Rétro F1 : Williams, les derniers des Mohicans
par Nicolas Anderbegani

Rétro F1 : Williams, les derniers des Mohicans

Avec le retrait de la famille Williams, qui a vendu l'équipe au fonds américain Dorilton Capital,  c'est une page qui se tourne définitivement dans l'histoire de la Formule 1.

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Avec le retrait de la famille Williams, qui a vendu l'équipe au fonds américain Dorilton Capital,  c'est une page qui se tourne définitivement dans l'histoire de la Formule 1.

Le plus tenace des "garagisti"

Frank Williams a appartenu fièrement - et l'a revendiqué - à cette catégorie de "garagistes", ces artisans anglo-saxons de la F1 comme les nommait avec un certain dédain, il faut le dire, Enzo Ferrari. Brabham, Tyrrell, McLaren, Lotus, March...les équipes anglo-saxonnes représentaient déjà la majorité du plateau de la F1 à la fin des années 60 et au début des années 70, mais si elles construisaient leurs propres châssis, avec des méthodes encore très artisanales, elle devaient se fournir auprès d'autres motoristes pour propulser leurs monoplaces, moyennant de nombreux bricolages pour adapter les machines. Repco, Matra, et surtout Cosworth à partir de 1967 motorisent ces artisans, là où la Scuderia, émanation sportive d'un constructeur de prestige, concevait tout elle-même, de A à Z. Les mains dans le cambouis, Frank Williams les a mises dès le début des sixties, en fondant Frank Williams Racing Car Ltd, qui prépare et vend des châssis Brabham de F3 et de F2.

Fort d'assez bons résultats, il saute le pas en 1969 en passant en Formule 1. Il rachète une Brabham-Repco de l'année précédente et y implante la nouvelle coqueluche des "garagistes", le Cosworth DFV, avec derrière le volant son ami Piers Courage, qu'il a aidé et secondé au début de sa carrière. Courage réussit à décrocher deux belles secondes places, ce qui attire l'attention d'Alessandro De Tomaso, qui souhaite investir dans la discipline pour promouvoir sa marque. Ce premier partenariat constructeur tourne en 1970 au fiasco, avec une voiture peu fiable, puis au drame quand Piers Courage décède à Zandvoort, suite à un terrible accident où sa monoplace, dotée d'un châssis en magnésium léger mais hautement inflammable, s'embrase et se carbonise. Cette tragédie affecte profondément Frank Williams. Elle pourra expliquer, en partie, cette distance affective qu'il marquera à l'avenir avec ses pilotes, contribuant à forger son image de patron dur et froid.

Les années de galère

Les années qui suivent sont des périodes de vaches maigres, où Williams doit se battre pour trouver des sponsors, payer ses factures et sauver son équipe. Une légende tenace dit même qu'il passait ses appels dans des cabines téléphoniques, sa ligne ayant été coupée après une accumulation d'impayés. Là aussi, ces années de galère permettront de comprendre la dureté en affaires de Williams dès qu'il s'agissait d'argent, notamment dans les négociation salariales avec les pilotes. Williams fait feu de tout bois: il s'associe à March, une équipe fondée en partie par une vieille connaissance, Max Mosley,  puis avec la marque de jouets italienne Politoys et enfin, en 1973, avec l’appui de Philipp Morris, il se lie au petit constructeur Iso Rivolta qui donne naissance aux Iso-Marlboro ! C'est ainsi que Williams met le pied à l'étrier notamment à Jacques Laffite. Toutefois, ces entreprises ne sont pas fructueuses. En 1975, Williams perd l'appui d'Iso Rivolta qui a mis la clé sous la porte mais l'anglais rebondit en s'associant au milliardaire canadien Walter Wolf, qui prend cependant une participation majoritaire dans l'équipe. Et fin 1976, Wolf prend le contrôle total de l'écurie, qui devient Walter Wolf Racing.

L’ascension

Évincé de l'équipe qu'il porte à bout de bras depuis les débuts, Frank Williams ne tarde pas à rebondir. Avec l'argent du rachat de Wolf, il fonde Williams Engeneering et trouve en la personne de Patrick Head à la fois un solide associé et un ingénieur de talent, qui va assurer la direction technique de la nouvelle équipe. Après une saison 1977 de transition où il a engagé une March privée, Williams devient constructeur en 1978 et bénéficie de l'appui financier de puissants sponsors saoudiens, notamment la holding TAG, fondée par l’homme d’affaires saoudien Akram Ojjeh, la compagnie aérienne nationale Fly Saudia et le groupe de BTP Albilad, propriété de la famille…Ben Laden.

Flanquées d'une livrée blanche et verte qui trahit l'origine des finances, les Williams commencent leur ascension en piste. 1ère victoire en 1979 à Silverstone grâce à Clay Regazzoni qui impose la "wing car" FW07, puis en 1980, le premier titre constructeur et le premier titre pilote, obtenu par l'australien Alan Jones, un "guerrier" rapide et rugueux. Un type de pilote qui plaira souvent à Williams. Le titre constructeur est acquis en 1981, puis le titre pilotes en 1982 avec Keke Rosberg. La F1 entre dans l'ère des turbos et les coûts commencent à flamber, sous l'impulsion des constructeurs qui investissent massivement en F1. Williams signe alors un partenariat avec Honda, qui monte en puissance à partir de 1985.

Vers la domination

En 1986, l'association Williams-Honda fait des merveilles, avec le titre constructeur à la clé, mais un championnat pilote perdu lors du final à suspense d'Adelaïde. Malgré les succès, la tragédie frappe encore. En mars 1986, en quittant le circuit du Castellet après une séance d'essais privés, Frank Williams est victime d'un accident de voiture sur une route du Var. Grièvement touché aux vertèbres, l'homme est diagnostiqué tétraplégique et condamné à rester dans un fauteuil roulant à jamais. Pour cet homme hyperactif et grand marathonien, le ciel s'effondre mais sa force de caractère et sa volonté d'acier prennent le dessus. 4 mois plus tard, il est de retour dans le paddock, certes cloué sur un fauteuil roulant, mais plus déterminé que jamais à faire triompher son équipe.

La domination se poursuit en 1987 avec le doublé pilotes/constructeurs, mais Honda part chez McLaren qui a réussi à associer Prost et Senna. Après une saison de transition en 1988, Williams début alors un nouveau partenariat avec Renault, qui revient en F1 avec un inédit moteur V10. Prometteur en 1989 et 1990, le partenariat Williams-Renault monte en puissance en 1991 puis entame la période la plus faste de l'équipe. Grâce à la puissance du V10 français, aux qualités du châssis conçu par un certain Adrian Newey et à une excellente maîtrise des aides électroniques, dont la suspensions active, Nigel Mansell puis Alain Prost obtiennent avec leurs "Airbus roulants " FW14/B et FW15 les titres pilotes en 1992/1993, auxquels s'aoutent deux nouveaux titres constructeurs. Des titres qui s'obtiennent non sans mal, car, en coulisses, Williams doit déployer toute son habileté politique pour surmonter les obstacles qui sont semés sur le chemin du succès par la FIA et ses adversaires, jaloux de cette domination sans partage : on s'attaque aux carburants spéciaux, puis aux aides électroniques, ou alors on enquiquine les pilotes.

Cette dureté en affaires s'exprime aussi fin 1992 quand Williams propose à Mansell, alors champion du monde, un contrat que le pilote anglais juge blessant (baisse de salaire) et qui le pousse à partir en Indycar. Mais, au-delà des caprices de diva du "lion", qui devaient agacer Williams a plus haut point, l'anglais rêve de mettre la main sur Senna. C'est Williams qui lui avait proposé un premier test F1 en 1983. C'est enfin chose faite en 1994, et d'aucuns annoncent une domination absolue. Et pourtant, rien ne se passe comme prévu. Privée subitement de ses aides électroniques -bannies par la FIA - la FW16 est une voiture capricieuse. Ayrton Senna a du mal aussi à s'intégrer dans cette équipe bien moins chaleureuse que ce qu'il avait connu chez Lotus et même McLaren. Puis la tragédie frappe de nouveau à Imola, quand Senna, sous les yeux du monde entier, se tue au volant de la FW16. Un nouveau choc pour l'équipe et pour Frank Williams, qui a déployé tant d'énergie pour s'attacher les services de "Magic" et semblait manifester une certaine affection pour le brésilien. Ce nouveau drame, qui hante longtemps le flegmatique patron anglais et se traduit par de longues poursuites judiciaires, n'empêche pas à Williams de relever la tête.

Après l'intermède victorieux de Schumacher et Benetton en 1994/1995, Williams reprend sa marche en avant avec deux nouveaux doublés pilote/constructeur en 1996 avec Damon Hill puis en 1997 avec Jacques Villeneuve. Là encore, le cas Damon Hill est symptomatique du "style" Williams : brocardé pendant la saison 1994, y compris en interne, sur sa prétendue incapacité à assumer le leadership après la mort de Senna, il est éconduit à l'issue de la saison 1996 malgré son titre mondial, avec peu d'égards.

Brefs sursauts et inexorable déclin

L'âge d'or de Williams s'achève pourtant. Fin 1997, Renault s'en va, Adrian Newey rejoint McLaren et Williams n'a pas réussi à mettre la main sur Schumacher désormais lié à Ferrari. Après deux années de transition avec des V10 Renault rebadgés Supertec, Williams inaugure à partir de l'an 2000 un nouveau partenariat avec BMW, qui donne quelques succès jusqu'en 2005, grâce notamment à Montoya, avant que le constructeur munichois ne se tourne vers Sauber pour monter son équipe 100% usine. En effet, hors de question pour Williams de perdre de son indépendance en étant racheté par une entreprise extérieure.

Alors que les grands constructeurs arrivent en force (BMW, Renault, Toyota, Honda, etc) et que les coûts de la F1 explosent , le modèle "à l'ancienne" du team indépendant simplement associé à un motoriste tient de moins en moins. Dès les années 90, les vieux artisans ont commencer à disparaître, comme Brabham, Tyrrell, Arrows, puis dans les années 2000 Minardi et Jordan. Williams doit se contenter d'être un client parmi d'autres, tantôt de Toyota (2007-2009), Cosworth (2006, 2010-2011) et Renault (2012-2013), signant en 2012 sa dernière victoire, en Espagne, avec Pastor Maldonado ! En hommes d'affaires avisé, Williams s'ouvre à de nouveaux actionnaires, comme Toto Wolff en 2009, puis entre en bourse en 2011. Sa fille Claire prend la relève en 2013.

La fourniture du V6 Mercedes, nettement au-dessus du lot au début de l'ère hybride, permet à Williams de jouer de nouveau les premiers rôles en 2014-2015, puis, lentement mais sûrement, les résultats déclinent, les sponsors partent, l'équipe s'engonce dans un certain conservatisme technique et s'évertue, fidèle à son idée de constructeur indépendant, à produire au maximum ses propres pièces. Une philosophie respectable et "noble", mais peu en adéquation avec le business-model désormais en vigueur. Haas, Alfa Romeo Sauber, Alpha Tauri et Racing Point achètent "clé en mains" aux top-teams boîte de vitesses, suspensions et compagnie, économisant au passage des sommes substantielles qu'elles peuvent injecter ailleurs. Déjà dans le rouge depuis quelques années, privé de revenus à cause de saisons 2018 et 2019 catastrophiques et déjà contraint de vendre la division Advanced Engeneering fin 2019, Williams a dû se résoudre, en 2020, à vraiment passer la main. Le Covid-19 n'a fait qu'accélérer un processus déjà en cours, mais les nouveaux Accords Concorde, avec la promesse d'un plafond budgétaire et la négociation, en coulisses, d'un bonus pour son apport historique, ont permis à Williams de séduire de nouveaux investisseurs pour continuer l'aventure.

Avec le retrait de Frank et Claire Williams, c'est en quelque sorte la relique de l'ancienne F1 qui s'efface définitivement. Les constructeurs indépendants ont fait long feu, mais finalement la F1 ne fait que coller à l'économie de son temps. La F1 n'est plus - et de depuis longtemps- aux mains de passionnés. Place aux grands constructeurs, aux fonds d'investissement et aux milliardaires.

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Avec le retrait de la famille Williams, qui a vendu l'équipe au fonds américain Dorilton Capital,  c'est une page qui se tourne définitivement dans l'histoire de la Formule 1.

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