Marques disparues, épisode 32 : Edsel
Ford était sûr de son coup et l'avait clamé haut et fort...le retour de bâton fut d'autant plus cinglant, pour une marque créée à grands frais et qui n'a existé que trois ans !
Ford était sûr de son coup et l'avait clamé haut et fort...le retour de bâton fut d'autant plus cinglant, pour une marque créée à grands frais et qui n'a existé que trois ans !
A la fin des années 50, Ford, qui est devenue une société cotée en bourse, veut lancer un nouveau modèle intermédiaire, le projet « E car », qui évolue au final en une nouvelle marque à part entière, destinée à se positionner entre Ford et le duo Mercury-Lincoln plus orienté vers le haut de gamme. Après de longues recherches confiées à une société de conseil – et même la consultation de la poétesse Marianne Moore qui proposa des noms abscons tels que « Pastelogram », « Turcotinga », ou encore « Mongoose Civique » le nom retenu est celui d’Edsel, en hommage au fils d’Henry Ford, Edsel Ford, décédé en 1943 d’un cancer à seulement 49 ans. Il s’agira surtout du plus retentissant échec commercial de l’histoire de la marque, un cas d’école de ce qu’il ne fallait pas faire.
Pourtant, tout avait été prévu pour faire de la marque Edsel un succès, et Ford ne lésina pas sur la communication à ce sujet. Le projet est piloté par une nouvelle génération de têtes pensantes dynamiques, les « Wizz Kids », parmi lesquels figure un certain Robert McNamara, qui fera parler de lui plus tard en étant nommé secrétaire d’état à la Défense par Kennedy, supervisant les débuts de l’engagement américain au Vietnam. Ces jeunes technocrates pleins d’allant décident de mener une étude marché très approfondie, quasiment « scientifique », sur les désirs et les besoins du consommateur, une démarche qui sera abondamment mise en avant dans la campagne promotionnelle. On promet monts et merveilles : une voiture innovante, originale et avant-gardiste, répondant à toutes les attentes du public. Un énorme budget est investi dans le marketing, notamment pour organiser un lancement en grande pompe lors du « Edsel Day », le 4 septembre 1957, avec en clou du spectacle un grand show télévisé auquel participent de nombreuses stars dont Frank Sinatra.
Pour son année modèle inaugurale, Edsel présente une gamme de sept modèles, dont quatre berlines et trois breaks. Les Edsel Ranger et Edsel Pacer partageaient des carrosseries avec des berlines Ford Fairlane tandis que les Edsel Corsair et Edsel Citation partageaient des carrosseries avec les Mercury Monterey et Mercury Montclair berlines. Partageant sa carrosserie et son empattement de 2,90 mètres avec les breaks Ford, Edsel a proposé l'Edsel Roundup (sic) à deux portes et l'Edsel Villager à quatre portes ainsi que l’Edsel Bermudes.
Mue par de puissants V8, la gamme de modèles Edsel offrait de multiples caractéristiques de conception considérées comme innovantes pour l'époque. Au lieu d'une bande horizontale ou d'un cadran rond, le compteur de vitesse était un dôme rotatif ; conformément à la conception de l'avion, le tableau de bord adoptait des voyants d'avertissement pour des conditions telles que le niveau d'huile bas, le frein de stationnement engagé et la surchauffe du moteur. Bien qu'il ne soit pas équipé d'un régulateur de vitesse, Edsel a introduit un avertissement de vitesse sur le compteur de vitesse si le conducteur dépassait une limite de vitesse prédéfinie. On propose aussi les freins à réglage automatique, la climatisation automatique, les commandes de transmission montées sur le volant et les serrures de porte arrière à l'épreuve des enfants !
La fonctionnalité la plus surprenante venait de la transmission, puisque Edsel avait introduit le Teletouch, un système de changement de vitesse à bouton-poussoir, monté dans le moyeu du volant ! Néanmoins, le sélecteur à bouton-poussoir Teletouch était une fonctionnalité extrêmement complexe. Cela s'est avéré problématique en partie parce que le moyeu du volant, où se trouvaient les boutons-poussoirs, était l'emplacement traditionnel du bouton du klaxon. Certains conducteurs ont changé de vitesse par inadvertance lorsqu'ils avaient l'intention de klaxonner. Les fils de commande étaient également acheminés trop près du collecteur d'échappement, ce qui provoquait souvent un mouvement imprévisible du mécanisme de sélection et, dans certains cas, une panne complète.
Pourtant, malgré tous les efforts consentis, c’est la douche froide pour le directoire. En 1958, première année pleine d’exploitation, seulement 63000 Edsel sont vendues aux Etats-Unis, loin, très loin des chiffres attendus. L’année suivante, on tombe à moins de 45000 ventes, malgré le partage du réseau Mercury/Lincoln. Alors, que s’est-il passé ?
Edsel a cumulé toutes les tares ! En dépit des innovations mentionnées plus haut, les clients et la presse se rendent vite à l’évidence : l’originalité promise est loin du compte, les Edsel partageant énormément de caractéristiques techniques et d’éléments de carrosserie avec des modèles Ford et Mercury. Le client ne sait pas vraiment comment positionner cette marque, dont le rapport qualité-prix s’avère au final défavorable, puisque les Edsel présentent rapidement de nombreux soucis de finition et de fiabilité, alors même que leur positionnement tarifaire est très proche de Mercury. Ford réussit l’exploit d’avoir deux marques qui se cannibalisent !
A cela s’ajoute une conjoncture défavorable, puisque l’économie américaine connaît à la fin des années 50 une récession qui affecte particulièrement le marché automobile. La marque arrive ainsi à contre-courant, puisque le consommateur est en attente de modèles plus économiques et moins extravagants, alors que la jeunesse cherche de son côté des modèles plus funs et abordables, ce que la Mustang saura satisfaire quelques années plus tard.
Enfin, et ce n’est pas une moindre cause, elles ont été pénalisées par un design clivant, surtout à cause d’une étrange calandre dont la partie centrale, plus haute que large, avec un double cerclage chromé, donnait l’apparence d’un « collier de cheval », quand d’autres y voyaient purement et simplement un sexe féminin…Le design ne semblait pas assez « viril » pour le mâle consommateur lambda de l’époque. Ce design atypique et baroque est abandonné dès 1959, mais de toute façon, la marque s’écroule.
McNamara, en véritable cost-killer avant l’heure, réduit et rationalise fortement la gamme, fait supprimer de nombreux éléments originaux (dont la transmission à boutons) et supprime quasiment tout budget publicitaire, avant finalement que l’arrêt pur et simple d’Edsel ne soit acté en 1960. Le projet a coûté plus de 400 millions de dollars de l’époque, soit plus de 4 milliards actuels, restant ainsi comme l’un des plus grands flops industriels de l’économie américaine au XXème siècle, au point d’être rentré dans le langage populaire, un « Edsel » désignant dans le jargon un ratage de produit en règle. C’est désormais sur le marché de la collection, où elles se font rares, que les Edsel connaissent un certain succès !
Edsel fut une marque ambitieuse, sans doute trop. Avec un design dérangeant et un positionnement ambigu de la gamme par rapport à Mercury, son existence fut très éphémère. Ford saura rebondir peu après avec les Taunus, Galaxy et Mustang.
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