Pas de miracle
Cette annonce est évidemment un coup de massue, mettant fin ainsi à presque 50 ans d’aventure technologique française en F1. Car, ne l’oublions pas, le défi de Renault, quand ils débarquèrent en F1 au cours de la saison 1977, était un grand défi technologique tricolore, dans la lignée de l’offensive Matra ou du Concorde : le projet du moteur turbo porté par le losange était soutenu par le pétrolier Elf, qui voyait dans la F1 une formidable vitrine de ses technologies de carburant, et accompagné par le manufacturier de pneus Michelin qui imposa sa technologie de carcasse radiale.
Cet arrêt est un coup de massue aussi pour les ingénieurs actuels, qui voient leur travail sur le moteur 2026 partir à la poubelle, alors que les premiers résultats semblaient très positifs. Le CSE d’Alpine avait visiblement proposé à Renault un plan de compromis, qui prévoyait de donner une chance au moteur de Viry en 2026 pour la première saison de la nouvelle règlementation moteur F1, puis, en cas d’échec, de basculer vers Mercedes.
En l'epsace de trois ans, nous voyons donc la disparition de Renault Sport puis l'arrêt du programme moteur de Renault. Beaucoup, beaucoup trop...
Realpolitik
On a déjà beaucoup dit sur cet arrêt du programme. Le moteur Renault hybride a souffert depuis le début de la réglementation en 2014 - d'abord en fiabilité, puis en puissance - mais il semble être un bouc-émissaire idéal alors que les maux venaient également de la base châssis britannique à Enstone, pour expliquer les résultats calamiteux d’Alpine F1. Les relations compliquées entre Enstone et Viry étaient de notoriété publique, Alpine conservant cette particularité d'un pole châssis et moteurs séparés sur deux pays. Cela avait pourtant fonctionné au début du XXIème siècle.
On sait aussi que ce choix est pragmatique, économique (un moteur client Mercedes coûtera 5 à 6 fois moins qu’un programme moteur propre) et qu’il répond en coulisses à un jeu de pouvoir auquel un certain Flavio Briatore n’est sans doute pas étranger, lui dont le passé et le passif avec Renault sont plutôt bien remplis, en bien mais aussi en mal…D’ailleurs, d’aucuns imaginent que cet arrêt du moteur n’est qu’une étape qui pourrait menait à terme à la vente de l’équipe.
Un non-sens ?
On sait aussi que l’histoire et le patrimoine pèsent peu face à la realpolitik économique. Néanmoins, on peut s’interroger sur l’impact de ce choix en termes d’image : quelles conséquences pour Renault, dont la décision est tout de même un énorme camouflet industriel et technologique, quand un constructeur de ce poids est obligé de se tourner vers une autre marque ? Certes, McLaren et Aston Martin, également constructeurs, utilisent des blocs Mercedes, mais ils n’ont pas le même poids dans l’industrie automobile.
Quelles conséquences aussi pour l’image de la marque Alpine, dont la réputation s’est faite sur son identité nationale et son savoir-faire français ? Quelle sensation encore de déclassement et de déclin de la France, qui plus est pour s’en remettre à une motorisation anglo-germanique (oui, car les blocs Mercedes sont fabriqués à Brixworth), quelles conséquences sur la fuite des cerveaux, alors que Fred Vasseur, directeur de la Scuderia Ferrari, a reconnu que les CV venus de France inondaient sa boite mail ?
Hypertech, l'avenir de Viry
Dans cette ambiance morose, quelques touches de positif ? Oui, le communiqué officiel d’Alpine peut le laisser penser. Le constructeur annonce en même temps la naissance de Hypertech Alpine, un nouveau centre d’ingénierie de pointe, qui doit contribuer, en récupérant les ressources déchargées de la F1, au développement des véhicules très haute performance et des innovations sur les technologies de pointe. Cette démarche doit, selon Alpine, « pérenniser les compétences des équipes de Viry-Châtillon en technologies de pointe » et « sécuriser la propriété intellectuelle du Groupe ». Cela ne risque pas de suffire à empêcher la fuite des cerveaux, car le projet F1 était un catalyseur inégalable.
Le centre Hypertech de Viry aura en charge la future Supercar Alpine, la R&D sur les technologies de nouvelles batteries (notamment sur la chimie des cellules à très haute densité d’énergie et les battries solides), et les technologies électriques en collaboration avec Ampere.
Un oeil toujours tourné vers la F1
Concernant la compétition, Viry aura toujours en charge le programme du championnat du monde d’endurance (lequel devient encourageant, avec le podium à Fuji), la compétition client ou encore la Formule E et le Rally-Raid pour des marques partenaires. Mieux encore, Alpine annonce la mise en place d’une « cellule de veille F1 » qui visera à conserver la connaissance et les compétences des collaborateurs sur cette discipline sportive, et à se maintenir à la pointe de l’innovation. Cela rappelle évidemment la structure qui avait été mise en place en 1987, après l’arrêt du programme Turbo en 1986. Renault était ensuite revenu en 1989 avec son fameux V10 atmosphérique, et le succès que l’on sait. Et si l’histoire se répétait ?
« La création de ce centre Hypertech Alpine est clé pour la stratégie de développement d’Alpine et, plus largement, pour la stratégie d’innovation du Groupe. C’est un tournant dans l’histoire du site de Viry-Châtillon qui permettra de pérenniser un savoir-faire et d’inscrire ses compétences rares dans le futur ambitieux du Groupe, en renforçant également Alpine dans sa position de « garage de l’innovation ». Son ADN sportif demeure un pilier de la marque et continuera à nourrir, notamment grâce à Hypertech Alpine, un projet industriel et automobile sans précédent », a déclaré Philippe Krief, CEO Alpine