Rétro F1- 1995 : Mansell, trop
par Nicolas Anderbegani

Rétro F1- 1995 : Mansell, trop "gros" pour être vrai !

En ce début de saison 1995, Nigel Mansell quitte définitivement la F1 par la toute petite porte. Une histoire d'incompatibilité d'humeurs...et d'embonpoint !

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Champion blessé

En 1992, Nigel Mansell décroche le titre mondial qui lui avait échappé à de nombreuses reprises. C’était un pilote appartenant à une époque et à une « race » de guerriers quelque peu révolue. Apprécié pour son « gros cœur » (pour ne pas dire autre chose) et son pied très lourd – il fut le dernier pilote recruté par Enzo Ferrari avant sa disparition - « il leone », comme l’avaient surnommé les tifosis, était également raillé pour ses bourdes légendaires, sa réputation de « diva » et son côté ours mal dégrossi. Nigel Mansell a toujours eu des fans inconditionnels, surtout dans le public, ou des adversaires caustiques, souvent dans le paddock et les médias, comme Nelson Piquet qui ne manquait jamais une occasion de lui envoyer des piques acerbes.

Ses relations avec Williams n’ont jamais été simples, et à deux reprises, l’écurie britannique le met sur la touche. D’abord, dans la foulée de son sacre de 1992, remporté au volant de la supersonique Williams FW14B-Renault. Alors que le moustachu le plus rapide du monde est confiant pour négocier un bon contrat 1993, Frank Williams ne jure que par Alain Prost, qui prépare son retour après une année sabbatique forcée consécutive à son éviction de Ferrari fin 1991. Le flegmatique patron lorgne aussi sur Ayrton Senna, qui se tâte de continuer avec McLaren et propose même à Williams de conduire gratuitement, pourvu qu’il ait l’arme absolue, ce fameux V10 Renault, dans le dos. Mansell, qui réclame une revalorisation salariale, est remis à sa place par Williams qui ne sort pas facilement le chéquier et prévoit même…une baisse de son salaire. Ulcéré par cet affront et peu enclin à côtoyer encore Prost qui l’avait fait souffrir chez Ferrari, il quitte la F1 pour l’Indycar.

Retour en "sauveur"

Pour sa première saison dans le championnat américain, malgré le délicat apprentissage des courses sur ovale, Mansell remporte brillamment le titre avec Newman-Haas et prolonge logiquement pour 1994. Mais cette année-là, la saison américaine tourne au fiasco. Penske écrase la concurrence, la Lola-Ford de Newman-Haas est beaucoup moins fringante et les humeurs de Mansell, de plus en plus dilettante et aigri, ne passent plus dans le paddock ni même dans sa propre équipe. Le grand Mario Andretti, son équipier d’alors, déclarera : "Je suppose que si Ronnie Peterson était le meilleur coéquipier que j'aie jamais eu, Nigel Mansell était le pire (…) j'avais beaucoup de respect pour lui en tant que pilote, mais pas en tant qu'homme"

Tout bascule après la tragédie d’Imola 1994, quand Bernie Ecclestone et Williams font appel à lui après la mort de Senna. Le premier veut relancer les audiences de la F1, en perte de vitesse, avec le comeback d’une star. Le second, après avoir épuisé d’autres choix et sous la pression de Renault, a besoin d’un gros calibre pour contrer le rouleau-compresseur Schumacher-Benetton et épauler Damon Hill, qui est sous-estimé quant à sa capacité à assumer le leadership chez Williams et à « porter la baraque ». Le retour de Nigel en F1 fait le « buzz » mais en dépit d’une sympathique victoire en Australie et d’un beau duel sous la pluie contre Jean Alesi à Suzuka, le retour de Mansell n’a pas été aussi flamboyant que prévu. Il a fait quelques pâtés de sable en piste et se montre très gourmand pour son contrat 1995. Qu’à cela ne tienne, Williams conserve Damon Hill et mise sur la jeunesse en plaçant dans le second baquet l’écossais David Coulthard, qui a montré une belle pointe de vitesse lors de ses intérims…et qui est sans doute moins gourmand sur le plan salarial. Mansell, persuadé d’avoir mérité son retour, trouve alors refuge chez McLaren.

Mansell et Dennis, le feu et la glace

Un mécanicien Williams dira : « les emmerdes changent enfin de camp ». L’association paraît étrange, tant il est de notoriété publique que Ron Dennis n’apprécie guère Mansell. Le moustachu avait souvent eu maille à partir avec McLaren en piste (comme le grotesque accrochage avec Senna à Estoril en 1989) et avait critiqué Dennis et Senna lors des incidents de Suzuka en 1989 et 1990. Chez McLaren aussi, on ne s’est jamais privé de se « payer » Mansell et de s’en moquer. Les deux hommes semblent trop différents. D’un côté, un pilote fougueux, instinctif, courageux mais pas très porté sur la mise au point et capable de « péter les plombs ». De l’autre, un patron « dur au travail », omnipotent, méticuleux, en quête perpétuelle de reconnaissance et maniaque de la rigueur. Le clinique Dennis peut-il supporter l’imprévisible Mansell, un intrépide pilote souvent « on-off » qui, certes, donne tout -parfois trop en piste – mais se montre difficile à gérer en coulisses ?

Ron Dennis y va à reculons, mais il a des commanditaires puissants, Marlboro et Mercedes, qui ont fait pression pour engager une « star » aux côtés de Mika Hakkinen. Les négociations sont compliquées mais aboutissent, pour un juteux contrat de 10 millions de dollars !

Les tensions sont palpables dès le début de l’année. Le courant passe difficilement entre l’atypique Mansell et le staff McLaren qui reste marqué par l’ère Senna. Patrick Head, le directeur technique de Williams, dira même à Jo Ramirez « qu’il ne peut rien leur dire à propos de Mansell car vous ne me croiriez pas. Vous devez vivre cette expérience… ». Alors que les médias se délectent déjà des étincelles à venir, la saison de Mansell tourne rapidement à la farce. Neil Oatley a conçu une McLaren originale- elle inaugure les futurs « ailerons de requin » sur le capot moteur– et très fine, pour optimiser l’aérodynamisme. Sauf que Nigel Mansell n’a pas la corpulence filiforme de Mika Hakkinen. L’anglais n’a jamais été un modèle de fitness – il s’était quand même affamé et déshydraté la veille de l’instauration du pesage des pilote par la FIA pour donner le change ! – et ses deux saisons en CART, où les monoplaces sont plus larges et moins difficiles à piloter physiquement -n’avaient sans doute pas arrangé les choses !

Fat and Furious

C’est ainsi que surgit la dernière grande gaffe « Mansellesque » abondamment relayée par les médias :  le baquet n’étant pas assez large pour accueillir la carcasse de l’anglais, il sera remplacé sur les deux premières courses par Mark Blundell, le temps de construire une coque adaptée ! Ron Dennis ne voulait pas entendre parler d’une nouvelle monocoque mais la conception est néanmoins lancée, pour la bagatelle de 400.000 euros. Mansell rate donc la tournée sud-américaine qui ouvre le championnat mais en un mois, McLaren parvient à modifier et produire une coque plus adaptée à ses mensurations, la MP4/10 B !

Élargie de 25 mm, elle convient mieux à Mansell qui l’essaye à Silverstone et déclare aux journalistes, tout finaud : « Ron a dû patienter, comme avec Ayrton Senna en 1993 » (Senna monnayait sa présence course après course à McLaren cette année-là). Des propos pas très malins qui énervent toujours plus Dennis.  De retour pour les courses européennes, Mansell va livrer cependant deux prestations insignifiantes, loin derrière son équipier Hakkinen. A Imola, Mansell exige un volant plus petit que son équipier. Il pointe 5e en course puis s’accroche avec Irvine. Dennis n’en peut plus et attend l'occasion de s'en débarrasser.

En Espagne, la coupe est pleine et un ultime incident va précipiter son départ définitif. Lors du warm-up, Ron Dennis reçoit Helmut Werner, le président de Mercedes, et Jürgen Schrempp, futur président du directoire du groupe Daimler-Benz, venus jauger le début de cette collaboration entre l’étoile et McLaren. Soudain, Nigel Mansell, qui vient d'en terminer avec le warm-up, déboule. Sans y mettre la moindre forme diplomatique, c'est pas le genre du bonhomme (l'a-t-il fait sciemment ?) il vide son sac et explique à Werner et à Schrempp que la McLaren-Mercedes MP4/10 est une vraie « poubelle » avant de conclure « Allez, il ne vaut mieux pas en rajouter ! » puis de s'éclipser. Werner et Schrempp sont outrés par les manières et les propos de Mansell. En course, l’anglais navigue en queue de peloton et se plaint de sous-virage. Il fait plusieurs excursions dans le sable puis rentre au 20e tour pour abandonner, jugeant sa voiture inconduisible. Son sort est réglé.

Sans même tenir Marlboro au courant des manœuvres, Mercedes décide de virer Mansell, ce à quoi évidemment ni Ron Dennis ni Mansour Ojjeh, un des actionnaires majoritaires de McLaren Group, ne s’opposent, bien au contraire ! Juste avant le grand prix de Monaco, un premier communiqué annonce d’abord que le salaire de Mansell est trop élevé, histoire de faire passer le message, et deux jours plus tard, un accord de séparation à l’amiable est conclu. Dennis maniera magnifiquement la langue de bois en déclarant que « Les performances de la voiture n'ont pas répondu aux attentes des deux parties jusqu'à présent cette année. Nigel n'est pas confiant dans la voiture et cela a affecté sa capacité à s'engager pleinement dans le programme. " Mansell tentera un dernier comeback l’année suivante, en effectuant des essais pour Jordan mais aura, enfin, la lucidité de comprendre que son temps était passé.

Sources :

8W

R, de Laborderie, le livre d'or de la Formula 1 (éditions 1991, 1992, 1993, 1994)

C.Hilton, Mansell, le départ, éditions Solar

Images : flickr, McLaren, pinterest

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