Trop de chiffre tue le chiffre ?
Pour ceux qui regardent les courses, vous avez pu constater cette année l'apparition de nouvelles informations sur l'écran, notamment un indice ce performance des voitures (noté sur 10) sur certains types de virages, mais aussi une estimation de l'usure des pneus, qui peut sembler empirique car on imagine mal les équipes communiquer les données exactes des capteurs de leurs F1...mais ce n'est pas fini, car il est prévu dès la Belgique l'introduction du "driver skills rating" qui doit déterminer le "meilleur pilote absolu" sur chaque course, en prenant en compte différentes facteurs (gestion des pneus, dépassement, chronos, etc.). Cette avalanche de stats, déjà très usitée en Indycar ou en Nascar, débarque en F1. Pas sûr que cela intéresse particulièrement les fans, excepté peut-être les mordus de chiffres.
Méthode de calcul
En attendant, l’algorithme Amazon vient de s'attaquer à un débat qui anime depuis des générations tous les fans de F1, et qui a déjà suscité des pages et pages de discussions endiablées sur les forums : quel est le meilleur pilote de l’Histoire ? Ou, plutôt, dans l'étude d'Amazon, quel est le pilote le plus rapide (ce qui n'est pas la même chose) ? En effet, déterminer le meilleur pilote de tous les temps relève de la gageure, car comment comparer les pilotes des années 50 et ceux d'aujourd'hui, alors que les conditions de course, les âges, les carrières, les règles, les monoplaces, mais aussi les mentalités sont très différentes ? Mais qu'on le veuille ou non, c'est une question légitime qui fait débat parmi les fans, où la subjectivité d'ailleurs prend souvent le dessus.
Amazon a été sélectif :le classement se focalise sur la vitesse pure. Les résultats en course, les meilleurs tours, les podiums, les abandons et autres paramètres ne sont pas retenus, seulement la performance pure en qualifications. il a été réalisé en analysant les données de toutes les qualifications depuis 1983 (pourquoi ce seuil ?) jusqu'à nos jours, et en prenant en compte, pour chaque pilote, différents paramètres (expérience, position sur la grille, écart avec l'équipier, niveau de la monoplace, nombre minimal de qualifications disputées, etc.) mais aussi les conditions de piste. Ainsi, étant donné la période chronologique choisie, les Fangio, Brabham, Clark et autres Stewart ne sont pas pris en compte, ce qui amenuise déjà la pertinence du classement. On verra ça plus tard. Le Top 20 a été dévoilé sur le site officiel de la F1, établissant ainsi une sorte de "grille idéale" des 20 pilotes les plus rapides. Si le podium semble pertinent, le reste réserve quelques surprises...
1er : Ayrton Senna
C'est légitime. Avec 65 poles en 161 GP, Magic obtient un taux de 40,3 %, seulement devancé par...Fangio, Clark et Ascari ! En effet, l'argentin, avec 29 poles en 51 GP, caracole avec un ratio de presque 57% ! Mais en restant sur la période 83-2020, Senna est en effet le plus performant en qualifications. Certes, dominer aux essais Johnny Dumfries en 1986, Satoru Nakajima en 1987 et Mickael Andretti en 1993 n'est pas en soi un exploit, mais ensuite le brésilien a infligé un 28-4 à Prost sur leurs deux saisons chez McLaren et a dominé globalement Gerhard Berger sur les années 91-92. Si l’enchaînement des poles en 1988-1989 (26 poles en deux ans !) peut aussi s'expliquer par la nette supériorité des McLaren, ses poles en 1985/86 avec les Lotus-Renault avaient déjà forgé sa légende.
2ème : Michael Schumacher, à 0"114
Avec 68 poles, le Kaiser a détenu pendant quelques années le record, mais avec 307 GP disputés (presque le double de Senna !), son ratio n'est que de 22,15%. Ses détracteurs diront qu'il n'a jamais eu vraiment de cador comme coéquipier (certes, Brundle, Irvine ou Barrichello ne sont pas champions du monde et Piquet était vieillissant lorsque Schumi a débuté à ses côtés) mais pour sa défense, Schumacher a claqué des poles parfois avec des voitures qui n'étaient pas les meilleures (on pense aux Ferrari des années 96-98). Sa capacité à frapper d'entrée un grand coup n'était pas sans rappeler non plus le 1er du classemeent.
3ème : Lewis Hamilton, à 0"275
Avec 92 poles (série en cours) et un ratio actuel de presque 36%, il est naturel que le britannique soit sur le podium. Il détient aussi le record de 150 premières lignes, loin devant Schumacher (116). Les esprits critiques diront que la domination de Mercedes, qui dure depuis 2014, facilite bien les choses (c'est vrai que Hamilton a signé les 2/3 de ses poles sous l'ère hybride) mais n'oublions pas que la plupart de ses équipiers ont toujours été des pilotes très rapides, y compris Bottas et qu'il les a globalement dominés. Et Hamilton a, plus d'une fois, sorti des tours d'anthologie, comme encore récemment sous la pluie en Autriche. Dès sa première saison, en 2007, Hamilton bat Alonso 10 à 7 en qualifications. En trois saison de cohabitation, il domine nettement Jenson Button. ça parle !
Max Verstappen est classé 4e. Ce n'est pas son nombre de poles qui joue en sa faveur, mais les écarts conséquents qu'il inflige depuis deux ans à Gasly puis Albon ont aussi joué dans sa notation. On ne doute pas de la vitesse du jeune batave, mais c'est peut-être un peu exagéré...et trop tôt. Idem pour Norris, 15e ?
Les étrangetés
8e...Kovalainen !
Oui, Heikki Kovalainen est dans le top 10, alors qu'il n'a qu'une seule pole position à son actif. Est-ce sa domination sur Petrov ou Van der garde chez Caterham en 2011 qui l'explique ?...
Vettel, seulement 10e
Avec 57 poles et un ratio de 23%, soit des statistiques proches de Schumacher, le quadruple champion du monde n'est que 10e. Il est même le 3e pilote ayant été le plus en première ligne (101), devant Senna (87). On peu rétorquer en effet que la nette domination de Red Bull en 2011-2013 a facilité le score, mais quand même ! Certes, il souffre de la comparaison avec Leclerc depuis deux ans (le monégasque est d'ailleurs 7e du classement, avec un bon ratio) mais Vettel a souvent dominé Kimi Raikkonen (4 saisons en commun) qui compte quand même 20 poles à son actif. D'ailleurs, le finlandais n'est pas dans le top 20. Son grand nombre de courses et ses perfs sur 2019/2020 ont fait tomber ses stats sans doute...
Prost, 20e !
Oui, Alain Prost n'était pas le plus rapide sur un tour, et ce n'était pas son exercice de prédilection. D'ailleurs, sur ses 33 poles, 13 ont été obtenues sur la seule saison 1993 avec une Williams très dominatrice. On le sait, le professeur privilégiait les réglages pour le dimanche et compensait peut-être une vitesse de pointe moindre par son immense intelligence de course. Le grand prix du Mexique 1990 est un cas d'école. Il a tout de même dominé en essais Nigel Mansell, mais a subi la loi de Senna, avec qui il ne cherchait même pas à rivaliser. De Arnoux à Lauda, en passant par Keke Rosberg, Senna, Mansell ou encore Alesi et D.Hill, la liste de ses équipiers est quand même très valorisante et réhausse la qualité de sa pointe de vitesse ! (86 premières lignes)
Absents de marque : Nigel Mansell et Mika Hakkinen
étrange absence dans ce top 20 qui place Nico Hülkenberg, Robert Kubica ou encore Jarno Trulli mais qui ne place ni Mansell ni Hakkinen ! Le premier a signé 32 poles, dont presque la moitié, il est vrai, en 1992 avec la Williams mais on ne peut pas mettre en doute la rapidité du lion ! Et le finlandais a signé 26 poles, souvent dans des duels serrés avec Schumacher. Il s'est même permis de battre Senna dès sa première sortie avec Mclaren, à Estoril en 1993, ce n'est pas rien ! Son absence est dommageable. On aurait bien vu dans ce top un Juan-Pablo Montoya.
Conclusion : big cata ?
Comparer des pilotes d'une même génération a du sens, et encore les voitures ne sont pas égales ! Mais comment comparer les perfs des champions des années 80 et les jeunes loups Verstappen et Leclerc des années 2020 ? Désigner le meilleur pilote comporte trop de facteurs, dont la rapidité n'est qu'une composante : la régularité, la force mentale, la capacité à fédérer une équipe et à communiquer avec ses ingénieurs, l'intelligence de course, la mise au point, la capacité à saisir sa chance, à en avoir aussi, la fiabilité...Même sur la vitesse pure, comment étalonner des pilotes qui ont piloté des voitures à effet de sol, souvent peu fiables, sans électronique, puis des voitures à V10/V12 atmo, avec d'autres qui n'ont connu que l'ère hybride et qui sont abreuvés de data ?
Le calcul tenant aussi compte des écarts de temps sur les grilles, la donne est un peu faussée en ce sens que les écarts sont, finalement moins importants aujourd'hui, entre les voitures que par le passé. Sur les Q1, on a parfois 15 voitures groupées en 1 seconde, ce qui ne fut jamais le cas dans les années 80/90. On s'exaspère de voir Hamilton coller 0"5 voir 1" aux 2e/3e ligne, mais au début des années 90, les voitures qualifiées vers la 10e position étaient souvent à 3-4"de la pole ! Dans les années 80, l'écart entre le 1er et le dernier pouvait grimper à 5,6 voire 7 secondes ! C'est d'ailleurs ce qui a pu défavoriser certains pilotes ayant commencé leur carrière en arrière grille à cette époque, alors qu'aujourd'hui, même les lanternes rouges ne sont pas rejetées à 6-7 secondes ! D'où la nécessité de relativiser les chiffres bruts.
On l'a compris, c'est un débat sans fin et l'algorithme d'Amazon montre les limites du big data, qui ne prend pas en compte le ressenti, la relativité, l'émotion, la particularité de tel ou tel contexte. On a l'impression que Hamilton aurait beau signer 150 poles, c'est Senna qui resterait dans les mémoires comme le roi de la pole car personne n'a oublié ses tours à la limite, comme à Monaco en 1988. Ou bien est-ce l'effet de la nostalgie, qui commence doucement à attaquer votre serviteur, et qui nous fait penser que c'était forcément mieux avant ?
Source : F1, Amazon