Au final le classement, très serré, s’établissait comme suit.
Classement LMP1 :
- Toyota TS050 n°8 – S.Buemi / A. Davidson / K. Nakajima – 6h00’11
- Toyota TS050 n°7 – M. Conway / K. Kobayashi – 6h00’13
- Porsche 919 n°2 – T. Bernhard / E. Bamber / B. Hartley – 6h00’47
- Porsche 919 n°1 – N. Jani / A. Lotterer / N. Tandy – 6h01’37
- Toyota TS050 n°9 – S. Sarrazin / Y. Kunimoto / N. Lapierre – 2 tours.
La lutte n’était pas moindre en LMP2. On a assisté à l’émergence de trois autos au-dessus du lot de l’ORECA 07 N°26 du G-Drive avec Roman Rusinov, Pierre Thiriet et Alex Lynn victorieuse avec plus d’une minute d’avance sur l’ORECA 07 N°31 la Vaillante Rebellion de Julien Canal, Nicolas Prost et Bruno Senna et l’ORECA 07 N°38 du Jackie Chan DC Racing d’Ho-PinTung,Oliver Jarvis et Thomas Laurent, troisième.
En GT Pro, la lutte fratricide des deux Ferrari AF Corse, dominant les Ford UK, donna des sueurs froides au manager Batti Pregliasco. Après un mano a mano spectaculaire et prolongé, finalement, la N°71 de Sam Bird et Davide Rigon s’est imposée devant la N°51 de James Calado et Alessandro Pier Guidi, laissant à la Ford GT N°66 de Stefan Mücke, Olivier Pla et Billy Johnson, la troisième place.
EN GT Am la seule Aston Martin N°98 de Pedro Lamy, Mathias Lauda et Paul Dalla Lana a pris nettement l’avantage sur la concurrence non résignée de la Porsche 911 RSR Dempsey-Proton de Christian Ried, Marvin Dienst et Matteo Cairoli et dans une moindre mesure, de la Ferrari du Clearwater Racing de Weng Sun Mok, Keita Sawa et Matthew Griffin.
Après ce rappel des grandes lignes de la course, suivie par un public, nombreux et enthousiaste, nous allons tenter de dresser un tableau impressionniste de cette épreuve si particulière et si importante dans la saison de ce championnat du monde WEC.
Pour préparer Le Mans
Le circuit des Ardennes, dans son cadre vallonné avec son célèbre raidillon, ses virages rapides et son tracé au milieu des sapins, est souvent cité comme un circuit « d’hommes ». Dans ces conditions l’on pouvait bien penser que ce n’était pas un cadeau que les responsables du Toyota Gazoo Racing faisait au jeune pilote Yuji Kunimoto,en lui permettant, samedi dernier à Spa, de débuter sa collaboration en vue des 24 heures du Mans.
Il faut dire que nécessité fait loi. Pour tester en situation la définition du kit aérodynamique avec appuis réduits en vue du Mans, le staff avait engagé une troisième voiture dans cette course. Sur cette N° 9, les experts – Nicolas Lapierre et Stéphane Sarrazin – étaient désignés pour encadrer le « jeunot », en lui prodiguant moult conseils, tout en étant chargés également de collecter toutes les informations nécessaires pour optimiser les réglages.
A ce sujet, avant le départ de la course, Stéphane Sarrazin, toujours aimable et disponible, nous précisait :
« Nous sommes sur la voiture en configuration Le Mans. Nous sommes vraiment là pour préparer les 24 heures. Yuji va débuter sa première course en WEC. Avec Nico on va essayer de lui apporter tout ce qu’on a pu apprendre. On verra en course comment les choses se passeront, mais on est vraiment ici pour préparer Le Mans, c’est notre objectif principal. Notre grande expérience doit d’abord servir à aider notre équipier, sur la N°9. »
Les choses semblaient donc très claires chez Toyota, comme nous l’indiquait d’ailleurs Sébastien Buemi, souriant et affûté :
« Ici c’est comme une répétition générale avec trois autos engagées, comme ce sera le cas au Mans. Etant en tête du championnat, ça n’a pas uniquement une répétition, puisqu’on veut marquer des points. Ici, seule la troisième voiture est en configuration Le Mans, donc on aura une vision à la fin de la course de ce qui va mieux ou moins bien, l’objectif c’est bien de préparer au mieux Le Mans. »
Il est évident que cette victoire au Mans, qui leur échappé de la manière la plus injuste et la plus brutale, l’an dernier, toute l’équipe Toyota en fait une quasi obsession. Porsche, seul opposant cette saison n’entend pas laisser le champ libre. Les allemands étaient justement à Spa avec leurs deux autos en configuration ‘faibles appuis’.
La confrontation entre les deux constructeurs fut sévère, sans relâche du départ jusqu’au drapeau à damier. Le sprint échevelé dura tout au long de la course, un régal.
L’endurance : un sprint de 6 heures
On le sait tous, dans les courses d’endurance ce sont souvent le choix des pneumatiques et la stratégie adoptée en fonction de l’état de la piste, qui font la différence au classement final, tant les autos sont proches en performances. Lors de ces 6 Heures, seule une légère humidité apparut sur certains secteurs en fin de course, qui ne nécessita aucun changement.
En fait, ce furent les ravitaillements effectués ou non sous régime de drapeau jaune, qui jouèrent le rôle d’arbitre dans la confrontation avec en plus et surtout peut-être, la touchette effectuée par B. Hartley (Porsche N°2) sur l’Alpine N° 36 de Romain Dumas, qui fit basculer définitivement la victoiredans le camp Toyota.
Paradoxe que nous confirme Sébastien Buemi, ça n’est pas la Toyota la plus performante qui gagne, écoutons-le nous déclarer :
« Nous n’étions pas les plus rapides, la N°7 l’aurait vraiment mérité, cette victoire, mais ils ont perdu tellement de temps lors des Full Course Yellow, et nous en avons gagné tellement. Nous n’avons jamais eu le rythme depuis jeudi, donc c’est assez impressionnant de réussir à gagner sans avoir été les plus rapides. Nous avons eu un peu de chance. Je pense que nous avions les bons pneus au départ, mais je n’étais pas suffisamment rapide, et Mike Conway l’était vraiment. »
Effectivement, nous avons été frappés par le sens de l’attaque de l’anglais, à l’assaut en permanence avec une auto apparemment d’une stabilité exemplaire et pilotée par un garçon au culot monstre et à la vista impressionnante, qui déclarait, fataliste :
« En première partie de course, nous étions rapides et nous avons réussi à construire une belle avance, mais nous avons payé cher les deux Full Course Yellow, à chaque fois au mauvais moment. Nous contrôlions les choses devant, c’est juste un peu de malchance. Nous avons tout donné, même à la fin, c’était très serré, mais c’est la course. »
Les images des dépassements des LMP1 incisives à souhait et ne cessant de « flasher » les autres concurrents, soulevaient l’admiration des nombreux buveurs de bière fixant les écrans géants ou postés le long des quelques 7 kilomètres du circuit. En plus, il faut bien dire que les LMP2 de cette saison, à tout le moins les trois premières, n’avaient rien à envier en termes d’audace de leurs pilotes, notamment Bruno Senna et Nicolas Prost sur la Vaillante N°31 ou l’équipage R. Rusinov, P.Thiriet et A. Lynn sur la N° 26. La cavalcade multicolore et vrombissante lancée à l’assaut du raidillon ou déboulant de la Source était de nature à vous donner quelques frissons. On admirait la vista des pilotes pour lancer leur auto dans un trou de souris et pour les moins rapides,on imagine bien comment ils étaient autant à l’affût de la lecture des images de la caméra arrière, que de la vision de la piste s’ouvrant ou se bouchant devant eux, au gré des dépassements. Quelques figures eurent lieu, mais sans gros dommages, heureusement.
Nous avons été un peu agacés par les incessantes interventions de la direction de course à propos du non-respect des limites de course avec avertissement, puis sanction chronométrique. De même les pénalités ou injonctions concernant les liaisons télémétriques ont perturbé bien des teams. Cet interventionnisme sportif à priori trop formel visant sans doute à pimenter les retransmissions télévisuelles ne sert pas forcément au mieux la discipline de l’Endurance.
Des procédures à appliquer
Par une observation privilégiée tant dans le stand Alpine, que chez Toyota nous avons retenu quelques éléments de compréhension du fonctionnement huilé et efficace de ces teams.
Dans les deux cas, on peut dire que toute action est protocolisée. Des procédures sont à appliquer de manière rigoureuse pour chaque type d’intervention avec des personnes désignées, des mouvements et des emplacements répétés et repérés. Rien ne doit être réalisé dans l’improvisation, si tel était le cas ce serait une faiblesse coupable. Toyota avait le souci de vérifier que la troisième équipe de mécaniciens, qui montaient « au feu » pour la première fois avait bien en tête les divers protocoles d’intervention. Alpine faisant débuter sa seconde voiture seulement à l’occasion de Spa validait également sa seconde équipe déjà en partie constituée en 2016.
Des deux côtés, on a pu constater que selon les relais, soit un nettoyage complet du pare-brise était effectué énergiquement, soit on enlevait un film plastique comme on le pratique sur les visières de moto, par exemple.
Nous avons été surpris de voir chez Toyota, 10 minutes avant le ravitaillement d’une voiture, toute l’équipe d’intervention invitée à se réunir dans le fond du stand. Aux ordres d’un coach sportif, chacun est incité à exécuter des mouvements de « dérouillage » des muscles et d’assouplissement, avant d’aller se concentrer individuellement en attendant l’arrivée de l’auto. De la même manière, les pilotes sont gérés et contrôlés pour ce qui concerne leur temps de repos, leur préparation à partir en piste, alors qu’ensuite ils sont reliés par radio au team mais réalisent toutes les procédures de mise en route en tout électrique pour les Toyota, selon un ordre mainte fois répété, avec la possibilité de passer à une procédure exceptionnelle en cas de problème.
La fiabilité des transmissions constitue forcément un souci majeur. Dans les deux cas, les réseaux sont complexes et doublés en raison de la mauvaise propagation des ondes dans ces vallons boisés.
Sur les autos elles-mêmes l’électronique règne en grande prêtresse, gare au loupé, il faut repasser par le reset et relancer… la procédure.
Connaitre et appliquer les procédures, effectuer les changements de pneus aux moments opportuns, aller le plus vite possible avec l’allocation de carburant autorisée, respecter les consignes du stand, trouver sa voie dans le trafic sans augmenter le temps au tour préconisé et ainsi tenir ces imposées durant plus de 90 minutes d’affilée, voilà ce à quoi étaient soumis les pilotes vainqueurs, et les autres d’ailleurs.
On le voit, gérer tous ces paramètres demeurent une équation toujours délicate à réussir, quand en plus on constate les moyennes réalisées en augmentation sensible cette saison, on imagine assez bien à quel niveau d’entrainement les pilotes doivent se hisser pour nous offrir un spectacle aussi enthousiasmant que celui qu’il nous a été donné de suivre samedi en Belgique. Cela donne déjà envie de retrouver cette élite mondiale, dont l’effectif sera quasiment doublé au Mans.
Alain Monnot
Photos : Toyota et Alain Monnot