Recycler le CO2 en éthanol : un catalyseur prometteur

Convertir chimiquement le CO2 en carburant (éthanol), ce n’est pas nouveau. Il y a par exemple le projet SOLETAIR lancé il y a plusieurs années. Le souci, c’est qu’il faut une bonne dose d’énergie et que l’opération perd tout intérêt avec un rendement médiocre. Pour améliorer tout cela, il faut aider la réaction. Cela se fait à l’aide de catalyseurs et d’électrolyseurs.

En 2016, une découverte, faite un peu par hasard, a étonné les scientifiques. Des chercheurs de l’Oak Ridge Laboratory dans le Tennessee aux USA ont découvert qu’en mélangeant du CO2 à de l’eau, en présence de carbone, cuivre et azote, de l’éthanol se formait. Le cuivre passe par un état transitoire et il se crée ce que l’on appelle des « nanoclusters ».

Des découvertes multiples et rapides

Depuis, différentes équipes du monde entier planche sur un catalyseur pour améliorer la réaction et la rendre peu cher. En 2019, des scientifiques du Collège de France ont utilisé du carbone « dopé au cuivre et à l’azote », parcouru par du courant électrique pour améliorer la réaction. C’était déjà un grand pas en avant puisque la réaction ne produisait que de l’éthanol, se faisait à température ambiante pour un coût largement en baisse.

Cette fois, ce sont des chercheurs du laboratoire national d’Argonne (USA) qui améliore encore le processus. Cette fois, l’équipe du département Energie a saupoudré « atomiquement » du cuivre sur une poudre de carbone, toujours soumis à du courant électrique. Résultat, ce nouveau catalyseur permet une réaction à température ambiante, mais également à des tensions basses.

Et cela a son importance. Température et tension relativement basses, permettent de limiter les pertes inhérentes à toutes réactions (chaleur, sous-produits, etc.). L’efficacité faradique de la réaction est évaluée à 91%. C’est le taux le plus élevé qu’une étude scientifique a jamais publié pour la transformation du CO2 en éthanol. En outre, l’équipe affirme que le catalyseur est stable dans le temps et supporte un nombre de réactions élevé.

Durant l’étude, il a été mis en évidence les transformations qui se déroulent pour le cuivre. Chaque atome de cuivre saupoudré se réunit avec deux autres atomes de cuivre pour former un cluster métallique à 3 atomes. Cette observation va servir à améliorer encore le processus.

Pourquoi un tel catalyseur est intéressant ?

Le fait de permettre une réaction à température ambiante et sans condition particulière est très important pour la mise en production de ce genre de réactions chimiques. En effet, cela évite d’avoir à maintenir une température (ou pression, etc) élevée en permanence ce qui réduirait considérablement le rendement global.

De plus, cette température ambiante permet de lancer et d’arrêter la réaction en quelques secondes. Pas de préchauffage ou autre. On pourrait donc envisager d’utiliser des sources d’électricité intermittentes…comme le photovoltaïque ou l’éolien en surplus. Et là, c’est la haute efficacité de Faraday qui est intéressante ici. Cela évite un gâchis d’électricité pour « rien ».

Cela permet d’envisager un cycle du CO2 qui serait piégé et réutilisé plutôt que de simplement le relâcher dans l’atmosphère.

Pourquoi transformer le CO2 en éthanol ?

Le CO2 est un gaz à effet de serre très largement émis par l’Homme et son industrie à base d’énergie fossile. Recycler le CO2 devient un enjeu mondial. Encore faut-il savoir en quoi le transformer utilement.

L’éthanol, un alcool, est utilisé dans plusieurs domaines comme l’industrie chimique, la cosmétique, les médicaments, etc. Mais, il peut aussi être utilisé en carburant, que ce soit mélangé à de l’essence, ou dans une pile à combustible à éthanol-direct. Bref, un produit intéressant, si et seulement si, il peut être produit à bas coût.

Et pour cela, ce nouveau catalyseur est un plus. Est-ce que ce sera ce catalyseur qui permettra les premières vraies conversions CO2 vers éthanol ? En tous cas, l’équipe de l’Argonne va désormais travailler avec les industriels sur la mise en production de ce catalyseur, mais également d’autres qui permettent de produire d’autres éléments comme l’éthylène (lui aussi très utilisé dans la chimie).

Certains imaginent même déjà des « pièges à CO2 » sur les cheminées d’usine qui donneraient de l’éthanol à partir du surplus des énergies renouvelables : une sorte de stockage des EnR non utilisées en somme. Pour l’automobile, cela pourrait éviter de devoir planter de plus en plus de canne à sucre au Brésil (en déforestant) ou de betterave à sucre. Cela pourrait aussi éviter de planter des palmiers à huile pour produire un agro-gazole.

Vidéo d’introduction des cours du Professeur Marc Fontecave au Collège de France

Sources :

Collège de France – Catalyse hétérogène et activation de petites molécules par Marc Fontecave

Article de l’Argonne sur le nouveau catalyseur

Publication dans Nature de l’étude : Highly selective electrocatalytic CO2 reduction to ethanol by metallic clusters dynamically formed from atomically dispersed copper

Illustration : leblogauto.com

(19 commentaires)

  1. Maintenant, il faut prier que le baril de pétrole ne soit pas trop donné, car ce sont les bas prix des carburants qui tuent dans l’œuf systématiquement les biocarburants.
    …et qui entretient notre dépendance énergétique par la même occasion.

    1. @QGL : rien à voir avec le pétrole. L’éthanol est un produit qui peut être utilisé en carburant. Mais si le pétrole reste bas, ne vous inquiétez pas, l’éthanol est très consommé dans le monde.
      NB : l’éthanol de synthèse n’est pas un « biocarburant » ni un agrocarburant (comme l’éthanol de canne ou de betterave), c’est juste un carburant de synthèse 🙂

      Typiquement regardez le flacon de solution hydroalcoolique que vous avez à portée de main…si elle est normée elle doit avoir plus de 60% d’éthanol.
      On s’en sert d’antiseptique, de solvant, de matière première en chimie, dans les carburants et bien entendu dans les boissons alcoolisées (mais pas de l’éthanol de synthèse).

      Priez plutôt pour que les états choisissent de taxer fortement les émissions industrielles de CO2. Il sera alors très valorisable de piéger le CO2 (c’est déjà fait dans bien des usines) pour le transformer en produit revendable ou réutilisable comme l’éthanol.

      Mais attention, « qui entretient notre dépendance énergétique par la même occasion. » >> Attention à l’effet rebond. En effet, si on produit un éthanol de synthèse bon marché et qui permet de « recycler » notre CO2, alors ce sera consommation débridée car…on le recycle. Le fameux effet rebond que l’on constate à chaque fois que l’on met en place du recyclage ou des énergies « propres » 🙂

      1. Bon, je vais donc acquérir cette Viper qui me fait envie et qui va permettre un cycle continu d’utilisation de l’éthanol et d’une production équivalente de CO2 sans plus empêcher SGL de se morfondre sur la balance commerciale et l’état financier jalousement difficile des princes arabes.

        On mettra des taxes d’importation du pétrole ou une taxe supplémentaire de dépollution sur chaque litre de rouge ou de vert par captation de CO2 pour promouvoir l’éthanol français !

      2. @Thibaut Emme : « Attention à l’effet rebond. En effet, si on produit un éthanol de synthèse bon marché et qui permet de « recycler » notre CO2, alors ce sera consommation débridée car…on le recycle. »
        J’avoue ne pas voir où est le problème.
        Ok, si je consomme et que je pollue c’est mal.
        Si je consomme, même beaucoup, sans polluer où est le problème ?

        1. Il y a toujours pollution. Simplement parce que la physique impose l’irréversibilité des équations chimiques (ou des mouvements).
          Il y aura forcément une dépense énergétique non compensée (et donc une « pollution » au sens large).

          Si vous recyclez votre CO2 à 50%, mais que vous vous déplacez 2 fois plus, ou que vous prenez un « gros » moteur qui consomme 2 fois plus, alors l’économie est nulle.
          Cet effet rebond c’est par exemple le covoiturage. Le covoiturage c’est bien, cela divise par 2, 3 ou 4 (ou plus) les émissions d’un trajet rapporté au nombre de passagers.
          Mais, on observe que le covoiturage incite aussi à faire des trajets auxquels on aurait renoncé sans cela (pour le coût, etc.).
          Résultat, on espère économiser X, mais en fait on économise moins, voire…pas du tout.

          L’effet rebond est aussi indirect. Par exemple j’isole ma maison, je fais des économies. Ces économies me permettent de faire un voyage en avion.
          Dans les effets rebonds observés récemment, il y a les ampoules basse consommation…comme on consomme largement moins, on n’hésite pas à allumer ou à laisser allumé (c’est pas Versailles ici !).
          Il y a aussi des véhicules plus économes qui deviennent alors plus intéressants que le trains, etc.

          Bref, une économie peut se traduire en « plus » pour le ou les consommateurs et au global être un gros plus.

          1. Un autre effet rebond concerne l’aviation…on a des avions de plus en plus économes, mais en donnant des billets moins cher (moins de carburant) cela fait que globalement la consommation augmente.
            Ou les super-porte-conteneurs…rapporté au conteneur, la pollution est moindre…mais là encore, l’économie est mangée par le fait qu’on en fait transiter encore plus chaque année.

            C’est William Jevons en 1865 qui théorise l’effet rebond dans « The Coal Question » (à l’époque c’était le charbon…).
            En gros toute amélioration technologique sur l’efficacité induit une hausse de la consommation globale.
            C’était sur le charbon, et il avait raison. On appelle cela « révolution industrielle » mais c’est un effet rebond 🙂

  2. J’aime beaucoup la phrase « une découverte, faite un peu par hasard, a étonné les scientifiques »

    On dirait ces pubs douteuses comme « cet ingénieur a fait une découverte qui fait perdre 2 kilos en 1 semaine » ou « cette solution anti ride qu’une mère de famille a découverte qui énerve les dermatologues »

    Blague à part, c’est très intéressant. Du coup, il va falloir ressortir les gros moteurs émetteurs de CO2 ?

    1. En fait, leur catalyseur devait ne faire qu’une partie de la réaction et ils pensaient trouver tout sauf de l’éthanol 🙂

      « We discovered somewhat by accident that this material worked,” said ORNL’s Adam Rondinone, lead author of the team’s study published in ChemistrySelect. “We were trying to study the first step of a proposed reaction when we realized that the catalyst was doing the entire reaction on its own.
      https://www.ornl.gov/news/nano-spike-catalysts-convert-carbon-dioxide-directly-ethanol

      Après, ce n’est pas comme s’ils voulaient faire un truc totalement différent.

      Les découvertes fortuites, l’Histoire en est remplie.
      Evidemment il y a Ch. Colomb, mais plus proche de nous, le post-it, le velcro, le four à micro-onde, tout un tas de polymères, même la vulcanisation par Charles Goodyear est le fruit du hasard (il avait posé bêtement un morceau de latex recouvert de souffre sur un poele. Cela prend feu et il bazarde le tout par la fenêtre avant de voir le lendemain que le bidule est plus élastique et résistant que le latex naturel.
      L’aspartame est un autre exemple connu proche de nous…un chercheur a humecté son doigt pour attraper un papier lors d’une réaction intermédiaire…goût sucré…hop édulcorant 🙂
      Rayons X, toute la radioactivité (Becquerel, Curie, Joliot), etc.

      Mais, si la découverte est fortuite, il faut le talent (ou la présence d’esprit) de comprendre la découverte et de ne pas tout jeter 🙂

  3. Si on se contente de consommer des produits « naturellement fabriqués par la nature », comme l’eau de la pluie, alors il n’y a pas de pollution.

    Malheureusement, tout ce que nous consommons est un « produit transformé ». Cette transformation est souvent polluante

  4. Ayant travaillé autrefois en B.E. de cimenterie chez Lafarge, je suis particulièrement heureux de voir qu’il y aurait des possibilités réelles de récupérer le CO2 des cheminées d’usines…!
    Mais comment faire pour le séparer des poussières résiduelles, car les électrofiltres de cimenterie n’arrivent pas à totalement tout filtrer avant l’exhaure de la cheminée ?

    1. C’est certain qu’il y a des barrières à lever pour capter le CO2 de toutes les usines. Mais cela se fait.
      Pour les cimenteries je ne sais pas trop.
      Je sais que Lafarge avait lancé un test d’un béton absorbeur de CO2 pour filtrer les flux de cheminées.
      Le béton absorbe naturellement le CO2 (carbonatation) mais c’est un processus lent, au fil du temps.
      https://fastcarb.fr/

      En gros pour les cimenteries, les pistes sont surtout de travailler sur des bétons avec moins de ciment et plus de granulats recyclés.
      Granulats que l’on carbonate avec les fumées des cheminées des cimenteries.
      Une autre techno est poussée par le projet Leilac https://www.project-leilac.eu/
      Là, on utilise le CO2 émis, que l’on piège, que l’on réintègre dans une autre opération de cimenterie pour séparer proprement le CO2 des autres gaz et visiblement des poussières.

      Pour les cimenteries, c’est un enjeu énorme car le secteur émet beaucoup de CO2.
      Et face aux amendes qui se profilent à l’horizon, ils ont lancé des projets pour réduire le CO2 émis, ou pour le réutiliser.
      Bien sûr, la capture est plus « simple » sur d’autres industries qui le font déjà car le CO2 est aussi un produit de l’industrie.

      Sinon, il y a des filtres sélectifs comme les Metal Organic Framework (MOFs) (ou polymères de coordination poreux – PCP).
      Des ions zinc sur un composé organique à la forme spécifique réussissent à piéger le CO2 de façon très efficace.
      Bref, l’industrie du CO2 se lance…une fois que les industriels auront tous compris qu’ils peuvent faire des sous avec le CO2, ils le feront 🙂

  5. Quoi qu’il en soit, cette opération nécessitera plus d’énergie que celle qui a été produite en émettant du CO2. Que ce soit en consommant du carbone qui sera réemis en CO2 à la combustion de l’éthanol,ou en électricité, etc.
    Aucun catalyseur ne peut modifier ce constat incontournable. Pour évaluer cette opération, il faut connaître les réactions chimiques mises en œuvre et les apports d’énergie nécessaires, ce que cet article ne fait pas.

    1. La réaction chimique est la « toute bête » réduction électrochimique du CO2 en éthanol.
      En gros, CO2 + H2O + e- => C2H5OH.
      Evidemment ici je ne l’équilibre bas car la réduction électrochimique (hautement sélective) va donner des produits différents en fonction du catalyseur. L’équation est dans la publication dans la revue Nature.

      Quant aux apports d’énergie, pour le moment c’est en labo. En revanche, savoir que l’efficience Faradique est de 91% indique que la réaction se fait « facilement ».
      L’efficience de Faraday décrit la facilité (ou la difficulté) avec laquelle une charge électrique (e-) est transférée dans la réaction électrochimique.
      Plus cette efficience est élevée, et meilleure est la réaction (et moins coûteuse en énergie).
      Grosso-modo, comme on est ici à température et pression ambiante, le coût en énergie correspond peu ou prou à la « perte faradique ».
      Mais, là encore tout est dans la publication dont nous avons mis le lien en référence.

      1. « Quoi qu’il en soit, cette opération nécessitera plus d’énergie que celle qui a été produite en émettant du CO2. Que ce soit en consommant du carbone qui sera réemis en CO2 à la combustion de l’éthanol,ou en électricité, etc. » >> Oui, sauf que l’éthanol on en consomme déjà. Donc en recyclant le CO2 dans une réaction qui consomme peu d’énergie (efficience faradique, etc.), on permet d’avoir de l’éthanol dont la fabrication est largement moins carbonée.

        Et donc, des émissions globales en baisse. Surtout si l’électricité utilisée pour cette réaction est issue du renouvelable « perdu ».
        Le souci avec les EnR est leur intermittence. En gros, cela ne produit pas de façon constante et cela a la fâcheuse tendance de produire quand on n’en a pas besoin immédiatement.
        Il faut donc les stocker. Soit on remonte de l’eau dans les barrages façon shadocks qui pompent, soit on stock via un vecteur d’énergie.
        Cela peut être une batterie, une roue inertielle, énergie thermique, ou comme ici possiblement, la production d’un produit secondaire. Ce produit peut être du H2, de l’éthanol, ou autre.
        Le but n’est pas de gâcher ce surplus d’énergie et donc, il faut avoir les meilleurs rendements possibles. Ce que cherche à faire ces chercheurs (et pas que eux) en produisant un produit très utilisé dans l’industrie mondiale.

        1. Si l’efficience Faradique est excellente et qu’il n’y a pas de défaut majeur pour l’industrialisation, cette technologie peut condamner les projets basés sur l’électrolyse de l’eau pour faire de l’hydrogène, projets dont l’efficacité énergétique est catastrophique.
          Ce serait alors la manière la plus efficace de stocker de l’électricité

  6. « Pour l’automobile, cela pourrait éviter de devoir planter de plus en plus de canne à sucre au Brésil (en déforestant) »
    Ils arrêteront de bruler l’Amazonie pour y planter de la canne à sucre, ils bruleront l’Amazonie pour produire directement du CO2 grâce à celui stocké dans les arbres. Voir encore « mieux », ils bruleront l’Amazonie pour récupérer le CO2 stocké dans les arbres et avoir de la place pour planter de la canne à sucre. Double mode de production de l’éthanol donc beaucoup plus rentable. ^^

  7. Avec un taux de CO2 dans l’atmosphère de quelques maigres 10000èmes, il est hélas douteux que l’on puisse se faire sa distillerie d’air catalysé chez soi pour contourner la TIPCE (qui viendra bien un jour sur l’éthanol s’il se démocratise vraiment)! Ca obligerait à brasser beaucoup d’air, même nos politiciens que le monde ne nous envie pas n’y parviendraient pas.

    Alors en effet, ce sera captation à la source chez les industriels… ce qui veut dire que pour les transports le bilan sera à relativiser sévèrement, sauf à parvenir à remplir le réservoir avec une fraction conséquente de ce qui sort du pot d’échappement!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *