Rétro F1 1994 : suspense
par Nicolas Anderbegani

Rétro F1 1994 : suspense "Damoniaque" à Suzuka !

Le grand prix du Japon resta comme l'un des moments forts de la triste saison 1994, grâce à la résistance héroïque de Damon Hill pour vaincre Michael Schumacher sous les trombes d'eau de Suzuka.

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Hill seul contre tous ?

A la faveur des déboires de Michael Schumacher, déclassé du grand prix de Belgique pour fond plat non conforme et exclu des grands prix d'Italie et du Portugal pour ne pas avoir respecté le drapeau noir de Silverstone - un artifice bien peu discret de la FIA pour relancer l'intérêt du championnat - Damon Hill est revenu dans la course au titre, empochant sur ces trois courses les 30 points salvateurs. Très agressif devant les médias contre un Hill qu'il n'estime pas à sa hauteur, Schumacher a remis les pendules à l'heure à Jerez en gagnant une course tout en maîtrise, mais avec 86 points contre 81 au britannique, tout est jouable. Damon Hill n'est pourtant pas si serein que cela, car son leadership demeure contesté au sein de Williams. Arrivé sur le tard en F1, vu comme un pilote besogneux et taciturne, Hill ne soulève pas l'enthousiasme. Une partie des médias et même du staff de l'équipe Williams, toujours affectée par la mort de Senna, doutent que le fils de Graham soit l'homme de la situation. Cet à priori sévère pèse sur le pilote anglais, blessé dans son orgueil du peu de confiance qu'on lui accorde, certains estimant qu'il joue le titre davantage par la faveur d'un concours incroyable de circonstances plutôt que grâce à son talent. Au Japon, il fera équipe une nouvelle fois avec Nigel Mansell, qui a été appelé en "sauveur" depuis les USA par Williams, mais dont les résultats sont pour l'instant décevants.

Duels sous le déluge de Suzuka

Aux essais, Schumacher a réalisé une pole surprise sur sa Benetton-Ford, devant Hill et l'étonnant Frentzen au volant de la Sauber-Mercedes. Le dimanche, des trombes d'eau s'abattent sur la piste de Suzuka et promettent des conditions de course cataclysmiques ! Au départ, Schumacher coupe la trajectoire de Hill pour conserver la tête et les deux hommes creusent rapidement le trou sur leurs poursuivants. Mais très vite, la course ressemble davantage à un spectacle de Holiday on Ice qu'à un grand prix. Les sorties de piste s'enchaînent, la voiture de sécurité est déployée puis au 11e tour,  la course est relancée, mais pas pour longtemps. La pluie s'intensifie et un épais brouillard enveloppe la piste. Plusieurs pilotes sortent violemment de la course, dont Martin Brundle qui percute un commissaire de piste. Le grand prix tourne au carnage, drapeau rouge !

Le classement, arrêté à l'issue du treizième tour, donne Schumacher premier devant Hill (à 6.8"), Alesi (à 13") et Mansell (à 17.5"). Après plusieurs minutes de tergiversations, une accalmie de la pluie convainc la direction de course de relancer le grand prix, avec un résultat final qui se fera par une addition du temps des deux manches. Autrement dit, Hill ne peut se contenter de doubler Schumacher pour gagner, il devra en plus creuser un écart supérieur à 6"8 !

La 2e manche est relancée sous régime de safety-car puis la meute est lâchée au 16e tour. Étrangement, Benetton fait arrêter Schumacher dès le 18e tour pour un premier ravitaillement. Non seulement Hill a la voie libre, mais l'Allemand repart désormais englué dans le peloton ! Ainsi, quand Hill s'arrête à son tour au 25e passage - un arrêt qui a failli coûter cher car il ne repart qu'avec 3 pneus neufs sur 4 à cause du légendaire écrou grippé de Williams- il laisse le commandement au duo Alesi-Mansell mais repart malgré tout en piste devant Schumacher, avec une avance suffisante pour le passer au classement cumulé !

Toutefois, dans la seconde partie de la course, Schumacher remonte comme une balle sur la Williams. L'Allemand est sur une stratégie à deux arrêts de carburant et devra donc s'arrêter une nouvelle fois. Pendant que les deux candidats au titre se battent à distance, Alesi et Mansell régalent le public et les téléspectateurs avec un fabuleux mano à mano, roues dans roues. Pendant plus de 30 tours, les deux plus gros cœurs de la F1 se tirent la bourre, en étant à la limite dans chaque virage. Mansell, collé dans la boîte de vitesses de l'avignonnais, harcèle la Ferrari et teste toutes les trajectoires possibles et inimaginables pour essayer de décroiser Alesi, qui résiste farouchement et démontre une nouvelle fois tous ses talents de funambule sous la pluie. "Il leone" tente à plusieurs reprises de déborder Alesi dans la ligne droite qui précède le terrifiant 130R, mais le français ne se dégonfle pas et ferme les trajectoires. Une fois, dix fois, on serre les dents de crainte d'un accrochage, mais ces deux talents purs dansent sous la pluie. Quel spectacle !

La main de Senna ?

Au 41e tour, Schumacher réalise son 2e arrêt et repart avec 14 secondes de retard sur Hill. Tout est à refaire, mais avec des pneus neufs, l'Allemand peut espérer fondre sur son ennemi et conserver son matelas de 6"8 secondes. Tour après tour, Schumacher grignote son retard mais Hill a des nerfs d'acier et fait montre sous la pluie d'un brio qui a de quoi faire taire tous ses détracteurs. L'usure des pneus et des retardataires parfois récalcitrants ne lui facilitent cependant pas la tâche, si bien qu'à deux tours de l'arrivée, l'anglais n'a plus que 4 secondes de marge !

Ce n'est que 20 ans plus tard que Damon Hill évoquera dans une biographie l'expérience "paranormale" qu'il vécut alors dans l'ultime tour. A bout de forces, dans un état de tension porté à son paroxysme, Hill invoqua Ayrton Senna en son for intérieur pour tenir jusqu'au bout. Et soudainement, l'anglais expliquera avoir subi une sorte de "dépossession" de son corps, comme si, d'un coup, une main invisible avait pris le contrôle des mouvements de ses mains et de ses pieds pour prendre les commandes de la Williams et la guider jusqu'à la victoire. Hill se retrouva dans un état second, passager de sa propre monoplace, et n'aurait retrouvé sa lucidité qu'après le dernier passage à l'épingle du circuit, pour terminer le dernier tour en vainqueur, avec seulement 3"3 de marge au temps cumulé sur Schumacher. Mais justement, Damon ne veut-il pas dire "génie protecteur" en latin ?

Quoi qu'il en soit, l'exploit est là. Dans des conditions dantesques, soumis au stress de l'épée de Damoclès chronométrique et poursuivi par ce diable de Schumacher, Damon Hill entre dans la cour des grands et signe une victoire référence, qui prouve aux dubitatifs et aux critiques acerbes du pilote anglais qu'il avait bien la trempe d'un champion. Une victoire salvatrice qui permettra à Damon de disputer le titre à Michael Schumacher à Adelaïde...dans un final malheureusement bien moins glorieux.

Source : F1, suzukacircuit

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