Plus de 110 ans d’histoire
Si le moteur à explosion date du milieu du XIXème siècle, le principe de la suralimentation ne voit le jour qu’au début du XXème. C’est le Français Louis Renault qui aurait eu le premier l’idée de la suralimentation d’air. En tout cas, c’est lui qui a déposé le premier brevet sous le n°327.452 le 17 décembre 1902. Le principe n’est pas encore celui du turbocompresseur tel qu’on le connait, mais plutôt d’un superchargeur. Pour le système Renault, le moteur entraîne directement un ventilateur ou un compresseur selon les versions. Cela permet d’admettre plus d’air dans le moteur et d’obtenir, au final, une compression et une explosion plus fortes dans le cylindre.
Louis Renault, qui ne jure que par les petits moteurs légers, trouve là un moyen de gagner en puissance sans passer à de lourds engins. Il soumet même son invention à la compétition. Il ne faut pas longtemps pour voir les prémices de « nos » turbos modernes arriver. En 1905, le principe du compresseur entraîné par les gaz d’échappement est déposé par le Suisse Büchi. Partant du constat que les moteurs n’utilisaient qu’un tiers de l’énergie du carburant et que le reste partait en gaz d’échappement et en chaleur, Büchi a cherché comment utiliser cette énergie perdue. C’est toujours le principe des turbos de nos jours, même si on peut également les entraîner électriquement.
La validation de l’aviation
L’un des premiers intérêts perçus de la suralimentation est de pouvoir continuer d’avoir une puissance raisonnable, même en air raréfié. Cet air ténu, on l’obtient en montagne (comme lors de la montée de Pikes Peak), mais aussi au-delà d’une certaine altitude, en avion.
Ainsi, à la fin de la Première Guerre Mondiale, le moteur Renault 12 Fe, V12 de plus de 300 chevaux, est équipé d’un turbocompresseur par l’Ingénieur Rateau, spécialiste Français des turbines. Le tout est monté dans un Breguet XIV A2 de reconnaissance. Le développement du turbo se fera par l’aviation durant des dizaines d’années. La Seconde Guerre Mondiale lui offre ses titres de « gloire » dans les airs.
Si l’automobile l’a créé, ce n’est pas elle qui en tire les premiers bénéfices ni lui permet de gros développements. L’histoire du turbocompresseur va rattraper celle de l’automobile, une nouvelle fois grâce à Renault. On est au début des années 70 et à Viry-Chatillon chez Renault-Gordini (toujours le département des moteurs de compétition de nos jours) on a l’idée de ressortir le turbo des cartons. On le place une première fois dans une Berlinette Alpine A110S. Le temps de réponse est catastrophique (voir inconvénients) mais Thérier décroche la victoire aux Cévennes et Renault lance l’artillerie lourde pour développer le turbo.
La consécration des 24 heures du Mans et de la Formule 1
En endurance, l’un des juges de paix en sport automobile, plusieurs motoristes se lancent dans la piste turbo, toujours au début des années 70. En 74, Porsche décroche la 2nde place derrière la Matra V12 atmosphérique de Pescarolo et Larousse. La victoire, ce sera 1976 avec la Type-935 et son flat-6 2,1 litre turbo.
Du côté de Renault-Alpine, il faudra 6 ans aux sorciers de Viry pour mettre au point le moteur suralimenté capable de tenir 24 heures. C’est en 1978 que l’Alpine A442 de Jaussaud et Pironi remporte la victoire dans la Sarthe et bat Porsche.
Entre temps, Renault s’est lancé en Formule 1 en 1977 avec un pari insensé. La monoplace est propulsée par un petit V6 1500 cm3 suralimenté. La concurrence, ce sont des V8 3 litres Ford, des V12 BRM, des 12 à plat Alfa Romeo ou Ferrari, etc. On est à la moitié de la saison et les Français vivent des débuts compliqués. Jabouille sur la seule voiture engagée est impuissant devant là encore le temps de réponse, mais aussi la fiabilité fragile de la voiture. Elle fume plus que de raison par la prise d’air à chaque casse et elle sera surnommée la théière jaune (« yellow teapot »).
Les premiers points viennent en 78 et la première victoire en 1979 à Dijon-Prénois pour le GP de France. C’est Jabouille qui la décroche après avoir signé la première pole turbocompressée en Afrique du Sud quelques mois avant. Renault ne fait plus rire et l’intérêt du turbo en F1 est démontré. En 1981, 3 motoristes utilisent le turbo. Renault bien entendu avec son V6, Hart avec un L4 et même Ferrari qui abandonne le 12 cylindres pour un V6 turbo. BMW et Alfa Romeo se joignent à la fête en 82 et Ferrari remporte même le titre constructeur avec le moteur turbo.
En 1983, Piquet est champion avec un BMW L4 turbo et Prost manque de peu le titre pour Renault. C’est l’ère des turbocompresseurs et les puissances atteintes sont folles. A l’époque, on se fiche de la fiabilité. Il n’y a plus que le V8 Ford en « atmo ». Les turbo seront interdits en F1 en 89 mais reviendront en force en 2014 sous l’ère hybride. Au Mans, sans turbo point de salut désormais, en diesel comme en essence, hybride ou non.
Bombinettes, sportives, et diesel
Pour les voitures de route, Porsche a sorti sa monstrueuse 911 Turbo en 74. Il faut une version « civile » pour valider le moteur de course. Mais, le succès est là. Pour monsieur « Toutlemonde », il faut attendre les années 80. Forcément, Renault est encore un des acteurs de cette mode. Ce seront les R5 Turbo (moteur Cléon fonte 1,4 litres turbo de 160 ch) avec sa version de rallye et la légende Ragnotti, la R18 Turbo (Cléon alu 1,6 litres turbo de 110 ch) puis les Fuego, Renault 25, la 11, la 9, la 21.
Le turbo est alors synonyme de puissance, mais également de temps de réponse, de lag, ou de « coup de pied au cul ». Toute bonne sportive a désormais sa version turbo. Il reste heureusement des irréductibles qui gardent l’atmosphérique, mais même Ferrari a dû céder.
Le turbo a par la suite été greffé aux moteurs diesel automobiles pour doper leur puissance. C’est l’ère des diesel turbo modernes et de tout ce que cela entraîne. Pour les moteurs essence, les dernières années, avec la mode du « downsizing » (diminution de la cylindrée et adjonction de turbo pour passer les normes anti-pollution) ont encore augmenté la présence du turbo. Désormais, il n’est pas rare d’avoir des bi-turbo, ou tri, voire quadri-turbo. Et il y a même des « turbos électriques » (lancés par l’électricité en attendant les gaz d’échappement NDLA) pour gommer le temps de réponse du turbo de « grand-papi ».
Principe de fonctionnement
Le turbocompresseur se distingue du compresseur ou d’autres moyens de suralimentation par ce qui le met en mouvement. Ici, ce sont les gaz d’échappement. Les gaz sont envoyés sur une turbine d’échappement. Cette dernière est reliée (sur le même axe souvent) à une turbine d’admission. Quand les gaz entraînent la turbine d’échappement, cela entraîne la turbine d’admission, compressant l’air aspiré par le moteur.
Dans le cas du superchargeur/compresseur/Kompressor, c’est le moteur lui-même qui entraîne (chaîne, courroie, engrenages, etc.) la turbine d’admission. L’air admis dans le moteur est comprimé par cette turbine d’admission pour gaver (ou suralimenter) le moteur. Le turbo utilise un « déchet », le compresseur utilise de l’énergie prélevée au moteur.
Cette caractéristique du turbo fait qu’il faut que le moteur commence à se lancer dans les tours avant que les gaz ne soient suffisants pour assurer une compression suffisante. C’est l’effet « coup de pied au cul » ou temps de retard à l’accélération. Dans les motorisations turbo des années 80, on avait grosso-modo peu de puissance au début, puis tout d’un coup un afflux de puissance et une voiture incontrôlable.
Le turbocompresseur s’accompagne d’une soupape de décharge (wastegate) pour limiter la pression des gaz dans la turbine, ainsi que d’une dumpvalve qui limite pour sa part la pression de l’admission. A la décélération, cette dump-valve s’ouvre. C’est le fameux « pschouit » que l’on retrouve très présent sur la Toyota Supra par exemple. Un système lie la pression à l’admission à cette wastegate. Si la pression d’admission est trop forte, alors la wastegate s’ouvre, déviant une partie des gaz d’échappement sans passer par le turbo. De plus, la forme caractéristique des tubulures enroulées autour des turbines lui vaut le sobriquet d’escargot.
Gommer le temps de réponse
Pour réduire le temps de réponse du turbocompresseur, on peut utiliser des systèmes plus petits, avec moins d’inertie, qui seront plus vite mis en mouvement. Apportant moins de suralimentation (turbo « basse pression ») ils permettent de gommer une partie du retard dans une configuration twin-turbo. Un plus gros turbo prend le relais un peu plus haut dans les tours. C’est à différencier du bi-turbo qui consiste généralement à avoir deux turbos de mêmes caractéristiques en parallèle.
Mais, on peut également utiliser un turbocompresseur électrique. Ici, le turbo est mis en branle par l’électricité en attendant les gaz d’échappement (ou en remplacement total). Donc, le turbo est opérationnel dès 0 tour/min. L’électricité peut même être générée par un freinage pour plus d’efficience.
Enfin, on citera les turbos à géométries variable (TGV). Ces derniers font varier par différents mécanismes la vitesse d’arrivée des gaz sur la turbine, ainsi que la surface de celle-ci. A bas régime, le TGV se comporte presque comme un petit turbo, avec un faible temps de réponse. A haut régime, c’est un turbo « normal » qui souffle plus fort.
Talon d’Achille des moteurs modernes
Il est loin le temps des moteurs à carburateur. Désormais, les moteurs se complexifient avec des injecteurs qui voient leur pression augmenter, ou qui peuvent se boucher, des pompes à huile cruciales pour ne pas voir ledit moteur se gripper sans lubrification. Mais, qui n’a pas entendu parler un proche d’un turbo cassé ?
Cela tient au fonctionnement de la pièce. En effet, la turbine d’échappement (et celle d’admission par là même) tourne à une très grande vitesse. Il n’est pas rare d’avoir des 200 000 tours/minute ! De plus, les gaz d’échappement d’un moteur sont très chauds et frappent directement la turbine. Aussi, le turbo doit être parfaitement lubrifié, et refroidi.
Il est de plus en plus courant d’avoir une pompe à huile dédiée au turbo. De même, certains constructeurs ont des systèmes de refroidissement qui restent actifs quelques minutes après l’arrêt du moteur pour la survie du turbo.
Car, le turbo est fragile dans ses trois phases de fonctionnement. Si le fonctionnement nominal est assuré par la bonne lubrification, en phase de démarrage, cette lubrification n’est pas parfaite. Solliciter le turbo « à froid » est le plus sûr moyen de le faire casser. De même, solliciter le turbo en accélérant fortement, puis couper de suite le moteur, va laisser un turbo brûlant. S’il n’y a pas de système de refroidissement moteur coupé de prévu, là encore le turbo va voir sa durée de vie réduite et son remplacement obligatoire rapidement. Il faut donc rouler « doucement » quelques instants pour faire retomber la température du turbocompresseur.
Mais, en prenant quelques précautions, il est possible de faire durer le turbo bien plus longtemps. Surtout qu’il permet aux moteurs modernes, essence ou diesel, d’allier la sobriété d’une petite cylindrée à allure stabilisée, à la puissance d’un gros moteur lors des fortes sollicitations. Docteur Jekyll et Mister Hyde en somme.
Illustration : 1-Rama/CC BY-SA 2.0 fr, 2 et 3-Renault 4-Leblogauto.com