abe Karatz, directeur financier du constructeur. Il est joué par Martin Landau. Landau sera nominé pour un oscar et Tucker marquera le démarrage de sa carrière post-Mission impossible (avec un oscar pour le Bela Lugosi d’Ed Wood.)
Dean Stockwell (le Al de Code : quantum) est Howard Hughes. Un personnage interprété bien des années plus tard par Leonardo di Caprio…
Enfin, parmi les nombreux enfants (5 en vrai, 4 dans le film) des Tucker, on trouve Christian Slater comme ainé. L’un des cadets est joué par le fils du directeur artistique des Goonies (produit par Lucas), un certain Corin Nemec…
Pas de tournage en studio, ni de fonds bleus ! Copolla et Lucas sillonnent les Etats-Unis pour tourner devant des décors naturels, garantis d’époque.
La plupart des voitures sont de vraies Tucker Torpedo. Les musées sont mis à contribution et presque toutes les Torpedo survivantes passent devant la caméra. Il y a néanmoins plusieurs répliques, sur base Studebaker (comme celle qui effectue un tonneau.)
Tucker est avant tout un film sur la naïveté et l’optimisme de la fin des années 40. Au lendemain de la guerre, les Américains ont une foi absolue dans le futur et le progrès. Le bonheur et la fortune sont au coin de la rue !
Preston Tucker incarne bien sur cette naïveté. Il pense qu’avec sa femme, son fils, un peu d’argent, quelques troisième couteaux et une usine désaffectée, il peut s’improviser constructeur ! Les gens croient à sa « voiture du futur ». Par intérêt ou par conviction, on achète des actions de la Tucker Company ou une concession pour la vendre dans telle ville. Designers et ingénieurs indépendants se mobiliseront bénévolement pour assurer la conception de la Torpedo. En bon bateleur, Tucker dit aux Américains ce qu’ils ont envie d’entendre et il a le sens de la mise en scène.
Puis, c’est le choc de la réalité. Produire une voiture demande plus de moyens que prévu. L’argent manque, les plannings ne sont pas tenus, Tucker craque face à la pression des actionnaires. Le procès -qu’il gagnera- sera le coup de grâce. La foule devient hostile et c’est la gueule de bois.
On peut soupçonner Lucas et Coppola d’avoir fait une métaphore sur leur métier de cinéastes/producteurs. Leurs tentatives pour bâtir un système indépendant, puis les revers financiers (avec les majors dans le rôle des « 3 grands ».)
Le seul reproche éventuel, c’est un manque de réalisme. Les scénaristes se sont probablement basés sur My car was too good (ma voiture était trop parfaite.) Il s’agit d’un article-fleuve, publié en 1953, écrit par Tucker lui-même. Il y donne sa version des faits (à son avantage, forcément.)
Coppola ne montre sans doute pas assez les contradictions de l’homme. Tucker, un idéaliste trop naïf ? Le vrai était sans doute plus terre à terre. Il avait d’ailleurs une fâcheuse tendance à piocher dans les comptes de sa femme et de sa mère, pour financer sa société…
Copolla va jusqu’à modifier certains détails à l’avantage de Tucker. Par exemple, l’usine n’avait pas de chaine de montage, fut-elle rudimentaire.
Copolla nous raconte une histoire vraie à 98%. Une histoire d’entrepreneur. Les amateurs découvrent (presque) toutes les étapes de la création d’une automobile, du crayonné à la mise en production, en passant par le prototypage. Mais, ce qui a choqué les Américains, c’est qu’il n’y a pas de happy end; le self-made-man termine ruiné.
Il ne réalise que 20 millions de dollars de recette, alors qu’il a couté 24 millions de dollars.
Au moins, il aura permis de faire (re)découvrir la marque. Un cigarettier (qui a le même nom qu’une banque) saisit la balle au rebond. Quelques mois après le film, il monte une expo itinérante, mélangeant une Tucker à des dream-cars des années 50. C’est la « [cigarettier] fascination cars ». Un moyen de faire de la pub discrètement, en ces années pré-loi Evin.
Crédits photos : Paramount
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