WEC 2015 : Interview de l’équipage de la Toyota TS040 numéro 1

Lorsque l’on s’entretient avec eux, on s’aperçoit très rapidement que les pilotes au plus haut niveau de l’endurance ont un certain nombre de points communs qui ne relèvent pas du hasard : intelligents, analytiques, affables et pédagogues… Des qualités au-delà de la pointe de vitesse nécessaire mais non suffisante en endurance où la réflexion, la capacité à garder la tête froide et à travailler en groupe sont tout aussi indispensables. Les trois sociétaires de l’écurie Toyota que nous avons interrogé ne dérogent pas à la règle.

Le blog auto : Bonjour et merci de nous accueillir. Comment aborde-t-on la saison en sachant que la voiture porte le numéro Un ?

Sébastien Buemi : C’est une très bonne chose pour tout le team, pour se mettre en confiance. C’est un rappel, une preuve que si on travaille bien on est capable de gagner.

Le blog auto : En LMP1 chacun des constructeurs a une voiture différente en terme d’approche et de technologie employée. Après une saison avec le nouveau règlement, êtes-vous convaincus que c’est la solution de Toyota qui est la meilleure, ou avez-vous peur de que peuvent développer les concurrents ?

Anthony Davidson : On n’a jamais peur de nos concurrents mais il faut toujours s’en méfier, quels que soient leurs choix en terme de technologie. Nous avions la meilleure voiture la saison dernière et on peut espérer que cela va se poursuivre cette année, mais on ne sait jamais ce que vont pouvoir faire les autres. Il faut attendre de pouvoir se comparer. Nous ne sommes que les pilotes, et nos ingénieurs ont sans doute une meilleure idée du potentiel, mais ce que l’on peut dire pour le moment après les premiers essais est que la nouvelle voiture a déjà l’air très bien.

Sébastien Buemi : Il ne faut pas oublier que le règlement est sous le contrôle de l’ACO et de la FIA. Si l’un des concurrents, par exemple si les moteurs diesel, ou essence, se retrouvent tout à coup avec un avantage considérable, le règlement évoluera pour rétablir l’équilibre. Personne ne se retrouvera soudain complètement à la rue. J’étais vraiment impressionné l’année dernière quand nous sommes arrivés à Silverstone et que les trois constructeurs étaient dans le même dixième alors que l’un avait un quatre cylindres turbo, l’autre un diesel, nous avec notre V8 atmo… Jusqu’à présent le règlement fonctionne bien. Ils ont fait un bon travail. C’est différent de la Formule Un où le règlement fait que toutes les voitures se ressemblent, où ils ne peuvent plus toucher aux moteurs, où tout est plus ou moins similaire chez tout le monde.

Le blog auto : Maintenant une question pour Sébastien et Kazuki. Tous les deux en plus du LMP1 vous évoluez en monoplace [NDLR : Formule E pour Buemi, Super Formula pour Nakajima]. Est-ce important pour un pilote de pouvoir courir dans une série en équipage et dans une autre en monoplace ?

Sébastien Buemi : Je ne sais pas ce qu’en pense Kazuki mais comme le WEC n’a que huit épreuves dans la saison, ça laisse du temps pour faire autre chose si on le désire. La Formule E est nouvelle et ne peut pas être comparée à la Super Formula, mais c’est intéressant, il y a des choses à apprendre. Le plus important est de faire les choses bien. Si on en fait trop et qu’on le fait mal, ça n’a pas d’intérêt, mais si on se prépare bien on peut faire les deux bien, cela permet au pilote d’acquérir de l’expérience.

Kazuki Nakajima : Je suis d’accord. Cette année je fais le WEC et la Super Formula. Il n’y a pas de conflit de date entre les deux championnats, je peux me concentrer sur les deux pour gagner. Plus on roule, plus on court et plus on acquiert de l’expérience. Evidemment la Super Formula est différente de l’endurance parce tout est ramené à un seul pilote. Il y a même plus de pression à cause de ça. Il faut se battre contre de très bons pilotes, et la voiture est très rapide, plus rapide que les F1 en virage même, donc cela demande de rester au top de sa forme physique.

Anthony Davidson : Je suis toujours jaloux de Kazuki qui court en Super Formula ! Les voitures sont belles, rapides, et vous pouvez voir les roues, quelque chose qui me manque en Sport proto, que j’aime aussi bien sûr. Il a raison, plus de temps passé dans le cockpit quel qu’il soit vous rend plus affûté.

Sébastien Buemi : Et on fait plus de départs, plus d’arrêts au stand…

Le blog auto : Ces dernières années, il y a moins de distance entre l’Endurance et les autres catégories majeures du sport auto, il y a plus de passerelles. Comme avec vous, ou la saison dernière avec l’arrivée de Mark Webber, ou Nico Hulkenberg cette année.

Sébastien Buemi : L’endurance est devenue très professionnelle. Quand on arrive de la F1 c’est important de garder le même type d’environnement. Et les voitures sont impressionnantes, donc ce n’est pas étrange de voir des pilotes de F1 nous rejoindre. Et des jeunes pilotes arrivent aussi directement, donc le niveau est de plus en plus élevé, il faut donner son maximum. Désormais les courses sont du sprint pur, même Le Mans.

Kazuki Nakajima : Aux 24 heures du Mans on est à fond pendant 24 heures.

Sébastien Buemi : C’est ça, à fond. La première année, on nous a dit de faire attention, de ne pas trop attaquer les bordures, mais l’année dernière plus rien de tout ça. Pour des jeunes pilotes qui arrivent de la monoplace, il n’y a plus vraiment de différence.

Anthony Davidson : L’année dernière au Brésil, nous n’étions qu’à quatre secondes des F1 quelques semaines avant. En dehors du fait d’avoir un toit sur la tête, il n’y a plus beaucoup de différences fondamentales entre les deux. Le ressenti est de plus en plus similaire, elles se conduisent de la même façon, avec la même mentalité. D’ailleurs si vous regarder une LMP1 sans sa carrosserie, c’est essentiellement la même chose qu’une F1…

Le blog auto : Toujours au sujet du pilotage d’une LMP1. L’année dernière un pilote d’une équipe concurrente nous avait confié en début de saison que la façon de piloter les autos, à cause de la limite de consommation à respecter, était devenue complexe pour pouvoir en tirer le maximum. Est-ce qu’après une saison complète vous avez intégré ce pilotage et pouvez-vous aller chercher la limite plus efficacement ?

Anthony Davidson : Oh oui, on est au maximum tout le temps. La coupure d’alimentation arrive automatiquement en fin de ligne droite. Ca fait partie du tour. C’est comme une zone de freinage, c’est quelque chose qu’il faut respecter. La coupure d’alimentation est comme un pré-freinage. On l’intègre dans le rythme du tour, ça devient comme une seconde nature. En remontant pour la première fois dans la voiture cette année, ça ne m’a même pas effleuré l’esprit, on s’y est habitué. Il ne faut pas penser qu’on n’est pas au maximum à cause de ça. On est toujours au maximum, c’est juste un petit trou de puissance en fin de ligne droite.

Sébastien Buemi : Quand ça a été introduit pour la première fois l’an dernier, on pensait que ce serait un problème. On pensait que ce serait mauvais, dangereux même, mais à la fin de la saison, on n’y pensait plus.

Anthony Davidson : En fait c’est bien si c’est encore un problème. Parce que ça oblige les constructeurs à créer de meilleurs systèmes hybrides, des groupes propulseurs plus efficaces.

Sébastien Buemi : Ca nous pousse à vouloir faire des progrès pour nous en débarrasser. C’est vrai qu’au départ, ce n’était pas bon, on avait l’impression que la FIA était allée trop loin, mais maintenant ce n’est plus le cas.

Anthony Davidson : Ca s’améliore en permanence. On envisage un point auquel il n’y aura plus besoin de coupure d’alimentation. C’est une motivation. On sera un jour capable de rouler à 100% avec la même consommation.

Le blog auto : Est-ce que la voiture se comporte toujours de la même façon qu’au départ ?

Sébastien Buemi : Non ! Quand on est arrivé à Silverstone, on pensait avoir besoin de beaucoup d’appui aéro pendant toute la saison, sauf au Mans. Mais on s’est aperçu rapidement que beaucoup d’appui voulait aussi dire beaucoup de trainée et beaucoup plus de consommation, donc on a changé d’approche en cours de saison pour adopter l’aéro faite pour le Mans sur tous les circuits, simplement avec les ailerons plus braqués.

Anthony Davidson : On a énormément appris en terme d’efficacité la saison dernière. Et si on a appris, vous pouvez être sûr que c’est la même chose chez Audi et Porsche. C’est l’idée de base. On fixe un cadre et une direction, et on laisse les constructeurs travailler et progresser.

Kazuki Nakajima :  C’est incroyable à quel point la voiture s’est améliorée en cours de saison.

Sébastien Buemi : Tout a évolué en même temps, la technique, la réglementation. Pour un pilote c’était vraiment bien de sentir cette progression permanente.

Anthony Davidson : Et la compétition s’est améliorée aussi ! Au Brésil tout le monde comprenait son système tellement mieux, nous avons eu un duel fantastique avec Porsche. On s’est battu tout au long de la course. On a aussi utilisé les coupures d’alimentation ! C’était à différents points du circuit entre Porsche et nous, cela a rendu la course passionnante, encore plus intéressante que si on ne l’avait pas. Il fallait comprendre et anticiper où l’autre gars l’aurait… J’adore ça !

On aurait aimé continuer cette conversation pendant plus longtemps que le quart d’heure réglementaire, mais le programme des trois hommes pour la journée était minuté. Nous les remercions de nous avoir consacré une partie de leur temps précieux et leur souhaitons une bonne saison 2015.

En tout cas, il est clair que la catégorie LMP1 a trouvé sa voie et que, riche des enseignements de 2014, la compétition promet d’être grandiose. Vivement Silverstone !

Photo : Toyota

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