On trouve des prototypes de voitures électriques dés la deuxième moitié du XIXe siècle. L’époque est marquée, il est vrai, par l’apparition de l’électricité et un besoin de nouveaux modes de locomotion. Il semble donc logique que des inventeurs cherchent à créer des véhicules électriques. Néanmoins, les voitures, qu’elles soient électriques, à vapeur et plus tard, thermiques, restent des objets uniques. Des inventions isolées et sans lendemain.
En 1886, Gottlieb Daimler et Karl Benz sont les premiers à vouloir industrialiser leurs inventions. La vapeur et l’électrique tentent eux aussi d’intégrer le mouvement. Au tournant du siècle, électrique et thermique sont au coude-à-coude. Ce n’est pas un hasard si le premier véhicule à atteindre les 100km/h, la Jamais Contente, est une électrique. Cette propulsion a pour elle une certaine simplicité mécanique qui la rend fiable. Alors que les premiers moteurs thermiques, desservis par un allumage et une alimentation archaïque, tombent souvent en panne. L’électrique a la main sur les utilitaires : ils sont plus coupleux et peuvent transporter davantage de matériel.
Aux Etats-Unis, face à l’invasion des voitures européennes, le gouvernement sort le brevet d’un certain Georges B. Selden. Cet avocat a en effet déposé un brevet plus ou moins fumeux sur le moteur à combustion et l’automobile. Ainsi, chaque constructeur souhaitant vendre aux Etats-Unis doit payer une obole à Selden. Les importations sont stoppées net. Quant aux constructeurs américains, beaucoup choisissent de s’orienter sur l’électrique. D’où une profusion de modèles et une amélioration des caractéristiques. Plusieurs hommes tentent d’attaquer Selden. Henry Ford y arrive, en 1911. Le verrou saute et le thermique décolle. Ford lui-même songera à un projet de voiture électrique, avec son ami Thomas Edison. Les constructeurs spécialisés (Baker, Detroit Electric…) tentent alors de toucher une clientèle féminine: il n’y a pas de manivelle, donc pas besoin d’un coup de rein pour démarrer! Mais la généralisation du démarreur électrique tue cette dernière niche. Le moteur électrique perd la première manche.
Le thermique fait des progrès formidable dés les premières années. Grâce aux efforts de plusieurs dizaines de constructeurs et d’équipementiers, il gagne en puissance et en fiabilité. A contrario, l’électrique n’a pas eu son « Gottlieb Daimler » ou son « Robert Bosch ». Malgré les efforts des Américains, les performances plafonnent. L’électrique revient dans les années 30. Dans cette période trouble, les états veulent être autosuffisants. La France n’a pas de pétrole sur son territoire (il ne sera découvert que bien plus tard en Algérie.) D’où une tentative pour pousser l’électrique, baptisé « le carburant national ».
Pendant l’occupation, l’ingénieur Jean-Albert Grégoire produit en petite série la CGE Tudor, sur base Amilcar. Peugeot lance la voiturette VLV. Néanmoins, après la guerre, les études sont jetées aux orties. Pourquoi s’embêter avec les lentes voitures électriques, alors qu’on aura indéfiniment du pétrole pas cher?
En 1973, la crise du pétrole frappe les consciences. D’autant plus qu’au même moment, l’état américain se préoccupe d’environnement et d’émissions de CO2. Les projets fleurissent à droite et à gauche. Victor Wouk, co-auteur de la Dauphine Kilowatt, construit plusieurs prototypes. Plusieurs indépendants tentent l’aventure. Amectran, le plus sérieux, fera long feu.
Finalement, les constructeurs préfèrent pousser le diesel, alors perçu comme une énergie économe.
L’électrique revient dans les années 90. En France, le Ministère de l’Environnement veut favoriser leur achat. Malgré les subventions, les poussives Citroën AX et Saxo, Peugeot 106 et Renault Clio -toutes produites par Heuliez- ne convainquent pas. Seules les administrations les achètent. La Californie veut imposer des quotas d’électriques par constructeurs. En prévision de cette loi, plusieurs acteurs lancent des électriques. Si Toyota se contente d’électrifier son Rav-4 et Ford, une Escort Courier, GM profite de son savoir-faire acquis dans l’électronique militaire pour lancer l’EV-1. La particularité est que toutes ces voitures sont louées et non vendues. Les ventes sont décevantes. Les Américains n’ont pas confiance en l’électrique et les voitures sont trop chères. Les lobbys pétroliers sabordent le projet de loi et en 2002, les constructeurs annulent les contrats de leasing. Les locataires assistent impuissant à la saisie, puis à la destruction de leurs véhicules.
On reste aux Etats-Unis pour le quatrième sursaut de l’électrique. Vers 2007, le prix du baril flambe. Les mouvements millénaristes parlent d’une tendance durable, due à la raréfaction du pétrole. De nouveau, les Américains paniquent. De nouveau aussi, des indépendants tentent de produire ou de transformer des électriques: Zap, Aptera, Phoenix, eBox… Grâce aux téléphones portables, on sait faire des batteries plus petites et plus légères. Ils sont reçus en grande pompe par George W Bush (qui n’a pas une réputation d’écolo dans l’âme…) La crise financière de 2008 sera fatale à beaucoup d’entre-eux. Seul Tesla et Fisker survivront.
En Europe, la Grande-Bretagne rétabli les péages urbains, tandis que la France met en place le bonus/malus écologique. Les constructeurs européens se tâtent. Comment réduire les émissions de CO2? L’électrique n’est qu’une solution évoquée, parmi les biocarburants, l’hydrogène ou le GNV. Renault s’associe à l’Israélien Better Place et présente toute une gamme d’électrique.
Au Japon, Mitsubishi et Subaru font rouler de grandes flottes de kei électrifiées. Mitsubishi produit la sienne, l’E-Miev et la vend en l’état à PSA. Quant à Subaru, racheté par Toyota, il est prié de mettre en veilleuses ses recherches (pour ne pas gêner les hybrides de son grand frère.) Nissan lance la Leaf, qui est élue voiture de l’année avant même sa mise en production! En Chine, il y a beaucoup d’effet d’annonces. Seul Byd produit effectivement son monospace e6. Hélas, un véhicule de test prend feu lors d’un accident de la route et depuis, sa réputation est écornée.
Est-ce qu’aujourd’hui, on aperçoit enfin « le » lancement de l’électrique? J’ai personnellement rencontré nombre d’acteurs (constructeurs, concessionnaires, loueurs, journalistes, militants écologistes…) Devant les micros, beaucoup tablent sur plusieurs milliers de ventes annuelles et un déploiement rapide de l’électrique… Mais en « off », le discours est tout autre. L’électrique n’attire aujourd’hui qu’une micro-niche.
Avec 130 ans de développement continu, le moteur thermique est très abouti. Pour 15 000€, vous pouvez avoir une berline confortable, qui peut loger 5 personnes et parcourir 1400km avec un plein. A contrario, les voitures électriques sont plus chères, spartiates (pour gagner du poids) et elles dépassent rarement 40km en utilisation réelle. Les acteurs sont d’autant plus pessimistes que le secteur vit grâce à la perfusion des subventions et avec l’argument du « plein » à 1€. Or, dans un contexte de crise, on peut très bien imaginer que l’UE supprime les subventions. Quant à l’électricité, nul doute que l’état l’augmentera le jour où les revenus de la TIPP baisseront. La seule perspective « rose » est l’arrivée de batteries moins chères à moyen-terme.
Jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de voiture électrique produite en très grande série. Les prévisions sont donc de l’ordre de l’incantatoire. Le seul exemple valable est celui des hybrides. Il a fallu près de 10 ans à Toyota pour qu’il gagne de l’argent avec. Et ce n’est qu’après une quinzaine d’années et trois générations, que l’on obtient des véhicules offrant les mêmes prestations qu’une thermique « normale ». De la même façon, il faudra au moins deux générations pour que l’électrique entre dans un cycle vertueux d’économies d’échelle. Avec le risque pour les constructeurs qu’en attendant chacun attende que le voisin en achète une et essuie les plâtres avec…
Crédits photos: Citroën (photo en une, photos 11 et 17), Porsche (photos 1 et 20), Ford (photo 2), GM (photos 3 et 13), Daimler (photos 4, 10, 12 et 18), Bugatti (photo 5), Peugeot (photo 6), Audi (photos 7 et 19), BMW (photos 8 et 22), Renault (photos 9 et 27), Mazda (photo 14), Tesla (photo 15), Subaru (photo 16), Nissan (photo 21), Roewe (photo 23), Chrysler (photo 24), Byd (photo 25), Trophée Andros (photo 26)
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