Bruxelles met le poing sur la table
Jeudi, Bruxelles a ainsi annoncé sa décision de renvoyer la France devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Après des années d’avertissements et d’ultimatums sans que cela ne soit trop suivi d'effet, Bruxelles tape désormais du poing sur la table. Une décision motivée en tout premier lieu par des raisons sanitaires. Le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié au début du mois de mai 2018, rappelle que la pollution de l’air tue environ 500 000 personnes en Europe chaque année, dont 48 000 en France.
Rappelons que la France est pointée du doigt par Bruxelles depuis près de dix ans pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. La première mise en demeure remonte à 2009 …. suivie de 5 autres …. en dehors de 2012 et 2016, un avertissement de ce type aura visé la France chaque année. La Commission reproche à la France des dépassements répétés des valeurs limites de NO2 (dioxyde d’azote).
Les arguments de Bruxelles demeurent identiques à chaque fois, reprochant à la France de ne pas avoir pris les mesures qui auraient dû être mises en place depuis 2005 pour les PM10, et 2010 pour les NO2 « pour protéger la santé des citoyens ». Demandant au final à Paris « d’engager des actions rapides et efficaces pour mettre un terme aussi vite que possible à cette situation de non-conformité. » Et menaçant de porter l’affaire devant la Cour de justice de l’UE si la France n’agissait pas dans les deux mois.
Des efforts mais une situation très préoccupante
Dans les milieux proches de la Commission, on laisse entendre que Bruxelles reconnaît les efforts fournis par Paris en la matière, mais qu'elle estime toutefois que la situation demeure très préoccupante dans douze zones soumises à des niveaux de dioxyde d’azote (NO2) très élevés.
Bruxelles relève ainsi que les concentrations annuelles déclarées en 2016 ont atteint 96 µg/m3 à Paris, soit plus du double que la valeur limite européenne, fixée à 40 µg/m3.
En France, le dioxyde d’azote (NO2) atteint des niveaux critiques tout particulièrement dans les grandes villes. A Marseille et Lyon, la limite annuelle de 40 microgrammes par mètre cube est dépassée.
Selon l’Agence européenne de l’environnement, le dioxyde d’azote est responsable de la mort prématurée de 75 000 individus en Europe, dont 9 300 en France. Mais, rappelle France24, le principal danger, ce sont les particules très fines (PM2,5), composées de poussière, de fumée, de suie ou de pollen, à l’origine d’un peu moins de 400 000 morts prématurées par an en Europe.
La France, loin d'être la seule mauvaise élève
Maigre consolation : la France n'est pas la seule mauvaise élève. Depuis plus d’une décennie, la Commission européenne scrute en effet la pollution dans 23 pays membres de l’UE, et particulièrement dans 130 villes.
La Pologne a récemment été condamnée pour ses dépassements fréquents. Même motif, même punition pour la Bulgarie. Pas moins de 33 dossiers d’infraction sont instruits, à des stades plus ou moins avancés, par la Commission.
En dehors de la France, huit autres Etats font également l'’objet d’une procédure d’infraction : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Hongrie et la Roumanie. La Commission reproche à l’Allemagne et au Royaume-Uni des dépassements répétés des valeurs limites de NO2. Quant à l’Italie, la Hongrie et la Roumanie, elles sont pointées du doigt pour leur non-respect des normes relatives aux particules fines PM10.
L’Espagne, la Slovaquie et la République tchèque demeurent quant à elles sous surveillance.
S'agissant des enquêtes ouvertes à l'encontre des constructeurs dans l'affaire du dieslegate - tout particulierement Volkswagen et FIAT - la Commission demande officiellement à l’Allemagne et à l’Italie d’accélérer les choses, mettant les deux pays en demeure de prendre des sanctions.
Sommet de la dernière chance en janvier dernier
Le 30 janvier, le commissaire européen à l’environnement, Karmenu Vella, avait convoqué le ministre de la transition écologique français, Nicolas Hulot, et ses collègues européens à un sommet de la « dernière chance » à Bruxelles.
Il s'était alors montré pour le moins ferme et menaçant. « Nous sommes à la fin d’une longue période — trop longue diront certains — d’offre d’aide, de conseils et d’avertissements », avait -il martel. Tout en accordant aux différents pays incriminés un ultime délai fixé à mi-février pour présenter des plans d’actions susceptibles de réduire la pollution de l’air dans les meilleurs délais.
Feuilles de route de Hulot jugées insuffisantes
Dans la foulée de Bruxelles, Nicolas Hulot a présenté le 13 avril dernier les « feuilles de route » des quatorze zones concernées par des dépassements des normes. Répondant en cela à l'injonction faite par le Conseil d’Etat de transmettre un tel plan à la Commission avant le 31 mars.
L'Ile-de-France, Marseille, Nice, Toulon, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence, lavallée de l’Arve, Strasbourg, Reims, Montpellier, Toulouse et la Martinique figurent parmi les quatorze zones concernées par des dépassements des normes.
Des propositions jugées nettement insuffisantes par la Commission européenne n'y voyant là rien de bien nouveau sous le soleil et rien de révolutionnaire … en tout cas pas de quoi permettre de redresser la barre et de prendre efficacement le taureau par les cornes.
Ce n'est pas moi, c'est l'autre …
Cote ministère de la transition écologique, on joue quelque peu du « ce n'est pas moi, c'est l'autre » …. gouvernement. Voulant ainsi démontrer qu'il n'est en rien responsable de la situation actuelle et ne fait que gérer les conséquences de politiques menées par les prédécesseurs. Le Ministère rappelle ainsi la situation actuelle est « l’héritage de dizaines d’années » où ont été « privilégié la voiture, le transport routier, au détriment des solutions écologiques ». Il compte par ailleurs sur la future loi sur les mobilités pour pouvoir « sortir au plus vite de ce contentieux ».
Précisons que les mesures « antipollution » du projet de loi devraient être présentées en juin prochain. Le texte « prévoit notamment des financements pour accompagner le déploiement de zones à faibles émissions dans les territoires les plus pollués », précise le ministère.
Rappelons qu'à l'heure actuelle, Paris et Grenoble ( dans une moindre mesure toutefois) ont mis en place un dispositif de ce type basé sur les vignettes Crit’Air.
Vers des sanctions financières ?
La décision de Bruxelles de saisir la CJUE expose la France au paiement éventuel de sanctions financières. Les textes prévoient en effet une sanction d’au moins 11 millions d’euros et des astreintes journalières d’au moins 240 000 euros en vue d'aboutir au respect des normes de qualité de l’air. Sous réserve d'une condamnation …. laquelle n'est pas pour demain tant la procédure est longue.
Du côté de Nicolas Hulot, on laisserait entendre selon « Le Monde » que « l’argent serait plus utile pour lutter contre la pollution que pour payer des amendes ».
Sources : Le Monde, 20 Minutes, France24