Marques disparues, épisode 5 : Darracq
par Nicolas Anderbegani

Marques disparues, épisode 5 : Darracq

A la fin du XIXème et au début du XX siècle, c'est le temps des pionniers et des aventuriers de l'automobile. Certains sont passés à la postérité, d'autres sont un peu tombés dans l'oubli. Darracq appartient à cette 2e catégorie, alors que son rôle dans l'essor de l'automobile européenne fut majeur.

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Deux roues, puis trois, et enfin quatre

Pierre-Alexandre Darracq, d'origine basque, commence comme dessinateur industriel à l'arsenal de Tarbes puis travaille pour l'entreprise Hurtu qui produit des machines à coudre, des machines à écrire ainsi que des bicyclettes. En 1891, Darracq fonde propre marque de bicyclettes, Gladiator, qui se diversifie avec la production d'un tricycle électrique. Le succès de Gladiator agace les britanniques, leaders dans ce domaine. Un groupe d'investisseurs parmi lesquels figure Harry Lawson, fondateur de la Daimler Motor Company (à ne pas confondre avec Daimler-Benz), fait une proposition alléchante de rachat que Darracq accepte. Les bénéfices générés par la vente de Gladiator lui permettent alors de franchir un nouveau cap, en se lançant dans la production automobile.

C'est ainsi que naissent en 1897 à Suresnes les Automobiles Darracq SA, fondées en association avec Raoul Perpère. Précurseur, Darracq veut produire en grande série des voitures économiques, mais les débuts sont difficiles. Darracq s'oriente d'abord vers l'électricité en lançant des modèles sous la marque Perfecta, mais la faible autonomie et les piètres performances ne suscitent pas beaucoup d'engouement. Darracq se tourne ensuite vers le moteur à explosion et propose différents modèles, dont un tricycle, mais de fabrication médiocre.

La première vraie auto, dessinée par Paul Ribeyrolles, et propulsée par un mono cylindre de 6,5 chevaux, est la Darracq 6,5 HP de 1900. Ils ne connaissent pas davantage de réussite. Néanmoins, L'entreprise persévère et continue de recruter. Pour l'anecdote, on trouve parmi les contremaîtres employés à Suresnes un suisse dénommé Louis Chevrolet !

Le tournant de 1901

Cette année-là, Darracq présente un modèle entièrement conçu et fabriqué en interne : la Type C, un runabout (voiture de promenade) mue par un mono-cylindre 785 cm3 de 9 chevaux, un allumage électrique, une transmission par arbre à came et un passage à vitesses sous le volant. Deux ans plus tard, la société acquiert la production sous licence du moteur 5 CV Léon Bollée, qui équipera ensuite tous les modèles Darracq. Pour en revenir à la Type C, ce qui en fait une voiture importante réside dans son procédé de fabrication révolutionnaire, effectué dans des usines équipées de machines modernes. Le modèle est conçu avec de la tôle d'acier au vanadium emboutie, qui permet d'obtenir un prix très compétitif. Simple, fiable, économique, la Type C Darracq représente la première vague de démocratisation de l'automobile en France. Henri Ford lui-même s'inspire du procédé pour le modèle T appelé à passer à la postérité. 1200 exemplaires de Type C sortent des ateliers et en 1904, la société assure 10% de la production automobile française !

Compétition et expansion

Au début de la belle époque, Darracq est en plein essor. Il équipe des sociétés de taxis et investit dans la compétition afin d'accroître sa notoriété, ce qui est le cas avec l'obtention de plusieurs records de vitesse absolus. Le 30 décembre 1905, entre Salon-de-Provence et Arles, Victor Hémery atteint les 174.757 km/h sur Darracq V8 Special 200 chevaux de 22 litres de cylindrée (!). Un bolide qui a encore de beaux restes, jugez plutôt !

La marque triomphe sur le circuit des Ardennes et remporte consécutivement la coupe Vanderbilt en 1905 et 1906, ce qui lui ouvre les portes du marché américain. Du côté de la série, Darracq innove avec un cadre de châssis pressé dans une seule pièce d'acier et étoffe sa gamme. Toujours en 1904, la quintessence du savoir-faire du constructeur s'incarne dans la remarquable Flying Fifteen (15 HP) qui possède un châssis en acier dit "bois cuirassé" offrant un excellent compromis poids/rigidité ainsi qu'un 4 cylindres qui autorise une vitesse maxi de 90 km/h.

L'expansion de l'entreprise passe aussi par des partenariats à l'étranger, qui permettent de commercialiser sous licences les produits en contournant les problèmes de limitations à l'importation et les droits de douane très prohibitifs de l'époque. Cela commence par l'Allemagne en 1902, alors que Adam Opel lance son entreprise dans l'automobile. Le Blitz, future propriété de General Motors, importe les châssis français, y appose ses carrosseries et ses motorisations bicylindres, vendues sous le nom Opel-Darracq. En 1903, Darracq est repris par des investisseurs britanniques et crée une filiale en Angleterre, nommée à partir de 1905 Darracq and Co. Limited. Alexandre Darracq reste aux manettes et l'apport des nouveaux capitaux permet l'agrandissement de l'usine de Suresnes et la construction d'un site outre-manche.

Erreurs et difficultés

En 1906, c'est de l'autre côté des Alpes que Darracq s'étend, en créant une filiale italienne, la Società Italiana Automobili Darracq. L'homme d'affaires espère contrer FIAT et veut profiter du coût moindre de la main d’œuvre italienne. Seulement, Alexandre Darracq commet deux erreurs : la première, c'est d'implanter la société dans le sud, à Naples, ce qui complique la chaine d'approvisionnement logistique, allonge les délais et augmente les coûts. L'usine est alors transférée au Nord, dans la banlieue de de Milan, à Portello. La seconde, c'est l'offre : les modèles 7HP, 8/10 HP et 4 cylindres 14-16 HP souffrent de la comparaison avec les rivales transalpines pas plus chères mais de meilleure qualité. Les Darracq italiennes de surcroît ne sont pas bien adaptées au pays, dont la géographie montagneuse exige des voitures plus puissantes et dotées de bons freins. C'est justement ce qui manque aux Darracq obsolètes. Les ventes ne décollent pas...

En 1907 enfin, une succursale espagnole, la Sociedad Anonima Espanola de Automoviles Darracq, est créée, tandis que la marque se diversifie dans les transports en commun avec La société Gardner-Serpollet. Vers 1910 néanmoins, la société subit un coup d'arrêt à cause de la crise économique. Les ventes s'effondrent en France, la concurrence se renforce et la filiale italienne est mise en liquidation. Elle est revendue à des investisseurs milanais, convaincus par le potentiel du marché italien, et qui la transforment en Anonyma Lombarda de fabrica di Automobili, alias Alfa. Une marque promise à une belle destinée, surtout quand elle est reprise après la guerre par l'ingénieur Nicolas Romeo. Mais ceci est une autre histoire !

Rachat par les anglais (bis)

En France, Darracq tente un coup en pariant sur le moteur Henriod à distributeur rotatif, qui est installé sur la Darracq P2 en 1912, mais c'est un mauvais choix: les problèmes techniques sont nombreux, la voiture ne se vend pas et plombe les résultats de l'entreprise. Alexandre Darracq se retire de l'automobile et s'installe sur la côte d'Azur, où il se consacre à l'immobilier et à la gestion de l'hôtel Negresco.

Ironie du sort, c'est la filiale anglaise qui rachète les parts en 1913 et prend le contrôle total de Darracq. La marque connaît une belle expansion, consolidée financièrement par les commandes militaires de la Grande Guerre. La gamme se renforce avec la la 20/30 ch en 1914, la 16 ch, dotée d'un éclairage et d'un démarrage électriques, puis la nouvelle V8 de 4,6 litres. La firme rachète Talbot en 1919 puis s'associe à Sunbeam en 1920, devenant ainsi le groupe STD (Sunbeam-Talbot-Darracq) Motors Ltd. Les voitures produites à Suresnes sont vendues sous le nom Talbot-Darracq en France puis le nom Darracq disparaît définitivement en 1935.

On le voit, Darracq occupe une place importante dans l'histoire de l'automobile européenne, précurseur à la fois par ses méthodes de production, son approche marketing, son souci de démocratisation et son rôle dans la genèse de marques comme Opel, Alfa Romeo et Talbot. Alexandre Darracq n'était pourtant pas un amoureux de l'automobile, mais un financier avant tout, avec une vision internationale et "court-termiste" assez moderne qui n'a pas été toujours très judicieuse, comme en Italie... Il n'a jamais conduit un de ses modèles et n'était pas animé par cette passion qui, à l'image d'un Enzo Ferrari, lui aurait permis de pérenniser davantage sa création. Son nom mérite néanmoins de figurer au panthéon des pionniers de l'aventure automobile.

Source : automobiles anciennes, encyclopédie des marques, wikimedia commons, flickr

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A la fin du XIXème et au début du XX siècle, c'est le temps des pionniers et des aventuriers de l'automobile. Certains sont passés à la postérité, d'autres sont un peu tombés dans l'oubli. Darracq appartient à cette 2e catégorie, alors que son rôle dans l'essor de l'automobile européenne fut majeur.

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