La lutte des classes
Lance Stroll n'est pas le seul. Nicholas Latifi, nouveau venu chez Williams, a un père millionnaire. Le père de Lando Norris, Adam, fait partie des 500 premières fortunes du Royaume-Uni. Mais là où Norris est reconnu pour son talent, les deux premiers sont suspects, aux yeux du plus grand nombre, de "pistonnage" de gosse de riche. Soyons clairs, quelle que soit l'époque, la course automobile a toujours nécessité d'avoir une base financière solide. Mais si, par le passé, la F1 a pu être accessible à un fils de fermiers (Jim Clark), de carrossier (Jean Alesi) ou d'artisans (Alain Prost), il semble aujourd'hui nécessaire d'être dans les très riches, voire les ultra-riches, pour y accéder, à moins d'être chaperonné par une Académie qui croit en vous.
Néanmoins, la F1 a toujours compté dans ses rangs des fils de bonne famille, issus de la bourgeoisie et de l'entreprise, comme Lauda (fils de banquier, qui a néanmoins lancé sa carrière en opposition à sa famille), Senna (fils de propriétaire terrien et industriel) ou encore Berger (dont le père avait une grosse compagnie de transports autrichienne). N'oublions pas également que les grands champions, dont le talent, indiscutable, fut le premier motif de leur accession à la F1, étaient aussi soutenus par des grands sponsors, non négligeables dans leurs négociations de contrats : Banco Nacional pour Magic, Santander pour Alonso, Dekra (entre autres) pour Schumi, etc. C'est plutôt l'arrivée de fils de milliardaires, qui débarquent tout frais sans avoir jamais galéré ni fait forcément leurs preuves, qui fait grincer des dents. Par le passé, nous avons déjà eu affaire à des héritiers de grandes multinationales ou d'aristocrates, avec des fortunes diverses ! Sauf que les places étaient plus nombreuses, et donc permettaient aux vrais talents, même désargentés, d'avoir leur chance.
Birabongse, le lointain précurseur d’Alex Albon
Birabongse Bhanutej Bhanubandh, le Prince Bira, est le petit-fils du roi Mongkut, qui ouvrit le royaume de Siam, ancêtre de la Thaïlande, à l’influence étrangère à la fin du XIXe siècle, tout en le préservant de l’asservissement colonial, au prix cependant d’importantes concessions territoriales. Formé en Angleterre à Eaton puis Cambridge, « B.Bira » comme il se fait appeler, se lance dans la compétition automobile dans les années 30, pilotant des voitures anglaises, ERA, MG, Rilet, souvent peintes aux couleurs bleu pâle et jaune.
Seul pilote représentant le royaume de Siam, il est une véritable attraction dans ce sport exclusivement occidental à l’époque. Souvent bien placé dans les courses britanniques, il a plus de mal à percer dans les courses internationales et les Grands prix, malgré l’acquisition de Delage et Maserati. Par contre, après la guerre, sa carrière s’envole. Pilotant essentiellement sur une Maserati 4CL, il remporte les grands prix des Pays-Bas en 1948 et de Suède en 1949 et collectionne les places d’honneur. Ce palmarès lui vaut d’entrer en Formule 1 au sein d’équipes privées, toujours avec Maserati, sauf en 1952 où il pilote pour Gordini. Son meilleur résultat est une 4e place au GP de l’ACF 1954. En 1956, il se retire de la course auto et entame une 2e carrière dans le nautisme, participant à 4 reprises aux JO. Un sportif vraiment complet !
Peter Revson, pas de la poudre aux yeux
Peter Revson, né à New York en 1939, était le fils de Martin Revson, un des co-fondateurs de la marque de cosmétiques Revlon. Revlon, établie en 1932 par les frères Revson et le chimiste Charles Lachman (qui donne le « L » de Revlon), révolutionne la production des vernis à ongles et devient rapidement le n°2 mondial des cosmétiques.
Très riche, bel homme, fiancé à une futur Miss Monde, jet-setteur sur les bords, Peter Revson est l’archétype du golden boy, mais son talent fut réel. Après une première expérience très discrète en Europe au début des années 60, il revient aux Etats-Unis, courant essentiellement en CanAM, Transam et en Endurance. Il se fait remarquer par une 2e place aux 12 heures de Sebring, en partageant une Porsche 908 avec un certain Steve McQueen puis réalise des débuts impressionnants à Indianapolis, terminant 5e pour sa 1ère participation en 1969. Repéré par McLaren, il termine 2e de l’Indy 500 1971 et gagne son ticket pour la F1.
Pour sa première saison complète en 1972 avec McLaren, Revson termine 5e du championnat avec quatre podiums. En 1973, il fait encore mieux avec deux victoires acquises aux Grand Prix de Grande-Bretagne et du Canada. Malgré ses succès, Teddy Mayer, le team-manager McLaren à l’époque, lui préfère Emerson Fittipaldi, champion du monde en titre et soutenu par Marlboro. Revson trouve refuge dans la nouvelle équipe américaine Shadow en 1974 mais il se tue aux essais du grand prix d’Afrique du Sud après un bris de suspension qui propulsa sa monoplace dans les barrières de sécurité, ajoutant son nom à la terrible liste noire des décès qui s’accumulent au début des années 70.
Paolo Barilla, la sauce n'a pas pris
Né en 1961 à Milan, vous l’aurez deviné, Paolo est l’un des héritiers du géant italien de la pasta et de l’agro-alimentaire. Champion d’Italie de Karting en 1976, il réalise un beau début de carrière en monoplace, terminant 3e de la F3 transalpine en 1981 mais bute sur la marche F2. En 1983, il se réoriente vers l’Endurance et le Groupe C. Passé dans un premier temps par le Lancia Martini Racing (avec la Lancia LC2), il rejoint en 1985 le Joest Racing, une équipe allemande de référence (la future structure qui écrasera le LMP avec Audi) engageant à l’époque la Porsche 962. Bonne pioche, cette année-là, en compagnie de Klaus Ludwig et John Winter, Barilla remporte les 24 heures du Mans.
Barilla revient à la monoplace en 1987, disputant la F3000 dans un anonymat de fond de grille des plus complets. Il n’en abandonne pas pour autant l’Endurance, pilotant en 1988 et 1989 pour Toyota dans le championnat japonais de sport-prototypes, avec une victoire à la clé à Fuji. Malgré tout, à cette époque, la F1 pullule de petites équipes, souvent italiennes, qui vous offre volontiers un volant moyennant une jolie valise de billets. Fort de son nom et de ses finances, Paolo décroche un intérim chez Minardi en 1989 au Japon, en remplacement de Pierluigi Martini qui est tombé d’une échelle et s’est fracturé des côtes. Pour 1990, Paolo est embauché par Minardi pour une saison complète, mais ses prestations sont rapidement décevantes. Régulièrement distancé en qualifications par Martini, il accumule en fin de saison les non-qualifications. Conscient d’avoir atteint ses limites, il prend du recul sur la course automobile et réinvestit les affaires économiques familiales. Aujourd’hui encore, il veille, en famille, aux intérêts de l’entreprise Barilla.
Rikki Von Opel, un passage éclair
Né à New York en 1947, Rikki a la particularité d’être le seul pilote à avoir couru en F1 sous le drapeau du Liechtenstein, ce richissime micro-état coincé entre la Suisse et l’Autriche. Mais il est surtout le fils de Fritz Von Opel, un ingénieur connu dans l’entre-deux-guerres pour ses essais de roquettes et de fusées, dont le père a été anobli en 1917, et l’arrière-petit-fils de Adam Opel, le fondateur de la marque au Blitz.
Rikki se lance en Formule Ford en 1970, mais, à la fois par respect pour sa famille, très réticente à ce genre d’amusement, et afin de prouver qu’il peut réussir sans le secours de son nom, il court sous le pseudonyme d’Antonio Branco. Sa première saison ayant été convaincante, il tombe le masque et assume son identité ! Champion britannique de F3 en 1972 avec l’écurie Ensign, il persuade son patron de sauter le pas de la F1 en lui garantissant un appui financier. Malgré des débuts encourageants, les résultats, sans surprise, ne sont pas à la hauteur et Von Opel passe en 1974 chez Brabham en qualité de pilote payant. Mais là aussi, ses piètres performances le conduisent à être mis sur la touche au bout de quelques courses. Von Opel se retire de la course, reprend les affaires puis dans les années 90 change complétement de vie : il vit, encore aujourd’hui, retiré dans un monastère bouddhiste en Thaïlande !
Hiro Matsushita n’a pas crevé l’écran
Né à Kobé en 1961, Hiro a pour grand-père Konosuke Matsushita, le fondateur de Panasonic. Productrice de lampes à ses débuts, l’entreprise, qui se nomme au départ « Matsushita Electronic Industrial », développe considérablement ses activités pendant la Seconde Guerre Mondiale puis devient, après le conflit, un Kereitsu, c'est-à-dire un gigantesque conglomérat, dont l’une de ses marques, Panasonic, se spécialise dans l’électronique. La firme s’implante sur le marché américain dès les années 60 puis en Europe dans les années 70. Cadet de la fratrie, Hiro débute en motocross dans son pays, puis s’expatrie aux Etats-Unis pour se lancer en monoplace. Tout au long de sa carrière, il bénéficiera du soutien financier de la marque Panasonic.
Il obtient quelques résultats intéressants en Endurance, dont une 2e place aux 24h de Daytona 1988 et surtout remporte haut la main le championnat de Formule Atlantique Toyota, l’équivalent américain de la F3. Ces résultats lui valent de passer en CART dès 1990 et de rester dans le championnat jusqu’en 1998. Bien qu’il soit devenu le premier japonais à disputer l’Indy 500, Matsushita ne confirmera pas les espoirs placés en lui. Il laissa surtout l’image d’un pilote lent, une vraie « chicane mobile » terminant souvent les courses à plusieurs tours des leaders. Mais avec son apport financier, le japonais trouve toujours des petites structures en mal de fonds prêtes à l’accueillir.
En 117 courses, son meilleur résultat demeure une 6e place au Michigan GP en 1994…à 11 tours du leader et avec seulement 8 voitures restantes en piste. Il détient ainsi le record du plus grand nombre de courses CART disputées sans avoir obtenu le moindre Top 5. Pour l’anecdote, Matsushita avait un pseudo, « King Hiro », venu d’une « erreur » : lors d’une course, Emerson Fittipaldi se trouva bloqué par Matsushita, à qui il prenait un tour, mais le japonais avait la réputation de ne pas bien voir les drapeaux bleus. Dans la communication radio Penske, le champion brésilien aurait crié « F***king Hiro », ce qui a été coupé à moitié par la retransmission TV…Depuis, Hiro Matsushita est resté impliqué en sport automobile, en rachetant les parts de Swift Engineering.
Lord Hesketh, de James Hunt à Thatcher
Thomas Alexander Fermor-Hesketh est le 3e baron Hesketh, héritier d’une lignée d’aristocrates militaires et membres du parti conservateur britannique. Passionné d’automobile, Hesketh noue des contacts avec le pilote de F3 Anthony Horsley et le jeune James Hunt, un fougueux pilote qui vient d’être renvoyé de l’écurie March par son patron, un certain Max Mosley. Lord Hesketh et James Hunt ont en commun une certaine excentricité et se lancent ni plus ni moins que dans l’aventure F1.
Au départ, l’entreprise n’est pas prise au sérieux, d’autant plus que l’écurie Hesketh détonne dans le milieu : playmates, champagne à tout-va, même quand ils perdent, fêtes dionysiaques, et un James Hunt débraillé qui arbore sur sa combinaison le badge « Sex, the breakfeast of Champion ». Vous voyez, quand on disait que Red Bull, à ses débuts, était une écurie iconoclaste, quelle rigolade ! Pourtant, dès sa première saison, malgré une vieille March, l’écurie "rock'n roll" décoche 2 podiums. L’année suivante, en 1974, Hesketh devient un véritable constructeur avec le modèle 308 conçue par Harvey Postelthwhaite, un des grands ingénieurs des années 70-80. En 1975, l’écurie réalise sa meilleure saison et Hunt décroche même une victoire en France. Le succès de cette équipe fantasque inspirera Jean Graton pour l’intrigue de l’album « Le prince blanc ».
Toute bonne chose a une fin. En 1976, Hunt part chez McLaren, pour disputer un titre mémorable contre Niki Lauda. Sans son pilote fétiche et à court d’argent – Hesketh n’avait aucun sponsor – l’écurie périclite rapidement et met la clé sous la porte définitivement en 1978. Quelques monoplaces avaient été vendues à des équipes privées clientes, dont le…Penthouse Racing, qui avait au moins le mérite de se faire remarquer par la livrée de la monoplace ! Lord Hesketh pour sa part se lance en politique dans les années 80 à l’initiative de Margaret Thatcher et obtient le portefeuille de ministre d’état du commerce en 1990. En 1999, il perd son siège à la chambre des Lords puis devient trésorier du parti conservateur. Il s’est ensuite rapproché du parti UKIP eurosceptique. Moins glamour…
Les "nantis" dans Michel Vaillant
La célèbre BD a souvent abordé ce thème : dans Le Prince Blanc (1977), le paddock voit débouler l'écurie Whyte du Lord Douglas Whyte, une structure mystérieuse qui créé la sensation en jouant le titre. Sauf que Whyte triche et finit par être démasqué.
Dans "la révolte des rois", Michel Vaillant doit faire face à un jeune italien prometteur et arrogant, Alfredo Fabri, dont la carrière est financée par "Tonton Fabri", un homme d'affaires qui ne devait pas faire que dans la tomate et la farine. Fabri se paye une Ferrari privée et titille Vaillant, jusqu'à ce que ce dernier ait le dernier mot lors d'un grand prix de France décisif. Fabri se désunit et commence par accumuler les bourdes, perdant finalement l'appui financier de son tonton.
Enfin, dans "Le Caïd de Francorchamps", la F1 voit débouler Stanley Newton, un magnat du pétrole texan, aussi riche qu'insupportable de vanité, et qui vient de gagner les 500 miles. Newton monte son équipe et défie les Vaillant, persuadé de pouvoir écraser les européens en F1. Mais lors du grand prix de Spa, Vaillante lui inflige en piste une bonne leçon sous la pluie et le remet à sa place !
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