Un rotor retors ?
Développé par l'ingénieur allemand Felix Wankel dans les années 50, le moteur "rotatif" ou, plus être plus juste, "à piston rotatif", se veut révolutionnaire, en remplaçant le système traditionnel alternatif du moteur à piston et de la bielle-manivelle par un ensemble de pistons triangulaires (rotors) qui, positionnés à l'intéreur d'un bloc fixe (Stator), réalisent en une rotation les 4 temps du cycle de combustion. Rapidement, plusieurs constructeurs, dont NSU et Citroën, s'intéressent à cette technologie qui présente plusieurs avantages, dont un nombre bien moins importants de pièces mécaniques, une meilleure compacité, une réduction du poids, un meilleur rendement et une réduction des vibrations.
Néanmoins, ce moteur présente aussi des défauts avec des soucis d'étanchéîté et surtout le souci de la consommation, importante, qui le condamne dans les années 70 quand surviennent les chocs pétroliers. Les constructeur se détournent de cette technologie, sauf Mazda, qui cultive sa différence dans le paysage automobile mondial. Le constructeur d'Hirosima persévère dans cette technologie, sort un coupé sportif et engage des modèles de compétition. La Sigma MC73 de...1973...est la première voiture nippone à disputer le Mans avec un Mazda birotor de 250 chevaux, mais les premiers résultats sont mitigés, la faute à des ennuis de fiabilité. Un premier grand coup est frappé aux 24 heures de Spa 1981, en catégorie Tourisme, quand Tom Walkinshaw et Pierre Dieudonné l'emportent avec une RX-7. Encouragé par ces résultats, Mazda saute le pas et s'engage en Endurance à partir de 1983, d'abord dans la catégorie C2 avec les Mazda 717/727/737C, avant de passer dans la catégorie reine du Groupe C à partir de 1986.
Un moteur en sursis
Les prototypes 757 (1986), 757B (1987), 767 (1988) 767B (1989), conçus pour participer aussi bien à la catégorie Group C du championnat du monde qu'à la classe GTP du championnat américain IMSA, obtiennent quelques places d'honneur mais ne font pas de l'ombre à Jaguar, Sauber-Mercedes, Porsche et bientôt Peugeot au sommet de l'Endurance. Pis, en 1988, la FISA annonce qu'à l'horizon 1991, le Groupe C adoptera une règlementation moteur similaire à la F1, soit des blocs atmosphériques de 3.5 litres de cylindrée, le tout sans limitation de consommation et avec des prototypes nouvelle génération de 750 kilos proches de la F1.
Les prototypes Group C d'ancienne génération, à grosse cylindrée ou à moteur turbo, seront encore tolérés, mais contraints par une limitation de consommation et lestés pour peser environ 1 tonne, ce qui les cantonnera forcément à faire de la figuration. Les moteurs "rotatifs" sont ainsi bannis avec l'entrée en vigueur de cette nouvelle donne règlementaire (qui, pour beaucoup, va faire exploser les coûts, dénaturer l'Endurance et précipiter la mort du Group C), mais après moult négociations en coulisses, Mazda obtient la droit d'aligner une dernière fois son prototype à rotor en 1991 et même de pouvoir éviter en grande partie le lest terriblement handicapant.
Une évolution en profondeur
Mazda est donc repêché pour l'édition 1991, mais n'a pas chômé. La 787, très décevante et peu fiable en 1990, a été revue et corrigée pour aboutir à une évolution 787B prometteuse. Son empattement est rallongé, ses voies élargies de 50 mm à l’arrière, et le refroidissement et l’aérodynamique sont revus pour offrir à la fois plus d'appui et moins de traînée. La monocoque est en carbone et kevlar, les panneaux de carrosserie en fibre de carbone, les jantes passent de 17 à 18" pour améliorer le refroidissement des freins désormais en carbone, le tout pour un poids contenu de 830 kilos.
Sur les conseils de Jacky Ickx, Mazdaspeed s'est associé à Oreca pour l'exploitation, la direction sportive étant assurée par Hugues de Chaunac. Côté pilotes, Mazda aligne deux équipages prometteurs, notamment la n°55 qui peut compter sur deux sprinteurs de la F1, Bertrand Gachot et Johnny Herbert, associés à Volker Weidler. Et le moteur dans tout ça ? Mazda a beaucoup travaillé pour optimiser et fiabiliser sa mécanique, ce qui aboutit en 1991 au lancement d'une version évoluée R26B. Ce quadri-rotor atmosphérique dispose pour le coup d’une admission variable en continu, de trois bougies par rotor au lieu de deux et il est associé à une boîte de vitesse manuelle à 5 rapports signée Porsche. Le moteur développe 900 chevaux dans sa configuration initiale, mais les ingénieurs décident de réduire sa puissance à 700 chevaux, afin de favoriser sa fiabilité. Bonne pioche, la ligne droite des Hunaudières est désormais entrecoupée par deux chicanes pour contrer les vitesses ahurissantes atteintes les années précédentes (notamment les 407 Km/h de la WR-Peugeot de Roger Dorchy !), ce qui pénalisera moins les prototypes manquant de vitesse de pointe et de puissance. Malgré tout, la 787B réussit à atteindre les 350 Km/h.
Le fiasco des Groupe C 3.5
L'édition 1991 du Mans se déroule dans un contexte plutôt tendu. La fiabilité est clairement un point de crispation des nouveaux prototypes dont la formule 3.5 litres est entrée en vigueur. Le championnat du monde d'Endurance n'en a plus vraiment l'esprit, puisqu'il s'agit désormais de courses de 500 kilomètres ressemblant plus à des sprints de F1 qu'à autre chose. Les petits artisans de la catégorie C2 ont disparu, les budgets s'enflamment et certains constructeurs, dont Porsche, n'ont pas suivi. Ecclestone voudrait tuer le Groupe C qu'il ne s'y serait pas mieux pris. La FIA (c'est son nouveau nom depuis 1991) exige que les constructeurs soient présents au Mans avec les 3.5, mais Mercedes et Jaguar savent pertinemment que les blocs 3.5 ne peuvent tenir une telle distance. Ils contournent le problème en apportant au Mans leurs prototypes nouvelle génération (C291 pour l'étoile et la XJR-14 pour Jaguar, véritable épouvantail de la saison sur les courses sprint), mais aussi les anciennes C11 et XJR-12 (avec un V12 dont la cylindrée passe à 7400cc) ! Seul Peugeot joue le jeu en alignant uniquement deux 905 Evo 1 nouvelle génération.
Premier coup de théâtre aux essais, quand la Mercedes C291 fait un seul petit tour de circuit en essais, au ralenti, avant de repartir dans son box ! Jaguar ne fait rouler qu'une seule XJR-14 avec son V8 Cosworth (celui utilisé en F1 par Benetton en 1990) mais lie sa participation en course à l'obtention de la pole, ce qu'elle rate pour six dixièmes. Exit donc la nouvelle et sublime Jag' ! L'édition 1991 du Mans voit donc Mercedes et Jaguar se reposer uniquement sur leurs anciennes Groupe C alors que le plateau 3.5 se contente d'une dizaine de voitures, dont une majorité de petites structures privées. Une claque pour la FIA, et une situation ubuesque qui se reflète sur la grille de départ.
Le meilleur temps absolu est réalisé par la Mercedes-Benz C11 (ancienne génération) de Ferté/Mass/Schlesser en 3'31"27, mais elle ne s'élancera qu'en 11e position, car la FIA a réservé les 10 meilleures places de la grille aux nouvelles 3.5 ! C'est donc la Peugeot 905 Evo 1 3.5 litres qui hérite de la pole avec un temps de 3'35"058. Pour Mazda, cela s'annonce compliqué puisque la meilleure des deux 787B est la n°55 de Herbet/Gachot/Weidler, qualifiée seulement 19e avec un chrono en 3'43"5,tandis que la 2e voiture est 22e, en 3'46" ! La vitesse sur un tour n'est clairement pas le point fort de la Mazda, mais vous connaissez la fable du lièvre et de la tortue.
Pour arriver premier, il faut premièrement arriver
L'adage d'Enzo Ferrari n'est jamais aussi vrai qu'aux 24 heures du Mans. L'épreuve est cette année-là une course par élimination. Les Peugeot V10 mènent la danse au début mais elles sont rapidement plombées par des soucis de fiabilité. La n°5 abandonne au bout de quelques heures et la n°6 en tête au départ, après avoir été reléguée en fond de classement, se retire dans la 7e heure sur un souci de boîte de vitesses. Les Mercedes prennent le relais, et c'est la C11 de Schlesser/Mass/Ferté qui domine une grande partie de la course, de la fin de la journée jusqu'au matin suivant. Les Porsche 962, étonamment dans le coup sur les deux premières heures, sont pénalisées par leur lest, les Jaguar XJR-12 sont plutôt performantes mais doivent s'arrêter plus souvent aux stands à cause de leur glouton V12 7.4 litres, etc.
C'est ensuite à Mercedes de connaître des ennuis: abandon de la n°32 et petits pépins qui retardent la n°31, celle du "Junior team" qui se distingue en réalisant le meilleur tour, claqué par un certain Michael Schumacher. A 6 heures de l'arrivée, la n°1 de Schlesser est toujours en tête, devant la Mazda 787B et les Jaguar. Puis, coup de théâtre à 13 heures : la Mercedes de tête rencontre des problèmes de surchauffe puis finalement abandonne, pompe à eau hors d'usage. La Mazda hérite de la tête, avec à son volant Johnny Herbert, qui, déchainé, ne lâche plus le volant et conduit jusqu'au bout en enchaînant plusieurs relais. Au bout de 362 tours parcourus, la 787B franchit la ligne d'arrivée, avec 2 tours d'avance sur la Jaguar de Raul Boesel. Deux autres Jag' complètent le top 4, Mercedes se contente de la 5e place avec la C11 "Junior" de Schumacher, Wendlinger et Kreuzpointner. Quelle victoire pour une dernière ! Johnny Herbert, épuisé, déshydraté, s'évanouit après l'arrivée et ne peut même pas aller sur le podium pour recevoir les honneurs !
Loin d'être favorite, loin d'être la plus performante, la Mazda 787B a roulé comme un métronome et fait montre d'une fiabilité à toute épreuve mais aussi d'une très bonne maîtrise de la consommation, grâce à un moteur dont la puissance a été dégonflée. Une belle réussite pour la technologie du Rotor, après 18 ans d'efforts de Mazdaspeed en compétititon. Un sacré pied de nez aussi aux Prototypes "F1" qui évidemment prendront le pouvoir en 1992, mais dans une discipline alors en pleine agonie sportive.
Depuis, le temps a fait son oeuvre, et la 787B, popularisée par les jeux vidéo et la montée en puissance des courses VHC, est devenue une icône de la course, animée par un bruit de moteur très caractéristique et envoûtant !
sources : mazda, wikipedia, endurance-info, racingsportscars