Ce sont des images iconiques que tout amateur connaît bien : des berlines survitaminées, prenant les virages avec la roue avant intérieure relevée. Un « style » inimitable qui fait entrer dans la légende la Giulia GTA, première voiture du Biscione à inaugurer le prestigieux sigle.
Course aux armements
Les saisons 1963-1964 ont vu l’apparition de la Giulia TI Super, évolution sportive de la berline Giulia qui a débarqué en 1962. Dans sa catégorie, elle s’impose rapidement, notamment dans l’European Touring Challenge ou encore le championnat d’Allemagne de tourisme, piquant au vif l’orgueil germanique, comme le fera trente ans plus tard la 155 en DTM. Cela avait encouragé les constructeurs concurrents, avec une interprétation peu scrupuleuse des règlements, à engager des voitures conçues pour la compétition sur piste, n’ayant plus grand chose à voir avec la série. Ce fut le cas, par exemple, de la Ford Cortina Lotus sur laquelle Ford avait purement et simplement transplanté toute la base mécanique de la Lotus, habillée par une carrosserie dont les lignes ressemblaient à celles de la Cortina berline.
Pour contrer l’offensive de Ford et BMW sur les pistes européennes, Alfa Romeo confie son projet à la nouvelle société Autodelta, créée par Carlo Chiti après l’échec de la marque ATS (née d’un conflit interne grave avec Ferrari en 1961). Ayant oeuvré initialement de manière officieuse et même « secrète », Autodelta va bientôt profiter du changement de stratégie d’Alfa Romeo qui, après avoir dans un premier temps mis son veto à un engagement officiel de ses berlines en compétition, va faire de la structure de Chiti son département course officiel.
L’astucieux Carlo Chiti
Pour surmonter les problèmes de poids et de sous-virage excessif de la Giulia TI Super, Chiti pend pour base la Giulia Sprint GT, malgré une carrosserie coupé 2 portes faisant penser à une voiture de catégorie Gran Turismo. Mais, en lisant le règlement Gr.2 Turismo, on s’est rendu compte que l’homologation ne précisait pas le nombre de portes mais la taille minimale des 4 sièges et notamment de conserver l’espace aux jambes arrière du modèle de série.
Il manquait deux petits centimètres sur la Giulia GTA pour satisfaire à cette règle si les mêmes fauteuils de série de la Giulia GT étaient utilisés. L’astuce proposée pour contourner l’obstacle était ingénieuse : éliminer « officiellement » les sièges arrière rembourrés des voitures de série, en les remplaçant par une banquette en plastique, suffisamment fine pour combler les centimètres manquants, puis de fournir les sièges rembourrés en option.
L’idée de Chiti fut approuvée par la direction d’Alfa Romeo et Autodelta commença la transformation des prototypes de la future GTA dans les derniers mois de 1964 avec la collaboration des ingénieurs Orazio Satta Puliga et Giuseppe Busso.
« leggero va bene » *
C’est ainsi que naît l’Alfa Romeo Giulia Sprint GTA, pour « Gran Turismo Alleggerita », présentée au Salon de l’automobile d’Amsterdam le 18 février 1965 et produite jusqu’en 1967. Esthétiquement, la voiture ne diffère pas beaucoup de la Sprint GT mais elle ne pèse que 745 kg, soit quasiment 200 kg de moins que la Sprint GT standard. Les panneaux extérieurs (toit, ailes, portes et capots) de la carrosserie ont été fabriqués en Peraluman 25, un alliage d’aluminium et de magnésium à 5,6% avec du manganèse, du cuivre et du zinc, et rivetés à la structure porteuse en acier de la Sprint GT qui avait également été dépouillée de son anti-bruit.
Le gain de poids a été également obtenu sur les jantes en magnesium fabriquées par Campagnolo, des poignées, remplacées par des « arches » en métal plus léger avec verrouillage à bouton-poussoir, , deux prises d’air supplémentaires ouvertes sous le bouclier avant (également allégé), une calandre allégée tandis que les vitres latérales et la lunette arrière sont réalisées en plexiglas. A l’intérieur, en plus de la banquette de substitution, le conducteur agrippe le volant avec couronne en bois de la Giulia TZ. De plus, le carter d’huile est agrandi, la cloche d’embrayage et le carter de différentiel autobloquant ZF ont été moulés en elektron.
Chevaux de feu
Le moteur 1,6 à double arbre à cames de la Sprint GT est équipé de bielles et de pistons spéciaux et d’une culasse à double allumage (deux bougies par cylindre) avec des soupapes plus grandes inclinées à un angle « V » de 80°. L’alimentation en carburant est assurée par deux carburateurs Weber 45 DCOE à double starter plus gros (45 mm de diamètre au lieu de 40) et une pompe à carburant électrique. Dans la version routière, la GTA délivrait 115 ch à 6 000 tr/min de puissance maximale et 14,5 kgm de couple à 3 000 tr/min avec une vitesse maximale déclarée de plus de 185 km/h. Les versions préparées par Autodelta avec échappement latéral pouvaient atteindre 170/175 ch à 7800 tr/min et un couple de 16,5 kgm à 5 500 tr/min avec un poids réduit d’environ 45 kg supplémentaires grâce à l’élimination des pare-chocs, des sièges et d’autres petites pièces.
Les GTA lèvent la patte
Ses débuts en compétition ont lieu en 1965 lors de la course de côte de Trento – Bondone où elle remporte sa catégorie, avant de s’imposer dans la Coupe des Alpes la même année. Après les premières courses, les pilotes ont souligné la tendance de la GTA à « soulever » la roue arrière intérieure dans les virages, perdant ainsi de la traction en sortie de virage.
L’ingénieur Chiti a résolu le problème en adoptant le système « Slittone », un dispositif mécanique appliqué à la suspension arrière qui permettait d’abaisser le centre de roulis : les roues arrière restaient collées et on pouvait ouvrir l’accélérateur très tôt, surtout avec un différentiel autobloquant, la roue avant extérieure était chargée au maximum. Le gain était substantiel pour la propulsion GTA : une meilleure tenue de route dans les virages, moins de surchauffe des pneus et de meilleures performances globales sur la durée. Depuis lors, les GTA de course équipées de ce dispositif « soulèvent » la roue avant intérieure, permettant une traction optimale en sortie, tout en leur donnant une signature visuelle unique !
Des victoires comme s’il en pleuvait
Andrea de Adamich (en 1966 et 1967) et Spartaco Dini (en 1969) ont remporté trois fois le Challenge européen des voitures de tourisme, tandis qu’Ignazio Giunti a remporté le championnat d’Europe de la montagne en 1967. Elle gagne aussi à trois reprises le Deutsche Rundstrecken Meisterschaft, en 1966, 1967 et 1968 avec Herbert Schultze. Chez nous, Jean Rolland et Bernard Consten sont champions de France des rallyes en 1966 et 1967. Rien qu’en 1966, l’Alfa Romeo Giulia GTA, conduites par des pilotes officiels et privés, a remporté plus de 200 victoires ! La Giul ia GTA devient la « tueuse » sur les circuits et dans les courses de côte, imbattable dans sa catégorie.
L’escalade des victoires dans le Groupe 2 a conduit Autodelta à expérimenter la préparation encore plus poussée du Groupe 5. Entre 1967 et 1968, des dizaines d’exemplaires ont été équipés de deux turbocompresseurs. C’est la naissance de la GTA-SA (SA signifie suralimentée), avec une puissance autour de 220 ch et une vitesse de pointe de 240 km/h. Ensuite, en 1968, apparaît la Giulia GTA Junior avec son moteur 1300 et son système d’injection monté à la place des carburateurs et qui est peut-être encore plus invincible dans sa catégorie que sa grande sœur, la GTA 1600. Enfin, l’ultime évolution, pour faire face à la concurrence redoutable de Ford et de BMW, sera la GTAm engagée à partir de 1970 en championnat d’Europe, qui culmine en 1971 avec la 2000 GTAm qui troque les carburateurs pour une injection SPICA : 240 CV et 230 Km/h !
Une lignée par intermittence
La GTA prend sa retraite en 1975, « remplacée » par l’Alfetta GTV. Néanmoins, le blason GTA n’eut pas de descendance pendant bien longtemps, la sportivité du Biscione étant assurée jusqu’au début des années 90 plutôt par les versions « Quadrifoglio ». Puis, le blason revint au début des années 2000, en pleine résurrection de la marque, quand sort en 2002 la 156 GTA, reconnaissable à ses ailes élargies, ses boucliers et ses jantes spécifiques et surtout à son mythique V6 3.2 Busso de 250 ch. Afin de concurrencer les breaks allemands de grosse cylindrée, la GTA fut aussi proposée en break Sport Wagon. La compacte 147 GTA sort l’année suivante, bénéficiant du V6-24 soupapes de 3,2 litres et 250 ch avec la 156 GTA. L’apogée d’Alfa sous l’ère FIAT !
Ni les Mito (malgré l’existence d’un prototype, annulé par la crise financière), ni la Giulietta ni même la 4C n’y ont droit par la suite. C’est la dernière Giulia qui reçoit de nouveau le prestigieux blason, avec la GTA/GTAm équipée du V6 Biturbo 2.9 issu de la QV. Reverra-t-on un jour une nouvelle Alfa GTA ?
- en général, les italiens traduisent la fameuse devise de Lotus « light is right » par « léger, c’est bien »