On a vu : Le Mans 66, comment Ford a conquis les 24h

Marketing et vengeance

Les films sur le sport automobile sont suffisamment rares pour que l’on se réjouisse d’une sortie en salles. Et concernant les 24 heures du Mans, depuis le films Le Mans de 1971 avec Steve McQueen, il n’y avait plus eu grand chose (on évitera pudiquement d’évoquer Michel Vaillant…). Le cœur du film, ce n’est pas tant la course en elle-même, que l’aventure humaine qui orchestra cet épisode majeur de l’histoire du sport automobile. C’est d’abord une guerre des égos: Henry Ford II,  convaincu par son n°2 Lee Iacocca de s’engager en compétition pour redorer le blason ovale en perte de vitesse, envisage de racheter Ferrari qui est en proie à des difficultés financières.

L’acquisition du constructeur de Maranello serait une excellente affaire pour disposer rapidement de modèles sportifs performants. Les négociations sont très avancées, mais quand Ferrari comprend qu’il risque de perdre la main sur le département compétition – qui est à ses yeux prioritaire sur la branche production – il fait machine arrière et le projet tombe à l’eau. Piqué au vif, surtout par le coût des études juridiques, Ford veut sa vengeance et donne pour mission à ses équipes d’aller battre Ferrari sur son propre terrain, les 24 heures du Mans, avec une machine de course maison. Le film met alors en scène une histoire d’amitié très forte entre Caroll Shelby, ancien pilote devenu un constructeur remarqué de sportives musclées, et Ken Miles, pilote brillant iconoclaste au caractère atypique.

Ambiance réussie

La grande réussite du film, c’est la reconstitution de l’atmosphère des sixties, le tout filmé avec talent par James Mangold, connu pour des films remarquables tels que Copland et Logan. Les stands du Mans sont reproduits à la perfection, de même que le matériel et surtout…les voitures ! Le film a le mérite d’avoir évité les effets 3D à outrance, en utilisant de véritables répliques des GT40 et autres 330 P3 pour filmer des séquences de course réelles. Plus de 400 répliques ont ainsi été construites par…Shelby Legendary Cars et utilisées pour les besoins du métrage. Évidemment, les scènes de course n’ont pas été tournées au Mans, puisque les circuits modernes n’ont rien à voir avec ceux d’époque, mais l’illusion marche parfaitement. Le tout est porté par un excellent jeu d’acteurs. Matt Damon incarne Caroll Shelby, le prototype du self-made man, un texan pur jus audacieux et sans fioritures, tandis que Christian Bale, fidèle à ses interprétations très travaillées, nous livre un Ken Miles au caractère torturé, aussi attachant qu’impulsif.

Les scènes de course sont également bien mises en scène, dynamiques sans faire dans la surenchère, même si le film n’évite pas quelques poncifs très classiques, tels que les pilotes qui se regardent comme des cow-boys, roues contre roues, le fameux rapport de vitesse en plus qui permet de dépasser l’adversaire et des courses de pédales d’accélérateur qui n’en finissent plus.

Un brin chauvin

C’est sur les faits historiques qu’il y aurait à redire. Sans spoiler, on ne s’étonnera pas que le film donne une vision très américaine des faits. Un peu comme quand Henry Ford II, montrant à Shelby ses gigantesques installations industrielles, lui dit : « croyez-vous que c’est Roosevelt qui a vaincu Hitler ? ».  Le scénario distille une bonne dose de rêve américain, un pays d’audace, de défis où tout est possible. Shelby, ancien pilote de guerre, pilote autodidacte et entrepreneur opiniâtre, en est un bon exemple, bien que l’histoire survalorise son rôle dans la conception de la GT40.

En effet, la genèse de la GT40 est également revue à la sauce américaine. La voiture a grandement bénéficié de l’expertise de l’ingénieur et directeur de course anglais John Wyer, qui avait dirigé Aston Martin au Mans, et du constructeur britannique Lola d’Eric Boradley, dont la Mk6 a servi de base au projet GT40. Aucune trace des racines anglaises du bolide dans le film qui cherche avant tout à dépeindre une success story américaine.. De la même façon, le rôle du pilote Ken Miles dans le développement de la GT40 est un brin exagéré, occultant par exemple celui de Bruce McLaren, qui n’est qu’un faire-valoir dans le film. Face à ces américains déterminés mais très cow-boys dans l’âme, les italiens sont un peu caricaturaux, entre mécaniciens expressifs qui s’enflamment très vite et des cadres Ferrari tout droit sortis du Parrain.

Shelby et Miles V. Ford

Si Ferrari est l’élément déclencheur du défi- le Commendatore est cinglant et vindicatif au possible- elle n’est plus véritablement l’enjeu principal dans la seconde partie, l’intrigue se focalisant sur un affrontement interne au sein de Ford. Shelby se heurte aux manigances du directeur de la compétition Leo Beebe (incarné par Josh Lucas, parfait en personnage cynique que l’on aime détester mais pas très fidèle au vrai Beebe), présenté comme un cadre imbu et antisportif, qui cherche à le court-circuiter et à évincer Ken Miles.  Les « costards-cravates » de Ford, adeptes des coups bas et aux ingérences insupportables, en prennent pour leur grade. Ils sont les véritables antagonistes du film, tandis que Ferrari, qui est censé être l’adversaire n°1, est relégué au second plan de l’histoire.

Ken Miles, personnage central de la narration, est un pilote impétueux et donc « gênant », pas assez « corporate », que Ford cherche à évincer, ce qui ne fut pas le cas en réalité. Miles s’est beaucoup impliqué dans l’amélioration de la voiture, mais c’est son destin tragique qui constituait une toile de fond idéale pour le scénario. L’écriture du personnage, chien fou tiraillé entre sa passion de la course et ses aspirations de mari et de père, le tout magnifié par un Bale excellent, donne au film son âme .

D’autres détails feront grincer des dents les puristes : Miles n’a pas été mis sur la touche et a bien participé au Mans 1965, Henry Ford n’est pas monté dans la GT40, FIAT n’a pas devancé Ford pendant les négociations (le groupe italien ne rachètera Ferrari qu’en 1969), la « FIA » n’existe pas en 1966 ou encore Enzo Ferrari ne s’est pas rendu au Mans.

Notre avis, par leblogauto.com

Le Mans 66 est à la fois un bel hommage au sport automobile et une histoire d’amitié forte et attachante. On pourra regretter les largesses prises avec la véracité historique et la lecture très américanisée des évènements, ce qui n’est pas très surprenant, mais la qualité de reconstitution est indéniable et l’empathie avec les personnages fonctionne totalement.

Images : 20th Fox

(17 commentaires)

  1. Excellente reconstitution des stands, du circuit et de ses abords même si certaines scènes sont un peu « survendues » (les regards à 250 km/h, les dépassements façon le premier qui freine est un lâche, etc.). Très cowboy oui.

    Très bon film en effet avec quelques réserves :
    – la 3D de certaines scènes (accidents surtout) indigente par rapport à tout le reste.
    – le coup de la boîte (elles avaient plus de 4 rapports ???) ou des accélérateurs à réserve est assez « fast-and-furioussien » dans le genre. A un moment, Miles réussit à passer de 4 en 3 tout en accélérant…
    – la non linéarité du temps est scrogneugneu….genre 6 mois font 45 minutes puis 1 an (entre 65 et 66) à peine 5…
    – la parodie des Italiens est dommage à mon sens

    Par contre les 2h30 passent rapidement. Même si la fin n’a pas de suspense pour qui connait l’histoire de l’édition 66 🙂
    Perso je le mets en dessous d’un Rush, mais quand même un bon moment.

    1. « Perso je le mets en dessous d’un Rush, mais quand même un bon moment. »
      Rien ne vaut Driven ! 😉

  2. Globalement d’accord, mais je vais rajouter quelques éléments critiques:
    -« tandis que Christian Bale, fidèle à ses interprétations très travaillées, nous livre un Ken Miles au caractère torturé, aussi attachant qu’impulsif.« oui mais deux soucis: 1)Bale prend un accent du sud aussi faux que ridicule..2)bale est trop grand, il mesure 30cm de plus que l’ original.
    -« Miles n’a pas été mis sur la touche et a bien participé au Mans 1965« . En fait c’ est pire, on passe directement de 1964 (ou miles a vraiment été évincé) à 1966. L’ absence de repères chronologiques ajoutant a la confusion.
    -« les italiens sont un peu caricaturaux, entre mécaniciens expressifs qui s’enflamment très vite et des cadres Ferrari tout droit sortis du Parrain.«  n’ oublions pas les pilotes qui ne parlent pas et semblent sortis d’ une phalange fasciste.
    -enfin le dernier soucis, c’ est la femme de miles qui l’ encourage a devenir pilote avant de faire l’ inverse tout zn nous offrant une mauvaise scène de fausse hystérie automobile.

    1. Je n’ai pu le voir en V.O, donc je n’ai pas pu juger des accents.
      Oui,les pilotes italiens, il ne leur manquait plus que le faisceau de licteur. J’ai trouvé que ça faisait un peu Vaillant contre Leader d’ailleurs.

  3. Si on accepte que c’est fait à l’américaine, et donc forcément on déforme pleins de truc, c’est très bien, après on peux toujours pinailler, perso j’ai été un peu déçu par les scènes de courses que j’ai trouvé un peu molle et bizarre (le trafique sans fin à daytona, la boite 8 vitesses), mais l’ambiance est génial.

    D’ailleurs j’ai l’impression que pour la zone du S de la foret après le pont dunlop, les scènes ont été tourné à Road America, dans la fin de ligne droite menant au virage 3

    1. Ah la boite 8 et la pédale qui a encore la moitié de sa course en bout de ligne droite. Un autre truc m’a dérangé, quand Miles décide finalement de ralentir, il rétrograde direct avant de lever le pied…ça sent pas un peu le gros surrégime ?

  4. Concernant les pilotes italiens…dans le film, la #21 est pilotée par Lorenzo Bandini….alors que c’était un Français, Jean Guichet (92 ans, toujours vivant). Pas assez zolywoudien sans doute 😀

  5. Faut toujours voir les films en VO, grrrr
    Bale n’a pas d’accent, mais en a pris un faux juste pour le film, et ça fait mal 🙁

    1. J’étais un peu perturbé en VO car je trouvais que Miles ressemblait plus à Trevor Phillips qu’à un anglais (bon faut avoir fait le solo de GTA V pour comprendre :s )

    2. « Faut toujours voir les films en VO, grrrr »
      > Vu de la Corée du Nord, ce point de vue s’entend.
      Parce que bon, c’est quand même pénible ces gens qui font exactement ce qu’ils veulent…

  6. Faut pas trop regarder la véracité mais pour les caisses, l’ambiance 60’s, ce royaume du cambouis, ce monde de la course qui n’existe plus, etc … on y passe un bon moment.
    Et on y découvre cette version du « Polk Salad Annie » de Tony Joe White revisité en instrumental par James Burton 🙂
    https://youtu.be/z7UGk1zJvFg

  7. Aucune trace de Lola, vous n’avez pas vu le même film que moi je crois… (PS: scène de réception du véhicule dans le film)

  8. la critique est aisée et l’art est difficile, si il avait fallu faire un film sur l’histoire vraie, ce métrage aurai duré 5 heures, les images de courses sont belles sans images de synthèse ,et l’histoire est certes romancée ,mais attachante et le jeu d’acteurs est formidable , cela nous change un peu de tous ces films qui nous fatiguent par des discours à n’en plus finir, bien sûr qu’il y a des invraisemblances ,comme Monsieur Ferrari qui n’est pas venu au Mans, mais les 2H30 de film passe comme une lettre à la poste pas comme Michel Vaillant ou la les invraisemblances sont sans compter.Oui je conseille a tout passionnés d’aller voir ce film en suis a 3 fois

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