1978, la Brabham qui ventile
Gordon Murray n'a pas attendu sa supercar T.50 pour imaginer un système de turbine. A l'époque, Lotus a pris une longueur d'avance en introduisant l'effet de sol sur la monoplace 78, concept amélioré sur la 79. Grâce à des jupes aérodynamiques latérales et un fond plat conçu pour générer un effet venturi, la voiture, plaquée au sol à haute vitesse, accroit considérablement son adhérence et donc ses performances, notamment en vitesse de passage en courbe. Rapidement, Brabham essaie d'imiter Lotus mais le châssis est handicapé par son gros V12 à plat Alfa Romeo, qui ne permet pas d'obtenir un effet venturi suffisant et donc l'effet de sol recherché. Pour pallier cela, Murray s'inspire du prototype Chapparal 2J et installe un gros ventilateur à l'arrière de la BT46. La règlementation interdisant les systèmes aérodynamiques mobiles, Murray contourne malicieusement le règlement puisque ce ventilateur sert en partie à refroidir le moteur. Mais en réalité, de par sa position, ce ventilateur, relié à l’embrayage, a pour principale vocation de créer un effet de succion et donc générer de l'effet de sol. Dès leur première course, les Brabham écrasent la concurrence, avec une victoire facile de Niki Lauda. La suspicion ayant entaché tout le weekend de course, il n'en faut pas plus pour engendrer une levée de boucliers qui se traduit par l'interdiction du système dès la course suivante.
1981, Murray est vraiment malin
Après un interminable et fastidieux bras de fer politico-sportif, la FISA de Jean-Marie Balestre obtient gain de cause en interdisant les jupes aérodynamiques coulissantes, jugées trop dangereuses en cas de dysfonctionnement, comme Patrick Depailler en a été visiblement victime. Pour ce faire, la législation impose désormais une garde au sol minimale de 6 centimètres aux monoplaces...mais qui ne peut être mesurée qu'à l'arrêt ! Et c'est justement cette petite zone grise que Gordon Murray, encore lui, exploite. La BT49 est dotée d’un système officiellement appelé « correcteur hydropneumatique de garde au sol », en somme un système de suspension hydropneumatique qui, une fois la monoplace en mouvement, se comprime grâce à la pression de l’air et plaque la voiture au sol pour générer plus d’appui, le tout exigeant une suspension très rigide pour sceller les flancs de la Brabham.
Quand la voiture s’arrête, la monoplace reprend sa hauteur initiale…respectant ainsi les 6 centimètres légaux ! Malin ! Les autres équipes emboitent le pas et chacun y va de sa trouvaille, ajoutant encore plus à la confusion technique et sportive cette année là. A Monaco, les commissaires utilisent même un système laser pour vérifier la hauteur des monoplaces ! La légalité de la BT49 ne sera pas contestée.
1984, chape de plomb sur Tyrrell
Dans ce cas précis, c'est davantage une triche éhontée qu'un subterfuge d'ingénieur. Encore fallait-il y penser ! Au milieu des années 80, Tyrrell n'a plus la gnaque des années 70, la faute à un budget toujours très contraint et à l'utilisation du V8 Cosworth, certes économique, mais impuissant face aux monoplaces à moteur Turbo. Pourtant, en 1984, Tyrrell retrouve de sa superbe : 3e place du prodige Stefan Bellof à Monaco, 2e de Brundle à Détroit...La tenue de la monoplace anglaise avec son faiblard moteur atmo étonne, tandis que l'équipe a la furieuse manie, souvent en fin de course, de faire le plein d'un réservoir d'eau pour le circuit de freinage, alors que les ravitaillements sont interdits. Justement, à l'issue du GP de Détroit où la Tyrrell de Brundle a étrangement tenu la cadence des voitures turbos, les commissaires inspectent de près la voiture et notamment ce fameux réservoir, qui se révèle bien lourd. Et que dire quand on y découvre un liquide noirâtre, dans lequel baignent environ 60 kilos de billes de plomb. La supercherie est démasquée : les Tyrrell partaient bien en-deça du poids minimal règlementaire et les ravitaillements mystère de fin de course servaient justement à ajouter (sous pression qui plus est !) la "mixture" en plomb pour rétablir les voitures au poids minimal requis afin de passer au travers des vérifications. Tyrrell sera exclu du championnat 1985. Par la même occasion, Ken Tyrrell est aussi exclu de la Commission F1. ça tombait bien, puisque le manager anglais mettait son veto au maintien de la capacité des réservoirs à 220 litres, ce qui avantageait les moteurs Turbos plus enclin à consommer, une position qui était défendue par Balestre, Ecclestone (également patron de Brabham, motorisée par BMW Turbo...) et Ferrari...
1998, la pédale secrète de McLaren
En 1998, la F1 débute une nouvelle ère technique marquée par l'adoption des pneus rainurés et de voies plus étroites. Dominatrices déjà pendant les essais hivernaux, les McLaren assomment la concurrence dès le grand prix d'ouverture en Australie : 1" plus vite que Schumacher en qualifications, 3" au tour en course et un 3e, derrière le duo Hakkinen-Coulthard, qui termine à 1 tour ! Mais la réaction ne tarde pas et Ferrari dépose réclamation contre McLaren à propos du système "Brake Steer". Développé l'année précédente, McLaren l'a implémenté en course pendant la saison 1997. Au Nürburgring, David Coulthard tombe en panne pendant les essais et laisse sa monoplace sur le bas-côté. Suffisant pour qu'un journaliste prenne à la volée une photo du cockpit, dévoilant une mystérieuse 3e petite pédale. La rumeur enfle et la polémique éclate donc vraiment après le 1er GP dominateur de 1998. Le système de freinage "annexe" des McLaren peut être actionné par le pilote, qui agit, au choix, sur une seule des roues arrière. Ce freinage directionnel, sorte d'ESP manuel évitant le patinage des roues à la réaccélération et réduisant le survirage, est assimilé à une forme d'antipatinage et de 3e roue directionnelle, donc illégale. McLaren ne perdit pas le bénéfice de sa victoire en Australie mais dû désactiver le système dès la course suivante au Brésil, ce qui ne freina pas pour autant leur domination. Au passage, Ferrari et Williams s'étaient attelés à la mise au point d'un système similaire, mais moins sophistiqué.
2006, Renault amortit l'interdiction
Inauguré en fin de saison 2005 sur la monoplace R25, le principe fait partie intégrante de la conception de la R26. Inspiré d'une technologie très usitée dans l'architecture, le principe des "mass damper" en F1, appelés aussi absorbeurs harmoniques, était de maintenir la stabilité des voitures sur les vibreurs et dans les virages, afin de maximiser l'efficacité de l'écoulement de l'air sur la monoplace. Implémenté dans le nez avant de la R26 en étant fixé au châssis, ce mass damper ressemblait à un cylindre à l'intérieur duquel se trouvait un disque de 9 kilos reliés à des ressorts, qui jouait le rôle du "compensateur" de l'assiette de la monoplace. Jugé légal avant le début de la saison, le système est pourtant déclaré illégal lors du grand prix d'Allemagne, en vertu du principe selon lequel aucune pièce mobile ne doit influencer l'aérodynamique. Renault doit le retirer et se trouve plus affecté que les autres équipes, étant donné que la R26 avait été construite autour de cette technologie. La dernière moitié de la saison vit un retournement spectaculaire de situation, Ferrari revenant à marche forcée sur Renault qui avait accumulé une grosse avance avant l'interdiction, mais Alonso et Renault obtinrent finalement le titre mondial.
2009, le diffuseur astucieux de Brawn
C'est l'histoire d'un sauvetage in extremis. Brawn rachète l'écurie Honda suite au retrait du constructeur, qui a connu un énorme échec en 2008 et subit les affres de la crise financière mondiale. La monoplace est adaptée en urgence au bloc Mercedes finalement utilisé par la Brawn GP01 et l'équipe décide de faire l'impasse sur l'usage du SREC (récupérateur d'énergie servant de boost à la réaccélération) afin de privilégier le gain de poids et la finesse des pontons. McLaren et Ferrari, qui se fatiguent dans la mise au point du SREC, en pâtiront !
Mais 2009 marque aussi l'entrée en vigueur d'une nouvelle règlementation aérodynamique. les ingénieurs Honda avaient surtout trouvé une astuce, toujours dans les zones grises des définitions techniques encadrées par la FIA. Il était possible d’accroître l’efficacité du diffuseur arrière en insérant des ouïes supplémentaires d’extraction d’air. Le fond plat de la Brawn possèdait un canal central alimenté en air par deux trous supplémentaires. Grâce à ces orifices, le flux d'air est accéléré et l'effet de sol accru, augmentant ainsi les vitesses dans les virages. Red Bull, Renault et Ferrari déposent une réclamation mais, après examen des monoplaces incriminées, les commissaires valident la conformité des double diffuseurs et autorisent les monoplaces à participer à l'épreuve. La Brawn domine largement la première moitié de la saison et permet à Jenson Button de remporter le titre mondial.
2014, le FRIC, un problème de riches
La suspension active pilotée électroniquement, maîtrisée à la perfection par Williams, avait fait des FW14 et FW15 de Nigel Mansell et Alain Prost des missiles au grip mécanique et aérodynamique redoutables, mais tout cela disparaît en 1994 quand la FIA bannit les aides et systèmes électroniques. Sauf que cette suspension "pilotée" refait surface, l'électronique en moins, quand Mercedes déploie en 2014 le système FRIC, alias Front-and-Rear Interconnected Suspension. Le tangage, en phase de freinage et d'accélération, ainsi que le roulis, en virage, affectent la stabilité de la voiture ainsi que son efficacité aérodynamique. Le système de Mercedes relie par circuit hydraulique, non seulement la suspension avant et arrière, avec un ajustement faisable par le pilote comme la répartition des freins, mais aussi la suspension droite à la gauche, afin que la voiture conserve une garde au sol constante et un bon équilibre aérodynamique. Plusieurs équipes développent cette technologie mais Mercedes conçoit le plus perfectionné d'entre tous. Là encore assimilé à une aide aérodynamique mobile, à l'instar du mass damper, le FRIC est recalé par la FIA dans le courant de la saison 2014. Ce qui ne brisera pas la domination de Mercedes en ce début d'ère hybride.
Conclusion
Il s'agissait bien d'un florilège, car la liste est interminable : le double châssis de la Lotus 88, les suspensions actives pilotées électroniquement, la très polémique Benetton B194 (voir ici pour l'ensemble de son œuvre), le F-Duct de McLaren (qui a débouché sur le DRS), les échappements soufflés, le DAS, etc. Sur le cas Racing Point, le débat est davantage philosophique (jusqu'où peut-on copier ?) et sportif que technique, puisqu'il n'y a pas à proprement parler de subterfuge technique dans leurs écopes. On le constate aussi, ces interdictions sont souvent survenues après des années de recherche et développement, ou alors après que la technologie ait été, dans un premier temps, validée par les experts. Si la volonté de réduire les coûts et d'empêcher la course aux armements a été souvent avancée, d'autres pensent aussi que ces revirements, parfois en pleine saison, étaient bien plus politiques qu'il n'y paraissait, afin de casser une domination, de relancer artificiellement un championnat ou de faire pression en coulisses dans un contexte de négociations (Accords Concorde, etc.). C'était assez évident sur la cabale contre les aides électroniques en 1993, qui visait Williams, par exemple.
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