Déclin de l'équipe nationale
Ligier, une vraie histoire française, avec ses grands hauts, ses grands bas et ses coulisses politiques. Ligier, l'artisan, a fait rêver la France, à la grande époque des Laffite, Depailler et Pironi, quand les bleus rivalisaient avec Williams, McLaren et Ferrari pour leur disputer le titre mondial. C'était les années 79-81. Mais en 1992, le constat est là, implacable: malgré ses solides appuis politiques qui lui ont permis de développer ses infrastructures à Magny-Cours (surtout l'appui François Mitterrand, ami personnel de Ligier et dont la Nièvre était le fief électoral) et un budget très confortable -le 3e du plateau, estimé à 300 millions de Francs !- financé en grande partie par l’État à travers ses grandes sociétés nationales (Elf, Loto, SEITA, FDJ, etc), Ligier n'a rien gagné depuis 11 ans et se traîne en queue de classement. Ce "tonneau de danaïdes" d'argent public, sans résultats en retour, fait tâche. Le gouvernement fait pression pour que Guy Ligier, le "commendatore" des bleus, cède son fauteuil et vende son "bébé".
Un moteur nommé désir
Surprise, McLaren est sur les rangs. Orphelin de Honda qui se retire fin 1992, Ron Dennis sait que pour garder Ayrton Senna, il lui faut un bon moteur. L'anglais envisage de racheter Ligier pour en faire un "team B" et mettre la main sur le V10 français, proposant même en échange les plans de la Mp4/7 de 1992 ! Mais le projet tombe à l'eau, pour des raisons contractuelles (McLaren est lié à Shell, concurrent d'Elf) et aussi parce que Williams, l'ennemi juré, et sans doute Prost (qui revient en 1993 avec Williams-Renault) n'ont pas voulu d'un concurrent avec le même moteur. C'est finalement Cyril de Rouvre, un golden boy qui a fait fortune dans les affaires et qui était déjà actionnaire du team à hauteur de 15%, qui reprend l'affaire. La transaction est réglée pour 200 millions de Francs.
En 1993, Ligier reprend du poil de la bête avec une monoplace réussie (en bénéficiant de technologies de Williams), un bon tandem de pilotes...anglais (Martin Brundle et Mark Blundell) et surtout le V10 Renault, le même que celui des Williams qui écrasent le championnat. Mais patatras: Cyril de Rouvre, homme d'affaires sulfureux, est rattrapé par la justice pour escroquerie et se retrouve incarcéré. Il avait acheté l'équipe en puisant dans les fonds d'autres sociétés qu'il possédait...Ligier doit de nouveau être vendue et ça se bouscule au portillon !
Plusieurs projets s'avancent pour reprendre l'écurie. Alain Prost, qui avait tenté une première approche en 1992 lors de son année sabbatique, fait l'objet de nouvelles spéculations début 1994, mais il renonce, faute de garanties financières solides. Gérard Larrousse, qui est en difficulté avec sa propre écurie éponyme, est aussi sur les rangs avec Patrick Tambay pour fusionner avec Ligier. Un autre projet émane de Philippe Streiff et Hugues de Chaunac (fondateur d'Oreca), appuyé politiquement par la majorité de droite (Nicolas Sarkozy, ami de Streiff, est ministre du Budget) et par Williams qui espère ainsi verrouiller le moteur Renault.
Briatore entre en scène
Mais les Français ne sont pas seuls. Flavio Briatore va abattre ses cartes. Son écurie Benetton est en pleine ascension, portée par le prodige Michael Schumacher, mais le V8 Ford ne permet pas de jouer le titre. Benetton ne pouvant pas en son nom propre être propriétaire de deux écuries, le manager Italien lorgne donc sur un rachat personnel de Ligier, pour récupérer le moteur Renault et l'installer dans les Benetton. Son projet va encore plus loin, en proposant une véritable synergie entre les deux entités, un peu sur le modèle que bâtira plus tard Red Bull avec Toro Rosso. Les réactions sont mitigées, surtout parmi le personnel, qui craint une restructuration sauvage et un transfert vers l'Angleterre, ce que Briatore nie. Toutefois, en coulisses, les négociations avec le constructeur français, initiées dès 1993, vont rapidement aboutir, mais rester longtemps secrètes. Le losange s'est résolu à fournir deux équipes de pointe, tablant sur un fructueux duel Senna-Schumacher et entrevoyant d'excellentes retombées commerciales outre-Rhin avec le prodige Allemand.
Tandis que les projets franco-français ont du plomb dans l'aile, pour des raisons politiques car l'heure des financements publics généreux est révolue, celui de Briatore apporte de solides garanties financières: Benetton soutient bien sûr mais surtout, l'Italien bénéficie d'un prêt que lui a consenti...Bernie Ecclestone, le grand manitou de la F1, lequel a très vite compris l’intérêt d'un duel de haute volée entre Williams et Benetton. Et aussi, au demeurant, la possible plus-value en cas de revente. Le 29 avril, en dépit d'ultimes manœuvres des autres postulants, Matignon donne son feu vert, après avoir obtenu des garanties pour le maintien des emplois en France.
Ligier point de départ du "système" Briatore
A Monaco, alors que tout le monde ne pense qu'à la mort de Senna, Briatore peut officialiser le rachat à hauteur de 50 millions de francs, une excellente affaire sachant que l'écurie valait le quadruple deux ans plus tôt...L'Italien a réussi là où Ron Dennis avait échoué, obligé de se rabattre sur un partenariat peu fructueux avec Peugeot. Benetton détient 65%, Briatore se partage le reste avec son acolyte Tom Walkinshaw, qui a bien l'intention à court terme de faire absorber Ligier par sa propre structure, le TWR.
Et déjà, les belles promesses de Briatore semblent s'évaporer : il annonce un réduction de 20% du personnel et lance une profonde réorganisation de l'équipe, en plaçant ses hommes-lige. Le directeur technique, Gérard Ducarouge, est en passe d'être remplacé par Frank Dernie, ce qui laisse présager d'une délocalisation de la conception des Ligier en Angleterre. Autre atout de ce "système", complété par une prise de participation chez Minardi, il permettra à Briatore de placer les différents pilotes dont il devient manager. Le mélange des genres à son paroxysme.
Enfin, en Août, ce qui n'était plus qu'un secret de polichinelle est officialisé : Renault et Benetton s'unissent pour un contrat de trois ans à partir de la saison 1995. Ligier, désormais présidé par Tom Walkinshaw, récupère le moteur V10 Mugen-Honda subtilisé à Minardi. La JS41 ressemble comme deux gouttes d'eau à la Benetton B195, ce qui ne manque pas d'attirer l'attention des instances sportives. Tout le train arrière, y compris la boîte de vitesses, ainsi que la coque sont une copie conforme de la monoplace d'Enstone. Ligier est satellisé.
Tom Walkinshaw devra cependant renoncer à son projet de transformation de Ligier en TWR, face à la fronde du staff et surtout des pressions politiques. Il part chez Arrows et Briatore lui rachète la totalité de ses parts, entamant des négociations avec Alain Prost pour lui revendre Ligier. L'ancien champion du monde a cette fois-ci des appuis solides, surtout politiques puisque le gouvernement Chirac souhaite le retour d'une équipe de F1 100% française. Ligier est valorisé à 100 millions de francs (le double de son achat) grâce à un contrat de fourniture exclusif avec Bridgestone et à la gratuité du Mugen-Honda en échange de l'engagement du pilote Shinji Nakano. Jolie plus-value en effet. Mais ceci est une autre histoire...
L'ère Briatore de Ligier laissa aussi planer de nombreux mystères, notamment sur les généreux budgets (280 Millions de francs) qui ne furent dépensés qu'à moitié par l’écurie française sur les années 95-96, le reste ayant étonnamment disparu. Toutes les rumeurs courront, de l'évasion fiscale jusqu'au siphonnage de Ligier pour financer Benetton.
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