Réflexion : faut-il une femme en F1 ?

F3, Auto GP, Formule Renault… Non seulement on voit de plus en plus de femmes dans les paddocks, mais on en voit de plus en plus sur les podiums ! Quid du sommet de la pyramide, la F1 ? Y verra-t-on bientôt une femme sur la grille de départ ? Ou bien faut-il attendre que l’une d’elles perce réellement ?

La dernière femme à avoir tenté de se qualifier en F1, c’était Giovanna Amati, en 1992. Après plusieurs non-qualifications sur Brabham, elle a laissé tomber. Depuis 10 ans, on a régulièrement vu des femmes lors d’essais privés. Susie Wolff a même eu droit à un « vendredi » avec Williams (photo en une.)

Reverra-t-on une femme en F1 ? Au début, ce n’était qu’une lubie politiquement correcte. Bernie Ecclestone voulait « moderniser » la F1 (et surtout, conquérir l’audience féminine.) Ce même Ecclestone qui, lorsqu’il dirigeait Brabham, avait donné sa pire voiture à Lella Lombardi (ce qui ne l’avait pas empêchée d’attraper un demi-point.)

Mais aujourd’hui, force est de constater qu’il y a de plus en plus de femmes pilotes. Et elles ne font pas que poser en bikini sur des AC Cobra… N’en déplaise aux ronchons, les femmes savent aller vite. Pas besoin de remonter à Michèle Mouton ! Le week-end dernier, Ayla Agren s’est imposée en F1600, à Mid-Ohio. Le week-end précédent, Michaela Cerruti remportait une course d’Auto GP à Imola, tandis que Mikaela Åhlin-Kottulinsky gagnait l’épreuve de Scirocco R-Cup du Norisring. Et il y a 15 jours, à Zhuhai, Naomi Schiff s’offrait un doublé en Clio Cup China, tandis qu’Alice Powell s’imposait en Asian Formula Renault ! Ainsi, depuis plusieurs week-ends, une jeune femme remporte une épreuve circuit.

Méritent-t-elles pour autant d’aller en F1 ?

Non, elles n’ont pas (encore) leur place en F1

Le souci, c’est que si on regarde ces performances, ce sont souvent leurs seules victoires de la saison, voir de leur carrière en automobile. Les victoires féminines sont souvent obtenues dans des circonstances exceptionnelles : grille inversée (Michaela Cerruti en Auto GP et en début d’année, Tatiana Calderòn en Florida Winter Series), course tronquée (Beitske Visser en Formel Masters, l’an dernier), etc. Danica Patrick elle-même a remporté l’épreuve d’Indycar de Motegi 2008 en menant lors des ultimes tours. Alice Powell a remporté la Formula Renault BARC 2010, mais c’était à l’époque où il y avait une FR 2.0 UK « tout court » pour les pros. On peut également relativiser la domination actuelle de Naomi Schiff en Clio Cup China, face à des troisièmes couteaux.

Ces espoirs féminins n’ont jamais confirmé leurs succès. La peu véloce Milka Duno aime bien rappeler qu’elle a effectué davantage de tours en tête, en Indycar, que Patrick. Visser a été recrutée par Red Bull (une première pour une femme.) Le limonadier lui a offert des moyens (essais privés, simulateur, travail psychologique, musculation…) sans aucune mesure avec les autres pilotes de Formel Masters. Elle a pourtant terminé en milieu de classement et a été licenciée sur le champ. TrueCar voulait soutenir uniquement des femmes, en monoplaces US. Ses différentes pouliches (Katherine Legge, Shannon McIntosh, Ashley Freiberg…) se sont liquéfiées et il a dissout la filière. Quant à Alice Powell, elle a été incapable de battre les amateurs de la F3 Cup, en 2013.

On est loin de parcours météoriques à la Lewis Hamilton ou à la Sébastien Vettel. Les Cerruti, Powell ou Visser ne figurent pas parmi les grands espoirs de la F1. Doit-on amener n’importe qui en F1 ? Susie Wolff n’a qu’une poignée de podiums en FR 2.0 à son actif. Si elle n’était pas une femme (et si son mari n’avait pas été actionnaire de Williams), elle n’aurait jamais piloté lors de « libres ». Pour infos, lors de son unique tour lancé, elle a roulé en 1’44″212. A comparer aux 1’42″261 de Robin Frijns, l’autre débutant du jour, avec une Caterham. Et surtout, du 1’39″461 de Felipe Massa avec l’autre Williams. Le risque est grand d’avoir une pilote dangereuse pour les autres et pour elle-même (cf. Pippa Mann, qui a terminé toutes ses courses d’Indycar dans le mur.)

Le désir d’avoir une femme, quelle qu’elle soit, dépasse l’entendement. Chelsea Angelo a été invitée en grande pompe au Grand Prix d’Australie, après une unique participation en F3 (ci-dessous.)  Et puis, ce favoritisme systématique crée des tensions. Politiquement correct oblige, on peut difficilement critiquer les femmes sans subir un déluge de feu. Le critique est forcément machiste, point. Dans le cas de Danica Patrick, le paddock s’est senti humilié. Après des années à serrer les dents pour protéger la chouchoute, elle signe en Nascar ! Il n’y avait pas grand monde à son pot de départ…

Après tout, il faut laisser du temps au temps. D’une part, les femmes citées plus haut ont encore une marge de progression. Elles pourront glaner davantage de podiums, donc de légitimité à postuler en F1. De plus, vu que chaque année, il y a davantage de débutantes, dans le lot, il y en aura bien une qui sera incontournable.

Oui, car elles doivent tracer la voie

La question de la légitimité est un faux procès. La vitesse de pointe n’a jamais été un critère de sélection en F1. On a vu passer quantité de pilotes au palmarès inexistant. Les Narain Karthikeyan, Riccardo Teixeira, Ma Qing Hua, Nicolas Prost et autres Alex Fontana sont « rapides comme Crésus », pour reprendre l’expression d’Olivier Panis. Les Young Drivers’ tests servent surtout, pour les écuries, à louer à prix d’or leurs voitures plutôt que d’être un moyen de faire éclore des talents. Surtout, personne ne s’offusque de voir en F1 un pilote au parcours quelconque. Tandis que le champion 2013 de GP2, Fabio Leimer, attend désespérément que le téléphone sonne (il n’a fait que les 24 heures du Mans depuis.) Susie Wolff et Simona de Silvestro ne seraient pas pires que d’autres…

Dans le sport auto, il y a eu un vrai « effet Danica ». Elle a donné envie à de nombreuses jeunes filles (y compris en Europe, en Amérique latine et en Asie) de sauter le pas. Elle a également changé les mentalités d’écuries et de sponsors. Ils ne voient plus les jeunes filles avec condescendance ; ils les considèrent comme des gagnantes potentielles. Il y a 10 ans, les femmes pilotes, c’était Keiko Ihara, Milka Duno ou Rose Tan : des personnes arrivées à 30 ans passés, avec des moyens et des ambitions d’amatrices. Nos drôles de dames actuelles débutent en même temps que les garçons, on leur donne de bonnes voitures et elles ont faim de podiums !

Une femme en F1 pourrait accélérer la tendance. On verrait venir davantage de femmes. De plus, cela dépoussièrerait l’image du sport auto. Une femme génèrerait de l’intérêt au-delà des cercles traditionnels. De quoi motiver sponsors et constructeurs à s’investir.

Quant au risque d’avoir une poupée barbante, comme Patrick, il pourrait disparaitre si les femmes se banalisent dans le paddock. Etre une femme pilote n’est déjà plus une fin en soit. La preuve, c’est que les imposteurs comme Annalese Ferrari ou Tia Norfleet ont fait long feu. Et si notre femme en F1 prend la grosse tête, il y en aurait une dizaine d’autres capables de faire aussi bien qu’elle.

Crédits photos : Williams (photos 1 et 9), Sauber (photo 2), Auto GP (photos 3 et 8), British F3 (photo 4), Honda (photo 5), Australian F3 (photo 6) et Lotus F1 (photo 7)

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