Malgré plus de 131 000 abonnés, Autolib' n'est pas rentable
Dès le lancement, Vincent Bolloré avait fait d'Autolib' une vitrine. Comme toute vitrine elle a un coût et le Groupe Bolloré comptait éponger 60 millions d'euros de pertes, si pertes il y avait. Le point d'équilibre financier annoncé n'a eu de cesse de reculer. 50 000 abonnés au début, puis 60 000, puis rapidement 100 000. Aujourd'hui, Autolib' c'est plus de 131 000 abonnés et l'équilibre n'est visiblement toujours pas atteint.
En fait, le périmètre du service n'a eu de cesse d'augmenter. D'abord circonscrit à Paris et quelques communes limitrophes, le service est rapidement devenu "l'autopartage d'Ile de France" couvrant 97 communes. En outre, les VTC et les services de covoiturage entre particuliers se sont développés. Pour certains trajets, Autolib' n'a plus pour lui l'avantage tarif qu'il avait au départ par rapport aux taxis.
Des voitures moins disponibles
Si le nombre d'abonnés augmente, le nombre de trajets, qui atteignait près de 6,3 millions en 2015 est retombé à 5,8 millions en 2016. Le tarif horaire a augmenté, compensant la baisse des trajets, mais jouant certainement aussi contre ce nombre de trajets. L'augmentation des recettes est "effacée" par l'augmentation du coût du service. Plus de stations, plus de voitures, le revenu par voiture stagne.
En fait, Autolib' est victime de son succès. Plus d'abonnés, cela signifie moins de disponibilité des voitures pour chaque abonné. A moins de les augmenter de façon drastique, ce qui grève immanquablement le coût global du service. Le cabinet 6-t, qui s'est penché sur les données du syndicat Autolib' Métropole, estime qu'il y a 50% d'abonné en plus par voiture.
Selon les projections, en 2023, à la fin du contrat actuel, les pertes pourraient atteindre 179 millions d'euros si rien n'est fait. Dans ce contrat, le groupe Bolloré s'est engagé à couvrir 60 millions d'euros comme nous le disions ci-avant. Les 119 millions d'euros resteront à la charge des communes, et donc, des habitants via leurs impôts.
L'Ile de France c'est environ 5 millions de foyers. Rapporté à ce nombre, les pertes sont donc d'environ 36 euros par foyer, pour 8 ans de contrat. Une paille. Mais, une paille qui s'ajoutera à tout le reste.
De la publicité ? Supprimer les stations non rentable ?
Quelles sont les pistes envisageables pour "sauver le soldat Autolib'" ? Le cabinet 6-t propose l'apposition généralisée de publicité sur les Bluecar. Sans doute un peu limite niveau législation, mais une source de financement supplémentaire que certains élus parisiens estiment à 400 000 euros par an. Loin des millions nécessaires.
Une autre solution serait d'augmenter le prix. Autolib' a déjà commencé avec un prix de la demi-heure d'utilisation passé début décembre 2016 de 6 à 7 euros. La recharge sur les bornes Autolib' va également augmenter à partir du 1er février prochain. L'heure de recharge de jour, à 1 euro l'heure actuellement passera à 1 euro la première heure, puis 3 euros/heure. Le but est de créer un roulement et d'éviter les voitures ventouses. Idem pour la recharge de nuit. En outre, le plafond passe de 4 euros à 6 euros/nuit. La réservation de la place pour une recharge coûtera désormais 1 euro. Cela devrait également rapporter à Autolib'.
Certains élus proposent carrément de supprimer les stations les moins rentables. Basiquement c'est LA solution. Redéfinir le périmètre et redescendre en dimension. Cela permettrait d'abaisser les coûts de fonctionnement et aussi de ramener sur les stations très utilisées un peu plus de voiture. Actuellement, il y a près de 1100 stations dans 97 communes. Ces suppression concernerait 15% des stations.
Et si c'était le (petit) prix à payer contre la pollution ?
Au-delà de ces idées, il faudrait également une réflexion plus globale sur ces systèmes d'autopartage. Ils contribuent doublement à la dépollution de la ville. Tout d'abord car les véhicules électriques ne polluent pas à l'utilisation (*), mais aussi, car les 4 000 voitures Autolib' remplacent des milliers de voitures, statistiquement thermiques, qui pollueraient et encombreraient encore plus la métropole francilienne.
Et si les 119 millions d'euros de dette, pour un contrat de 2011 à 2023, étaient l'un des prix à payer pour faire baisser la pollution sur Paris et sa banlieue ? Les données d'Airparif' ont suffisamment été débattues pour montrer que la part de l'automobile est "faible" dans la pollution globale aux particules, mais si on souhaite diminuer la place de la voiture en ville, est-ce que cela ne passe pas par une politique volontaire et un financement à perte du plus grand service d'autopartage au monde ?
Même en ne comptant que 2,5 millions de foyers (toute l'Ile de France n'est pas couverte par le service), 119 millions d'euros sur les 12 ans du contrat, c'est finalement 4 euros par an d'impôt en plus pour ces foyers. Le "pass Navigo" est subventionné bien plus que cela, de même que les transports en commun en général. A priori, les différentes communes devraient se répartir les 119 millions d'euros au pro rata du nombre de Bluecar disponibles sur leur territoire.
Taxer le carburant ?
Pour financer une partie du pass Navigo, la Région Ile de France lève une taxe sur les carburants. Il pourrait être fait de même, 1 ou 2 centimes par litre de carburant, pour financer plusieurs années d'Autolib'. La - légère - baisse de pollution qu'Autolib' engendre théoriquement, doit, selon les études, faire baisser les maladies chroniques, les "décès prématurés", etc. Cela n'en vaut-il pas la chandelle ou un système d'autopartage doit-il être forcément rentable par lui-même ?
Il faut engager de telles réflexions entre les politiques et les citoyens. Mais, la présence d'un acteur privé, Bolloré de surcroît, fausse visiblement la perspective et crispe les discussions. Si Autolib' était bénéficiaire, d'aucuns auraient vite fait de fustiger l'enrichissement d'un privé via un service "qui devrait être public".
A noter que les autres services d'autopartage sur le même modèle qu'Autolib' (Lyon, Bordeaux, Turin, Singapour, Indianapolis, Los Angeles, etc.) ont un périmètre plus réduit et ne devraient pas connaître les mêmes pertes, voire pas de pertes du tout.
Enfin, une réflexion qu'il faut mener, est de se demander si ces 180 millions de perte sur 8 ans pourraient être investis ailleurs pour un résultat contre la pollution plus important.
(*) la pollution est déportée vers la source de production d'électricité, en fonction de la nature de cette production
Source : 6-t via Les Inrocks, illustration : Autolib'