Quand il s’est agit de se déplacer pour aller voir tourner des autos au sang bleu (Le Mans Classic Japan, traité par ailleurs), une certaine solennité était de mise. Pas question de se contenter d’une kei de location, il fallait quelque chose qui ne nous fasse pas honte en arrivant au paddock. Heureusement, Fiat Japon a bien voulu nous confier pour l’occasion une auto qui partageait avec plusieurs des voitures en piste le Biscione qui orne sa calandre, et l’événement fut donc aussi l’occasion d’une découverte entre Tokyo et le Fuji Speedway du sommet de la gamme 159 constitué par la 3.2 JTS Q4, équipée dans ce cas de la boîte automatique Qtronic.
Il s’agit d’une auto finalement assez exotique pour nous autres Français, puisque Alfa, comme les autres constructeurs européens, fait le gros de ses ventes en Europe avec des diesels de plus en plus évolués. Le groupe Fiat a beau être très engagé dans cette voie, elle est de garage au Japon où le diesel est encore cantonné, dans les statistiques comme dans les esprits, pour l’essentiel aux camions, bus et autres engins de travaux publics. A Tokyo, une Alfa ne se conçoit qu’essence. Place donc au V6 qui coiffe la gamme, le nouveau 3,2 l JTS (Jet Thrust Stoichiometric) à injection directe de 260 ch et 322 Nm de couple à 4500 tr/mn. L’origine de ce bloc est à chercher assez loin de Milan, bien que la marque d’Arese ait toujours souligné depuis la sortie de la 159 que le passage par ses ateliers donne à ce moteur un fort accent italien.
Ce bulletin de naissance qui rappelle le flirt poussé mais finalement interruptus du groupe italien avec General Motors a suscité dès le départ la méfiance des alfisti accros à l’ancien V6 qui a assuré les vocalises entre 1979 et son chant du cygne dans le coupé GT. Alors, ce V6 from down under, tout juste bon pour la chasse au kangourou en pickup au clair de lune ? La réponse est bien évidemment négative. Si le ronron feutré ne paye pas de mine lors de l’appui sur le bouton start et les premiers kilomètres à allure urbaine, le V6 rugit de façon convaincante dès que l’on enfonce franchement la pédale de droite et que l’aiguille du compte-tours s’approche des 7500 tr/mn de la zone rouge, bien que l’isolation phonique de la cabine filtre largement la chose avec une efficacité dont on aimerait dans ce cas précis qu’elle fut un peu moins complète.
Il est vrai également que la boîte automatique à six rapports Qtronic qui équipait cet exemplaire, laissée à son libre arbitre, garde le moteur à des vitesses de rotation que ne permettent que fugitivement de s’en remplir les oreilles lors du kick down. Mais tout espoir n’est pas perdu puisqu’il reste l’option du mode manuel à impulsions, même si une boîte manuelle est plus indiquée pour ce genre de gymnastique. Soulignons qu’au Japon, où le changement de rapports a la mano est considéré de nos jours comme un hobby un peu obscur du même ordre qu’une collection de timbres de la République de San Marin, la transmission Qtronic est un passage quasi-obligé pour une voiture qui se veut plus dans une veine « art de vivre » que bolide sans concession.
Puissance et couple très suffisants, bonne volonté à prendre des tours et voix de stentor, le procès fait à ce moteur me semble donc très sévère, mais j’invite les procureurs, s’il y en a, à me convaincre du contraire.
Plus encore que sa motorisation, ce qui fait la particularité première de la 159 par rapport à ses concurrentes dans le créneau de la berline cossue, c’est son style. Il faudra une bonne dose de mauvaise foi pour prétendre que Giorgetto Giugiaro n’a pas réussi un coup de maître avec la dernière génération des Alfa Romeo, de la 159 à la Brera et au Spyder, qui partagent ce nez élégant mais agressif, très oiseau de proie prêt à fondre sur ses victimes pour leur imprimer la marque de cette calandre chromée dont on se demande bien pourquoi Alfa l’avait rangée si longtemps au fond de ses tiroirs. La ligne générale, très équilibrée, et l’attention au détail comme les splendides poignées de porte chromées ou les nervures de capot se rejoignant pour former l’arrondi de la calandre donnent à cette voiture un aspect raffiné sans équivalent dans sa catégorie. On peut regretter éventuellement l’impression un peu imposante qui se dégage de l’ensemble, concession aux clients des autos du pays d’au-dessus qu’Alfa espère attirer. On y perd un peu de la fluidité de la 156, mais la 159 reste une très, très belle auto, que l’on se prend à admirer à chaque fois que l’on y revient après l’avoir laissée sur un parking.
L’intérieur en cuir beige, très élaboré sur le plan du style, avec la console traditionnellement tournée vers le conducteur et revêtue de métal brossé, est également bien différent de ce que l’on retrouve sur les allemandes concurrentes. L’impression de qualité qui s’en dégage souligne le gros effort fourni par les Milanais pour s’inviter parmi les plus huppés du segment. L’expérience est complétée originalement par les inscriptions en italien sur les instruments. Où est en la température d’Olio, est-ce qu’il reste de la Benzina ? Le client japonais, qui achète l’Alfa comme un petit bout d’une Italie rêvée, Dolce Vita, Leonardo Da Vinci et Prada, sera sensible à ces petites touches qui changent de l’ambiance « mondialisation » que l’on retrouve dans nombre de voitures prévues pour un marketing planétaire.
Ceci posé, le folklore, on le retrouve aussi dans une ergonomie qui ignore superbement l’intuitif. On aura du mal à élaborer une théorie unifiée de l’espace temps à partir de la disposition des multiples boutons, molettes et tiges autour du tableau de bord et du volant qui demandent pas mal de tâtonnements avant de s’y retrouver. En conséquence, j’ai assez rapidement abandonné d’essayer de comprendre le fonctionnement de l’air conditionné bi-zone, fixé pour la durée de notre séjour à bord sur 21 degrés. La palme du bizarre revient au bouton d’ouverture du coffre, situé … sur le plafonnier. Mais rien de tout cela n’est rédhibitoire, et racheté par toutes les fonctions de confort auxquelles on peut s’attendre dans une voiture de cette époque et de ce niveau, allumage automatique des feux, capteurs avant et arrière de stationnement, capteur de pluie, régulateur de vitesse, réglages électriques des sièges avec mémoire ainsi qu’un équipement stéréo de qualité, qui laissera le plus souvent place au Japon à l’indispensable système de navigation sans lequel il n’est pas de voyage routier sérieux qui tienne.
Les beaux sièges sont fermes, sans être inconfortables, et participent à l’impression de rigueur qui transparaît au volant. Je ne peux me prononcer sur les versions à traction avant de la 159, mais cette integrale à trois différentiels dont un Torsen central est un régal d’équilibre et d’efficacité, avec une répartition 43% avant 57% arrière. Sur la petite route sinueuse et humide de sous-bois menant à l’hôtel que le hasard avait fort à propos placé sur notre chemin et où les feuilles mortes se ramassent à la pelle et au Pirelli, la voiture était stable et sécurisante, et la relance en sortie de virage tout à fait efficace grâce aux quatre roues motrices orchestrées par le contrôle de traction et au couple qui faisait oublier que la balance affiche 1770 kg, le péché mignon de cette italienne gironde mais dodue. Il n’est pas sûr qu’une motorisation moins flamboyante s’en sorte aussi bien. Dans ces conditions, la direction est précise et transmet bien la configuration de la route, ce qui peut d’ailleurs être un peu plus agaçant dans d’autres circonstances, quand les grosses roues de 18 pouces se font un devoir de vous faire savoir de façon très détaillée à travers le volant que la chaussée est déformée dans une rue empruntée à 30 km/h. Les inconvénients des avantages.
Dernière surprise, pas la meilleure du week-end, au moment de passer à la pompe à l’issue du périple. 14 l aux 100 km, et pas besoin d’une grande enquête pour déterminer la cause de ce nombre à deux chiffres: la chanson du V6 dans les tours, ce chant des sirènes dont on peut difficilement se passer une fois qu’on y a goûté, que l’on consomme et qui consomme sans modération. Non pas que je regrette la moindre seconde de cette aventure.
Dans cette exécution, la 159 est diablement séduisante, et si elle se positionne en terme de tarifs au Japon un peu en dessous des BMW 335i ou Audi A4 3.2 Quattro, cela reste largement plus cher que les productions locales comme la Nissan Skyline. Mais au Japon, encore moins qu’ailleurs, l’achat d’une Alfa ne ne fait pas seulement sur des bases rationnelles. Le coeur a ses raisons…
Fiche technique
Longueur : 4690 mm
Largeur : 1830 mm
Hauteur : 1445 mm
Empattement : 2705 mm
Poids : 1770 kg
Moteur : V6 3195 cm3 24 soupapes
Puissance : 260 ch à 6300 tr/mn
Couple : 322 Nm à 4500 tr/min
Boîte de vitesses : automatique 6 rapports
Transmission : intégrale permanente à 3 différentiels
Prix Japon : entre 5,800,000 et 6,000,000 yens selon équipement