Alain Clénet: livigne ze américanne drime!
par Joest Jonathan Ouaknine

Alain Clénet: livigne ze américanne drime!

Les années 70 sont une période d'excès en tout genres. Un Français, Alain Clénet, tente sa chance en Californie et s'improvise constructeur de voitures de luxe. Pendant quelques années, la jet set fait le pied de grue devant son usine. Une histoire digne d'un film hollywoodien.

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D'Angers à Los Angeles

Alain Clénet grandit dans les années cinquante au milieu des voitures. Ses parents possèdent une concession Ford à Angers (qui existe toujours.) Une année, la famille part en vacances à Majorque. Clénet est séduit par les lieux et le climat. Il se dit que quoi qu'il fasse une fois adulte, il le fera au soleil!

Aux Etats-Unis, on parle de plus en plus de design industriel. Raymond Loewy multiplie les interventions publiques pour "vendre" sa spécialité. Chez les "trois grands", les responsables du design sont des stars, voir des divas. Ils gèrent chacun une dizaine de bureaux, capable de produire des dizaines de concept-car et financés par des budgets colossaux. A contrario, en Europe, les designers sont encore des dessinateurs industriels. Ce sont des anonymes, en blouse grise, qui travaillent dans un coin d'usine (ci-dessous.) Loin des objectifs.

Clénet veut être designer. Mais à l'américaine! Il étudie aux Beaux-arts d'Angers, puis aux Arts Déco, à Paris. De son propre aveu, il ne supporte pas les critiques des profs. Par contre, comme il se considère plus malin que les autres, il ne se gêne pas pour critiquer lui-même. En 1965, il claque la porte. Il retourne à Angers, achète une Fiat 600, la recarrosse, prépare le moteur, puis la montre à ses profs des Arts Déco.

Les années AMC

Il revend sa Fiat 600 et s'envole pour New York. Plus tard, grâce aux contacts de son père, il trouve un job chez American Motors. Très vite, il retrouve son habitude de donner des leçons à tout le monde. Il juge que son employeur est trop conservateur et ne sait pas écouter le marché. Heureusement, il est là! Clénet prétend associer la créativité américaine au bon sens européen. Ainsi, son premier dessin est une 3 portes avec hayon, motorisée par un V8. Un genre d'AMC Gremlin avant la lettre (elle n'arrivera qu'en 1970.)

Il prétendra plus tard être l'un des "pères" de la Renault Rodéo, qu'il aurait dessiné sans quitter les Etats-Unis.

Le plus probable, c'est qu'en tant que "junior", il est surtout affecté aux photocopies et à l'approvisionnement en cafés. Clénet s'ennuie. Il se lie d'amitié avec un autre jeune, un certain Bill. Bill n'a aucune fonction officielle chez AMC, mais il a droit d'aller partout, y compris dans les salles de prototypages (dont on refuse l'entrée à Clénet.) Les deux jeunes font les 400 coups, de jour comme de nuit. Bill présente Clénet à son père. Ce dernier semble s'intéresser beaucoup au travail du jeune designer et à ses impressions...

Un matin, Clénet est "accueilli" par son supérieur. En fait, le père de Bill est George W. Romney, alors PDG d'American Motors! Il s'est servi de Clénet pour savoir ce qu'il se passe dans les bureaux. Le Français en a fait un portrait peu flatteur. Du coup, le chef de service s'est fait remonté les bretelles. En représailles, il vire Clénet.

Et Bill? En fait, il s'agit de Willard Mitt Romney et bien plus tard, il sera candidat républicain à la présidentielle 2012...

Et ensuite? Clénet est assez avare de repères chronologiques. Mitt Romney est parti en France à l'été 1966. Clénet aurait commencé à réfléchir à sa voiture fin 1974. Ce qui laisse donc un vide de 8 ans (qui contredit son histoire d'ascension fulgurante.) Au gré des interviews, il prétendra tour à tour avoir été commercial pour un fabricant japonais de pièces autos, designer d'engins de manutention ou architecte, spécialisé dans le préfabriqué. Le plus probable, c'est qu'il a été tout cela, enchaînant les boulots et déménageant régulièrement. C'est ainsi qu'il découvre Los Angeles. Il la compare à Majorque, mais avec davantage d'emplois à pourvoir!

Clenet Coachworks

A Los Angeles, il ne peut que constater l'émergence du phénomène "néo-rétro" ou "néo-classique". Pas besoin d'acheter une Packard ou une Duesenberg: une calandre chromée, de faux compas sur le toit en simili et quelques détails soit-disant "belle époque" suffisent. Même Citroën s'y met, avec son prototype 2cv Pop!

A Los Angeles, la plupart des néo-classiques sont des Coccinelle habillées d'une carrosserie en fibre de verre. La plupart ont une finition assez médiocre. Clénet comprend qu'il y a un marché pour une voiture de qualité. Qui plus est, c'est une ville de parvenus. Beaucoup de riches n'ont aucun goût, ils veulent quelque chose de clinquant, d'exclusif et qui dise "j'ai payé tant pour l'avoir". Et par un doux paradoxe, ce designer obsédé par la modernité se lance dans un hommage au passé ! Pour créer la Clenet, il commence par acheter une Lincoln Mk IV. Cette voiture possède un châssis séparé, un gros V8 (obligatoire aux USA) et surtout, une belle calandre chromée.

Ensuite, il prend une MG Midget. Elle donnera sa cellule centrale et sa capote.

Clénet n'a plus qu'à rhabiller le tout avec des ailes en fibre de verre, des chromes et des détails rococo (comme l'immense cendrier en cristal) et vous avez la Clénet Série 1.

Il débarque avec au salon de Los Angeles 1975. L'homme est rusé et il a compris qu'il faut adapter son discours à ses interlocuteurs. Aux journalistes du Times, il joue le self-made-man, arrivé de France avec son baluchon et qui a fait fortune, parce qu'aux Etats-Unis, au moins, il n'y a pas de communistes! (dixit A. Clénet) En revanche, avec ses riches clients potentiels, il joue le frenchie cultivé, mais un peu benêt. Son premier acheteur, un responsable de CBS, est ainsi persuadé de faire une sacrée affaire!

Grâce à ses premiers dollars, Clénet fonde "Clénet Coachworks", en 1975. Il s'installe dans un hangar et recrute du personnel. Il voue une haine aux syndicats et prend soin d'embaucher des non-professionnels. Dans le lot, il y a Alfred di Mora, un New-yorkais. Ce mécanicien autodidacte est vite bombardé n°2 de Clénet.

Clénet n'a pas de concessionnaires, ni de réel service marketing et encore moins de S.A.V. Faute d'accord avec Ford ou MG, il continue à acheter des voitures neuves pour les désosser! Au début, le PDG et son bras droit font du porte-à-porte. Puis, le bouche-à-oreille se met en place. Clénet joue sur la rareté. Sa Série 1 est limitée à 250 exemplaires, point. Lorsqu'un acheteur débarque, il prétend qu'elles sont toutes vendues! Puis, quelque temps après, il rappelle pour dire qu'un exemplaire s'est libéré...

La Série 1 est le must-have de Beverly Hills et même de Las Vegas. Le PDG gonfle le prix de vente et les clients continuent à affluer. Il faut débourser 100 000$ pour s'en offrir une, soit le prix de quatre Cadillac Seville! Alain Clénet est interviewé par TF1 et il crâne devant les caméras. Di Mora n'a pas envie de rester un "n°2". Il part avec deux collègues fonder un concurrent, Spectre. En 1979, la 250ème et dernière voiture sort de l'atelier.

La chute

La Mk IV et la Midget ne sont plus produites. Alors, pour la Série 2, Clenet emploiera un ensemble châssis+moteur de Lincoln Mk V et une cellule centrale de Coccinelle! De plus, il veut disposer d'une vraie usine, à Santa Barbara. Il en a lui-même dessiné les plans.

En parallèle, Clénet lance la Série 3, alias "Asha" (le prénom de sa fille cadette.) Il envisage également une berline et une ligne de vêtements.

Mais le filon est déjà épuisé. En 1982, Alain Clénet divorce, ce qui le laisse sur la paille. L'usine de Santa Barbara ferme. Alfred di Mora intervient, rachète l'outillage et déménage à Carpinteria. Le nouveau patron lance une Série 4, inspirée d'un projet mort-né de Clénet pour le Japon. Il aurait également poursuivi la Série 1, sous le nom de "Designer Series". La stratégie de di Mora consiste à contacter toutes les célébrités installés à Los Angeles. Surtout ceux en mal de reconnaissance. Julio Iglesias, Farah Fawcett ou Rod Stewart s'offrent ainsi une Clénet. L'aventure semble s'être arrêtée vers 1986.

Que sont-ils devenus?

On retrouve di Mora dans les années 90, comme fabricant d'antigel pour camions. Puis dans les logiciels pour superordinateurs. En 2007, il annonce la Natalia SLS2. Une berline équipée d'un moteur V16 de 1200ch fonctionnant au bioéthanol. Depuis 2009, c'est le silence-radio. Il faut se contenter de rendus 3D et de photos montrant le patron avec le moule du toit. Il y a quelques mois, il émet un dessin rappelant étrangement la Clenet.

Et Alain Clenet? Après avoir perdu sa marque éponyme, il fonde Asha Technologie, un bureau d'études. Asha conçoit le Gerodisc (un ESP avant l'heure) et l'Asha Body Concept (une conception de carrosserie nécessitant moins d'outillage.) En 1994, Taisun, un fabricant chinois de scooters (à capitaux singapourien) veut se lancer dans l'automobile. Il contacte Asha Technologie (pour la carrosserie) et McLaren Performance Technologie (pour l'ingénierie moteur.) Cette dernière est l'ex-filiale US de McLaren (avec laquelle elle n'a plus aucun lien.) La Buddy possède une carrosserie en fibre de verre renforcée. Elle est propulsée par un 2,2l FAW (c'est-à-dire l'ex-bloc Chrysler/Talbot.) Pour ajouter à ce tableau improbable, John McCormack (ex-pilote de F5000) est parachuté PDG du consortium, JIAD.

La Buddy est présentée au salon de Pékin 1998. Mais les autorités ne veulent pas entendre parler de constructeurs privés, a fortiori à capitaux étrangers. Ajoutez-y la crise Asiatique (qui empêche toute exportation) et voilà pourquoi la Buddy disparait rapidement des écrans de radars.

Alain Clénet sera plus tard interviewé par Turbo, posant aux côtés de deux Série 2. Il intervient régulièrement dans les manifestations du Club Clénet. Alfred di Mora a lui monté un club concurrent, le Classic Club Clénet.

Crédits photos: Dimora (photos 1, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17), Ford (photos 2, 6 et 9), Vauxhall (photo 3), Chrysler (photo 4), Renault (photo 5), Toyota (photo 7), Citroën (photo 8), MG (photo 10)

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Pour résumer

Les années 70 sont une période d'excès en tout genres. Un Français, Alain Clénet, tente sa chance en Californie et s'improvise constructeur de voitures de luxe. Pendant quelques années, la jet set fait le pied de grue devant son usine. Une histoire digne d'un film hollywoodien.

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