Bras de fer juridique entre Michael Jordan et la NASCAR

Nascar

Si les relations entre Liberty Media, le promoteur de la F1 et les écuries semblent au beau fixe, tandis que c’est bien plus « frais » avec la FIA, la situation est encore plus compliquée outre-Atlantique entre la NASCAR, organisation régulatrice historique du plus grand championnat de stockcar du monde, et certaines équipes. Depuis fin 2024, un bras de fer juridique s’est engagé entre la NASCAR et 23XI Racing, l’écurie détenue par Michael Jordan, oui, le vrai, le king du basket.

Le principe des « charters » en débat

Depuis son introduction en 2016, le système de charte de NASCAR a révolutionné la propriété des équipes, leur offrant un actif tangible à acheter, vendre et échanger. En somme, les équipes achètent un « charter », c’est-à-dire un des 36 emplacements de voitures qui permettent de s’engager sur la grille de départ On rappelle aussi que chaque écurie peut engager le nombre de voiture qu’elle désire dans une limite de quatre.

Le système de charte était censé offrir aux équipes de la stabilité. Avant son introduction, lorsqu’une équipe de Cup fermait, elle n’avait rien de réellement précieux à vendre—juste de l’équipement obsolète et un garage rempli de pièces. Les chartes ont changé la donne, permettant aux équipes d’acheter et vendre des droits d’entrée précieux et de sécuriser une stabilité financière, même en cas de fermeture. De plus, la valeur des  « charters » a explosé depuis 2016, passant de 2 à 40 millions de dollars.

Or, en septembre 2024, la NASCAR a introduit un nouvel accord de charte, diffusé un vendredi soir à 18h30 avec comme date butoir pour le signer le jour même à…minuit, sous peine de perdre son « charter ». 13 des 15 équipes l’ont signé, un peu « le couteau sous la gorge », mais deux structures, le 23XI Racing de Jordan et Front Row Motorsports ont refusé—déclenchant ensuite un explosif procès .

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est que l’une des clauses du nouvel accord sur les charters  interdisait en effet à toute équipe d’attaquer la NASCAR en justice sur les bases d’une violation des lois anti-monopole, précisément ce que 23XI et Front Row ont fait quelques jours plus tard. 23XI et Front Row ont annoncé ne pas avoir signé le nouvel accord de franchises, que la NASCAR avait jugé obligatoire afin de pouvoir participer à la saison 2025.

Bataille judiciaire : Michael Jordan ne manque pas d’air ?

Moins d’un mois plus tard, l’attaque en justice des deux parties envers la NASCAR était rendue publique. La légende de la NBA espérait une résolution rapide au conflit, mais c’est loin d’être le cas. Fin octobre, les deux écuries se sont retrouvées avec la NASCAR pour une audience préliminaire, quelques jours après le refus par le juge d’une procédure accélérée sollicitée par les équipes à cause de l’imminence du début de la nouvelle saison. La NASCAR, dans ce cas précis, avait le temps avec elle. Les deux équipes exploitent chacune deux chartes et toutes deux cherchent à acheter une troisième charte auprès de Stewart-Haas Racing, aujourd’hui disparu, alors qu’elle cesse ses activités. Entre-temps, la NASCAR avait annoncé qu’elle émettrait 32 chartes pour 2025 au lieu de 36 habituellement, histoire d’acter déjà l’absence des deux structures pour la nouvelle saison.

Les équipes avaient fait une demande d’injonction préliminaire, leur permettant de participer à la saison à venir en tant qu’écuries franchisées, tout en poursuivant leur action en justice. Le 8 novembre dernier, les équipes avaient essuyé un refus, ce qui était donc une victoire pour la NASCAR. 23XI et Front Row expliquaient qu’un préjudice irréparable était plus que probable si elles étaient forcées de concourir en tant qu’écuries « Open », sans garantie de qualification et percevant beaucoup moins de ressources financières. Sans chartes en place pour la saison 2025, aucune garantie ne eu serait donnée quant à leur inscription à n’importe quelle manche du championnat. Les deux équipes ont ont décidé de faire appel début décembre et ont finalement obtenu l’acceptation de l’injonction préliminaire le 18 décembre 2024. Dans l’argumentation fut mis en avant que Tyler Reddick et Bubba Wallace, les deux pilotes de 23XI, auraient potentiellement pu quitter l’écurie avec leurs sponsors, ce qui rentrait dans la qualification de « préjudice irréparable ».

Un nouveau juge ayant accepté finalement cette injonction préliminaire, la NASCAR devait honorer leur engagement, les écuries étant inscrites d’office à toutes les courses et touchant le même pactole que l’ensemble des autres acteurs du championnat. De plus, chaque écurie peut désormais terminer l’achat d’une franchise de Stewart-Haas Racing, qui a cessé ses opérations à la fin de la saison 2024 et qui a donc remis en jeu deux « places ». Le cœur de l’action intentée par 23XI et Front Row repose en effet sur l’application des lois antitrust américaines, qui limitent au maximum les situations de monopole. Pour les deux écuries en litige, la NASCAR se place dans cette situation étant donné qu’elle gère les quatre séries nationales de stock-car aux USA, et qu’elle redistribue à son bon vouloir les sommes de droits télévisés notamment aux écuries, sans nécessairement les consulter.

La NASCAR contre-attaque

Loin de se démonter, la NASCAR a répliqué cette semaine en soumettant un document de 68 pages visant à faire appel de la décision en faveur des écuries 23XI et Front Row à participer à la saison 2025. A leurs yeux, pas accepter les termes d’un contrat n’est pas suffisant pour intenter une action en justice sur les bases des lois antitrust, l’organisation essayant clairement d’isoler les deux équipes et de liguer le reste du plateau contre.

« Alors que tous les autres propriétaires d’équipe qui se sont vu proposer des contrats avec ces meilleures conditions les ont acceptés, ces deux-là ont tenu bon – soulevant des inquiétudes concernant plusieurs dispositions, mais pas les décharges mutuelles », a écrit la NASCAR. « La NASCAR a fini par retirer ses offres aux plaignants et a poursuivi la planification de la saison 2025 de la Cup Series sans eux en tant qu’équipes franchisées. 23XI et Front Row se sont donc tournés vers les tribunaux, tentant de transformer la clause de renonciation standard des franchises en un atout pour obtenir tardivement, en dehors des négociations, les franchises qu’ils regrettaient d’avoir rejetées – même si aucun propriétaire d’équipe n’a jamais soulevé cette clause comme un problème au cours des deux années de négociations. N’ayant ni les faits ni la loi de leur côté, 23XI et Front Row soutiennent que l’inclusion de ces décharges standard dans leurs accords constitue une violation du Sherman Act par les instances sportives. Le tribunal de district a mordu à l’hameçon. »

La suite de l’affaire est prévue pour plus tard dans l’année. Une chose est sûre, les six voitures des deux équipes participeront au Daytona 500 ce week-end, et ne devraient pas être inquiétées pour le début de saison.

L’emprise des France, depuis les origines !

Car, au-delà du problème des charter, c’est tout le modèle économique de la NASCAR qui est remis en question par les plaintes formulées par les deux écuries dont celles de Michael Jordan. Gérée depuis ses débuts par la famille France, la NASCAR a la main sur une grande partie du système économique : elle contrôle tous les championnats (y compris le rival ARCA qui a été absorbé en 2018), la négociation des droits de diffusion, le merchandising et possède une grande partie des circuits sur lesquels le championnat se produit.

Officiellement, la NASCAR ne perçoit que 10% des revenus générés par les droits, contre 25% aux équipes et 65% aux circuits. Mais comme la NASCAR contrôle beaucoup de circuits, on estime que l’entité récolte au total plutôt 50% des revenus. Pis, le règlement technique NASCAR, très strict, a imposé aux équipes un certain nombre de fournisseurs « agréés » pour la fourniture de nombreuses pièces…fournisseurs qui sont souvent associés voire détenus en partie par la NASCAR. Bref, la NASCAR génère beaucoup d’argent même si les audiences ont baissé depuis quelques années, mais les équipes n’en touchent que la portion congrue. Plusieurs équipes ne dégagent aucun bénéfice et ont même fait faillite ces dernières années, dont l’emblématique Stewart Haas qui a fermé ses portes fin 2024. En somme, les écuries dénoncent une situation de monopole de la NASCAR qui violerait ainsi les lois anti-trust.

Selon certains spécialistes, si 23XI et FRM gagnent leur affaire, la NASCAR risque fortement de supprimer complètement le principe des charters, plutôt que d’être contraint à renégocier. Cela pourrait avoir de lourdes répercussions. On imagine bien que la NASCAR va essayer de fédérer les autres équipes contre les deux « vilains petits canards ». Essentiellement, NASCAR présente l’équipe de Jordan comme un cas isolé, une entité rebelle peu disposée à respecter les règles. Pendant ce temps, d’autres propriétaires d’équipe—dont beaucoup n’étaient pas ravis du nouvel accord—sont maintenant contraints de choisir leur camp. Le propriétaire de Hendrick Motorsports Rick Hendrick a reconnu la tension, déclarant, “Tout le monde n’était pas content. Mais dans toute négociation, vous n’obtiendrez pas tout ce que vous voulez.”

C’est une lutte de pouvoir évidente qui est en jeu actuellement. La NASCAR jusqu’à présent semble indétrônable dans sa mainmise, encore plus forte que ce que la FOM de Bernie Ecclestone exercait sur la F1. On a vu que le renouveau de la F1 est venu du fait que la discipline est devenue rentable pour toutes les équipes, et c’est cela qui a attiré de nouveaux investisseurs. Sans équipes viables économiquement, pas d’avenir !

Un commentaire

  1. « diffusé un vendredi soir à 18h30 avec comme date butoir pour le signer le jour même à…minuit »: 🤣non mais sans rire

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