Carlos Reutemann nous a quittés en 2021. Pilote emblématique des années 70 et du début des années 80, l’argentin, qui pilotait alors pour Williams, avait échoué de peu dans la conquête du titre en 1981, se faisant coiffer sur le fil par Nelson Piquet et sa Brabham lors d’une course finale à Las Vegas aussi rocambolesque, stressante que controversée.
Les confidences de Bernie
En effet, Reutemann, qui avait dominé une grande partie de la saison, s’était effondré sur la dernière course malgré la pole position, ce qui avait conforté sa réputation de « faiblesse psychologique », laquelle lui avait collé à la peau une grande partie de sa carrière. Mais si l’on sait que l’argentin avait souffert d’ennuis mécaniques sujets à controverse et avait dû affronter un climat délétère et hostile contre lui au sein même de son équipe Williams, de nouveaux éléments révélés par Bernie Ecclestone dans un récent documentaire ont déclenché une très forte polémique en Argentine, 41 ans après les faits ! L'étincelle a été allumée par Bernie Ecclestone, l’ancien grand manitou de la F1, qui a régné de main de maître sur le business de la F1 de la fin des années 70 jusqu’à son retrait en 2017 lors du rachat par Liberty Media. Dans l'excellent documentaire "Lucky", l'Anglais a fait une confession qui a tout relancé.
"Après le premier jour d'essais, il était évident que les pilotes allaient avoir des problèmes avec toutes les douleurs au cou. Carlos (Reutemann) a parlé à la masseuse qui était dans les stands. Je suis allé voir cette personne et après une discussion financière, ils ont décidé de favoriser Nelson Piquet. Nous avons remporté le championnat de 1981 et c'était la fin pour Carlos, qui a cessé de courir peu de temps après", a-t-il déclaré, avouant ainsi un pot-de-vin. On sait que Nelson Piquet souffrait d'intenses douleurs cervicales sur ce tracé calamiteux construit sur les parkins du Caesars'Palace, mais Reutemann a semblé très en retrait pendant le grand prix. Les propos restent évasifs, mais suffisants pour faire jaser.
Une saison de controverses
Bernie, à l'époque, était le propriétaire et le patron de Brabham , pour laquelle pilotait Piquet, mais aussi le porte-parole de la FOCA, l'association d'équipe qui négociait tout avec la FIA et s’occupait de la promotion des courses. Un conflit d’intérêts évident…Ce fut une année mouvementée : Reutemann avait déosbéi à des consignes d’équipe, s‘attirant les foudres des dirigeants Frank Williams et Patrick head mais aussi de son rugueux équipier australien Alan Jones, qui ne portait pas l’argentin dans son cœur (mais Jones ne portait pas grand monde dans son cœur).
Il ne faut pas oublier aussi que la situation géopolitique se durcissait entre l’Argentine et l'Angleterre, ce qui allait déboucher sur la guerre des Malouines en 1982, or certains observateurs avaient souligné l’influence de ces tensions diplomatiques au sein de la très anglo-saxonne Williams où évoluait l’argentin Reutemann. D’ailleurs, au soir de la course de Vegas, gagnée par Jones, Williams avait célébré la victoire en course sans la moindre compassion pour son pilote battu au championnat…
Qui plus est, Brabham était dans le collimateur à l’époque, car la règlementation avait interdit en 1981 les jupes aérodynamiques coulissantes qui généraient l’effet de sol mais s’étaient avérées dangereuses. Or, Brabham avait trouvé une parade grâce à son ingénieur Gordon Murray qui avait développé un système pneumatique permettant de réduire l’assiette du châssis et donc de générer de l’effet de sol quand la monoplace était en mouvement, avant que celle-ci ne reprenne sa hauteur initiale à l’arrêt, passant ainsi au travers des contrôles.
Le dénouement avait profondément affecté Reutemann, qui s'était retrouvé avec une voiture inconduisible et une boite de vitesses récalcitrante. Il n'avait jamais digéré cette affaire et avait claqué la porte de Williams au début de la saison 1982, prenant par la même occasion sa retraite.
Laver l'affront
Face aux dernières révélations d’Ecclestone, la famille, par le biais de la fille de Carlos Reutemann, a réagi avec indignation, mais sans surprise. "Je le savais déjà. Non seulement ce qu'il a avoué à propos du masseur, mais quelque chose de beaucoup plus grave, à savoir que la Brabham n'était pas adaptée à la course en raison de l'effet de sol , ce qui était interdit. Plus tard, il y a eu aussi le problème des pneus qui étaient changé, que les gens du sport automobile connaissent », a déclaré Cora Reuteman , la fille du participant, sur une station de radio, Cadena 3 à Santa Fé, où Carlos "Lole" Reutemann était gouverneur.
Elle se réfère à une autre controverse : "Williams allait bien avec Michelin, mais est passé à Goodyear sur les ordres de Bernie, ce qui était censé être bien. Williams n'avait jamais essayé Goodyear. Là, vous pouvez voir dans le championnat que la 'performance' (performance) baisse. Évidemment, papa est le champion de 1981 », lâche-t-elle.La prochaine étape est de mettre cela par écrit. Quand papa est mort, j’ai dit à mon fils que j’allais tout faire pour faire savoir que son grand-père était un champion de Formule 1. »
Cora Reutemann révèle également un dernier souhait de son père. "La veille de la mort de papa, j'ai envoyé à Bernie un message audio lui demandant d'être honnête avec mon père et de lui dire avant son départ qu'il était le vrai champion de 1981. Malheureusement, le lendemain, il est mort et a été laissé dans les airs. Je n'aurais jamais imaginé que ça allait avoir une signification telle qu'elle est maintenant. Bernie m'a dit que je pouvais lui demander tout ce dont j'avais besoin. Je lui ai demandé ça, à vrai dire. Il l'a fait publiquement, ce qui est bien mieux", a-t-elle clamé.
Les médias argentins spécialisés crient déjà au vol, mais on voit mal comment cela pourrait entrainer une révision du championnat. La controverse technique est connue, et des mesures de "favoritisme" en coulisses, sans incidence directe avec l'action en piste ou la mécanique, peuvent difficilement être recevables pour réviser un championnat, quand on voit comment les errements d'Abu Dhabi 2021 ont été vite classés. Reutemann peut en ressortir comme vainqueur moral, même si cela n’enlève rien à Nelson Piquet qui avait souffert le martyre sur cette course mais était allé chercher les points nécessaires à bout de forces. Piquet a déjà assez de soucis avec ses déclarations publiques au Brésil...