Guy Ligier est décédé ce dimanche à l'âge de 85 ans. Après Jean-Pierre Beltoise, après Gérard Ducarouge, c'est une autre figure majeure du sport automobile français qui disparaît. Les parcours des trois se sont d'ailleurs croisés, Ligier reprenant l'étendard des voitures bleues au moment où Matra se retirait à la fin des années 1970.
Guy Ligier était un personnage larger than life, comme disent les Anglais à qui il aura fait bien des misères lors de ses belles années de constructeur en F1, le genre à qui une seule vie ne suffit pas. Il en aura eu des tas, commençant par devenir champion de France d'aviron avant d'opter pour le rugby, à haut niveau, avant de passer à la moto puis à l'auto tout en faisant fortune dans les travaux publics avant d'avoir trente ans après avoir débuté dans la vie comme apprenti-boucher à Vichy, sa ville natale. Pilote émérite, il fera son chemin jusqu'à la Formule 1, disputant douze Grand Prix en 1966 et 1967 au volant d'une Cooper Maserati puis d'une Brabham Repco. En parallèle, il s'est taillé un intéressant palmarès en GT et en prototypes, remportant les douze heures de Reims 1967 en compagnie de son inséparable ami Jo Schlesser sur une Ford GT40. La disparition tragique de ce dernier au Grand Prix de France 1968 à Rouen persuadera Ligier de raccrocher le casque, et de nommer toutes ses voitures par la suite JS.
S'il arrête la compétition, c'est pour devenir constructeur avec deux coupés, les JS1 et JS2, cette dernière équipée d'un moteur Maserati négocié avec Citroën. La JS2 disputera les 24 heures du Mans et le Tour de France Auto sous les couleurs de Gitanes. C'est le début d'une longue association entre Ligier et la Seita, puis la Française des Jeux. Car Guy Ligier a toujours su s'orienter dans les allées du pouvoir et y trouver son compte, en particulier auprès de François Mitterrand de qui il a toujours été proche, comme des barons nivernais qu'il persuadera d'investir dans Magny-Cours où il se posera. Fin 1974, quand Jean-Luc Lagardère décide de mettre fin à l'aventure de Matra en sport auto, Ligier est là pour récupérer les hommes et le matériel. Un an plus tard il présente une drôle de monoplace bleue avec une boîte à air gigantesque blanche sur laquelle s'affiche une belle silhouette de Gitane, à croire qu'elle a été dessinée pour ça. C'est avec cette JS5 que Ligier se lancer en Formule 1 en 1976, avec le jeune et prometteur Jacques Laffite préféré sans états d'âme à un Jean-Pierre Beltoise à court de compétition. C'est Gérard Ducarouge, un réfugié de Matra, qui officie à la planche à dessin et l'écurie Ligier fait des progrès réguliers, remportant une première victoire en Suède en 1977.
Après avoir observé la domination sans partage des black beauties, les très belles et très rapides Lotus 79 à effet de sol durant le championnat du monde 1978, Ducarouge s'en inspire pour dessiner la JS11 pour le championnat 1979 où Ligier engage pour la première fois deux voitures pour Laffite et Depailler. Les JS11 s'emparent de la première ligne au premier Grand Prix 1979 à Buenos Aires remporté par Jacques Laffite. Rebelote au Brésil où les JS11 font un doublé. Equipe française, pilotes français, voitures bleues, on se croit revenu aux plus belles heures de Matra. Malheureusement l'équipe ne tiendra pas la distance et se verra devancer en cours de saison par Ferrari et Williams. Laffite termine quatrième au championnat remporté par Jody Scheckter. L'accident de delta plane qui a éloigné Patrick Depailler des circuits en plein milieu de la saison n'a pas contribué à la sérénité de l'équipe secouée régulièrement par les colères homériques du patron. Mais l'aventure bleue a été belle, et si Ligier ne retrouvera jamais un tel élan, l'écurie tiendra son rang durant de nombreuses saisons, flirtant avec PSA comme avec Renault au fil des années et voyant passer sur les flancs des voitures une belle brochette d'entreprises publiques faisant de Ligier de facto l'"équipe de France" de Formule 1 même si à partir du milieu des années 80 on verra progressivement arriver des pilotes de tous horizons.
Guy Ligier décide de passer la main en 1992 et vend son écurie à l'homme d'affaires Cyril de Rouvre, qui lui même la revendra à Flavio Briatore avant qu'elle ne devienne Prost Grand Prix. Mais le Vichyssois n'en profite pas pour aller à la pêche à la ligne. Investissant dans une entreprise d'engrais il fait à nouveau fortune, produisant par ailleurs des voiturettes sans permis, un marché dont la marque Ligier est devenue l'un des acteurs majeurs. Ne s'éloignant jamais bien loin de la compétition, Guy Ligier s'associe aussi avec son vieux compère Tico Martini et produit, là encore avec succès, des petits sport prototypes avant de donner son nom et sa bénédiction à Jacques Nicolet qui en baptise la JS P2, une des vedettes de la catégorie LMP2, et bientôt la JS P3.
Connu pour son caractère entier et une passion indéfectible pour la compétition, Guy Ligier aura incarné avec beaucoup de panache et aussi quelques défauts une certaine idée de l'automobile sportive à la française, jouant avec un mélange de sincérité et de roublardise de la fibre patriotique peinte dans le bleu de ses autos, dernier représentant d'une tradition qui remontait aux Bugatti, aux Gordini et aux Matra d'antan. Merci pour tout Monsieur Ligier.
Crédit photo : Joest Jonathan Ouaknine.