En se professionnalisant à partir des années 70, avec d'énormes enjeux financiers en toile de fond, la Formule 1 est devenue également un spectacle en coulisses. Depuis de longues années, la trêve estivale du mois d'Août est qualifiée par les anglais de "silly season", en ce sens que c'est le moment où en général s'accélèrent les tractations pour les transferts, se font ou se défont des contrats, avec à la clé parfois des histoires dignes d'un bon roman.
1984 : Senna puni !
Le brésilien est LA révélation de la saison, marquée par sa remontée fantastique sur Alain Prost au grand prix de Monaco. Senna est sous contrat avec la petite équipe Toleman pour 1985, mais il est rapidement l'objet de nombreuses convoitises. Lassé de Mansell, le manager de Lotus, Peter Warr, négocie et signe un contrat avec Senna, mais l'affaire est ébruitée dans la presse avant l'annonce officielle. Toleman est pris de court et mis devant le fait accompli, ayant tout ignoré des tractations avec Lotus. Certes, le contrat de l'espoir brésilien contenait bien une clause de cassation, moyennant un dédit, mais c'est surtout la forme qui a vexé Toleman. En guise de "punition", l'équipe met à pied Senna pour le grand prix d'Italie. Quand il arrive dans le paddock, le brésilien constate en effet que son baquet est occupé par Pierluigi Martini. Après que ses avocats aient entamé des démarches judiciaires contre Tolmena, petite équipe aux moyens financiers limités, Senna réintègre son baquet pour les deux dernières courses.
1990 : le feuilleton Jean Alesi
En 1989, "managé" par son patron de F3000 Eddie Jordan, Jean Alesi débute en F1 au grand prix de France chez Tyrrell, remplaçant Michele Alboreto qui était en litige contractuel avec l'équipe anglaise. L'avignonnais décroche une superbe 4e place et Tyrrell se dépêche de le faire signer pour le reste de la saison ainsi que l'année 1990. Cette année-là, Alesi réalise un début de saison fabuleux, marqué par son duel de légende contre Senna dans les rues de Phoenix, ce qui suscite l'intrerêt de grandes équipes comme Ferrari et Williams.
En coulisses, Alesi signe en début d'année un pré-contrat avec Williams, qui doit être officialisé avant le grand prix de France et reste optionnel jusqu'en septembre. Sauf que Williams tarde à lever l'option, car il court plusieurs lièvres à la fois: avec Mansell, qui semble prêt à quitter Ferrari et pourrait revenir "à la maison" mais aussi avec Senna, qui commence à lorgner du côté du projet Williams-Renault. Williams tarde, et après une entrevue infructueuse dans le paddock de Silverstone où Alesi a essayé de forcer la main du retors manager anglais, Alesi se laisse séduire par les sirènes de Ferrari qui lui promet un contrat ferme de trois ans, auquel est rajouté, sur les conseils de Nelson Piquet, le cadeau d'une F40.
La presse italienne dévoile le pré-contrat avec la Scuderia en juillet, ce qui provoque la colère de Tyrrell, qui cherche un bon dédit, mais aussi celle de Williams qui néanmoins jouait plusieurs chevaux à la fois. Cela se règle finalement en septembre, avec l'officialisation d'Alesi chez Ferrari. Tyrrell obtient un bon dédit sur le contrat de son pilote et Williams obtient, en échange de la rupture du pré-contrat avec le jeune français...une Ferrari 641 !
1991 : Moreno jeté comme un kleenex
En aout 1991, la jeune écurie Jordan doit remplacer en urgence pour le grand prix de Belgique son pilote Bertrand Gachot, qui se retrouve écroué après une sombre altercation à Londres avec un chauffeur de taxi !
Des contacts sont rapidement noués avec Mercedes, qui prépare son arrivée en F1 et veut placer son protégé, Michael Schumacher. Le prodige allemand marque les esprits avec des débuts remarquables à Spa. Eddie Jordan espère faire signer un contrat de 2 ans à Schumacher, mais l’allemand a tapé dans l’œil de Flavio Briatore, le team manager de Benetton, l’écurie qui monte.
Mercedes fait une offre juteuse à Benetton, alors que, de leur côté, Schumacher et son manager Weber apprennent que Jordan va perdre son contrat moteur Ford et se retrouver en 1992 avec un médiocre moteur Yamaha, gage d'une saison bien médiocre en perspective ! Jordan se fait devancer par les allemands qui s’accordent sur un contrat de 5 ans avec Briatore et Benetton. Un contrat de pilote payé de surcroît, alors que Jordan ne peut proposer autre chose qu'un statut de pilote payant.
Or, Flavio Briatore a déjà deux pilotes sous contrat chez Benetton, à savoir les brésiliens Nelson Piquet et Roberto Moreno. Le second va alors servir de fusible. Se repose tranquillement dans son appartement monégasque avant Monza, il apprend par un simple fax qu'il est licencié « pour incapacité physique et morale à piloter » ! Un communiqué officiel annonce dans la foulée qu’il est remplacé avec effet immédiat par Michael Schumacher. La manière brutale selon laquelle Moreno est congédié suscite une véritable tollé dans le paddock.
Roulé dans la farine, Jordan est débouté de sa plainte car aucun contrat tangible n'avait été signé par Schumacher, ce qui fait que son "chipage" par Benetton est inattaquable. Sur le cas Moreno, le tribunal de Milan condamne Briatore à verser au brésilien 500 000 dollars en guise de dédommagement ! Bernie Ecclestone joue aussi les médiateurs et obtient un règlement à l’amiable : Jordan abandonne Schumacher à Benetton, moyennant un engagement financier de "réparation". Mieux, Moreno remplacera l'Allemand dans la monoplace Jordan à Monza et percevra l'indemnité promise par la justice italienne.
2005 : le faux départ de Button
Grand espoir lors de son arrivée en 2000, Jenson Button connaît des premières saisons difficiles mais à partir de 2004, tout semble se mettre en ordre avec l’écurie BAR Honda. Cette année-là, Button est le meilleur des autres derrières l’invincible armada Ferrari et l'équipe se structure autour de lui. BAR a une option sur son pilote pour 2005 et l'active. Or, en plein été 2004, Williams annonce le recrutement de Jenson Button pour la saison 2005 !
Pourquoi Button commet-il alors ce que Montoya qualifie à cette époque de « folie » ? L’argent certes, mais aussi des doutes que Button avait sur la relation à long terme entre BAR et Honda,,alors que le couple Williams-BMW semblait plus prometteur ? L'option pour 2005 devait être prise avant le 31 juillet à l'été 2004. Suite à la confirmation par Honda d'un engagement envers BAR jusqu'à au moins fin 2007 lors du week-end du GP d'Allemagne, le constructeur a donné à la direction de Button "toute l'assurance qu'elle avait demandée", selon le vice-président de Honda Racing Development, un certain...Otmar Szafnauer.
Cinq jours après cette date limite, Williams annonce son accord. Le lendemain, le patron de BAR, David Richards jure de contester et lance une grande offensive dans les médias. Richards était tellement convaincu que BAR gagnerait le différend contractuel qu'il n'a pas envisagé de devoir trouver un remplaçant pour Button.
BAR a eu gain de cause et, après cette sombre affaire, Button s'est séparé de sa société de gestion et a demandé à son ami Richard Goddard de reprendre le rôle. Peu de temps après, il a admis qu'il avait été "égaré" en ne traitant pas avec Richards en personne. Button a été contraint de payer un montant exorbitant à Williams pour se racheter du contrat. Il ne rejoindra jamais Williams, qui perdra finalement son partenairat avec BMW qui rachète Sauber en 2006.
2015 : Monisha en prison ?
Fin 2014, l'écurie Sauber, très endettée, regarde davantage la valise de billets que le CV des pilotes qu'elle recrute. Sauf qu'en F1, il n'y a que deux baquets à pourvoir. Alors quand on se retrouve avec trois pilotes sous contrat...Sauber a recruté comme pilotes titulaires pour la saison 2015 Felipe Nasr et Marcus Ericsson mais elle disposait vraisemblablement d'un contrat avec Giedo van der Garde, son pilote d'essais depuis 2014. Le Hollandais ne supporte pas cet affront et engage des poursuites judiciaires contre l'écurie suisse. Il n'exige pas officiellement des réparations, mais bien un des deux volants ! Le lundi 9 mars l'affaire est portée devant la Cour suprême de l'État de Victoria qui tranche en faveur de van der Garde.
Problème, l'équipe n'a pas fait de demande durant l'intersaison pour la délivrance de la super-licence à la FIA et, dans sa défense, explique que donner un volant à Van der Garde serait dangereux pour lui et pour les autres ! L'appel de Sauber est rejeté le lendemain. Le vendredi, lors des essais libres 1 du grand prix d'Australie, les monoplaces Sauber restent dans leur box ! Les avocats du pilote néerlandais sont prêts à envoyer des huissiers pour saisir le matériel et demandent même une incarcération de Monisha Kalterborn, la directrice de l'équipe suisse. Finalement,un accord à l'amiable est trouvé entre les deux parties, mettant fin aux poursuites engagées en Australie et ouvrant la voir à des négociations ultérieures.