L’expédition punitive
Pancho Villa (ou plutôt José Doroteo Arango Arámbula pour l’état civil) semblait sorti directement du folklore. Il était illettré, adepte du sombrero, de la moustache et portait deux cartouchières en bandoulière. Moitié guerillero, moitié bandit de grands chemins, il terrorisait les propriétaires terriens du nord du pays et redistribuait ses butins aux paysans. Il préfigurait à la fois un « Che » Guevara ou un sous-commandant Marcos, mais aussi par sa brutalité, les « Zetas ».
La révolution mexicaine était remplie d’alliances, de trahisons et de coups d’états. Présidents et gouverneurs étaient déposés par les armes au bout de quelques mois. En 1915, Venustiano Carranza se déclara Président du Mexique. Woodrow Wilson, alors président des Etats-Unis, pensa que Carranza pourrait apporter de la stabilité. Pour Villa, cet adoubement de son ex-allié fut une provocation. En janvier 1916, il attaqua un train transportant des Américains, n’épargnant qu’un seul homme. Avec sa Divisiòn del Norte, il franchit le Rio Grande en mars et lança une razzia sur Colombus (au Nouveau Mexique.) Il tomba sur un régiment de cavalerie et tua 18 hommes (la cavalerie abattit 67 villastas), puis il retourna au Mexique, fier de lui.
Wilson était furieux. Il fallait lancer une expédition punitive. Elle est baptisée… l’Expédition Punitive. Face à un stéréotype, il fallait un autre stéréotype : le général John Joseph Pershing. Son premier commandement fut un détachement de buffalo soldiers et il en a garda le surnom de « Jack le [terme raciste pour un noir] ». Il a été de tous les conflits où les Etats-Unis étaient impliqués : guerres indiennes, Cuba et Philippines. Il fut envoyé comme conseiller auprès des Japonais lors de la guerre russo-japonaise. Il a également été officier du renseignement, basé à Paris. Instructeur à West Point, c’était un tireur réputé. Et il possédait une collection de décorations à faire pâlir un général soviétique !
Pershing fut envoyé à Colombus. Il y réunit 10 000 hommes. Son aide de camp était un de ses anciens élèves, le lieutenant George Patton. C’était un véritable village de tentes, avec un saloon et une maison close.
Pour plus de confort, Pershing voulait faire venir sa femme et ses enfants. Mais peu avant le départ, leur maison du Presidio (près de San Francisco) prit feu et seul l’un des enfants survécut à l’incendie. Pershing fut très affecté par la tragédie.
Carranza refusa à Pershing l’accès au chemin de fer mexicain. Qu’à cela ne tienne ! le général croyait au progrès technique. Il fit venir le tout premier escadron aérien US. Il employait des camions et partait en reconnaissance avec une Cadillac surmontée d’une mitrailleuse. Il choisit cette marque car il jugeait son moteur V8 très fiable.
En mars, Pershing franchit la frontière. Ce devait être un plan simple : deux colonnes (une à l’ouest, l’autre à l’ouest) prendraient Villa en tenaille. Les Américains avaient un avantage numérique et technologique. En pratique, les paysans étaient peu coopératifs (ils n’allaient pas livrer leur héros…) Il y eut même plusieurs accrochages avec l’armée régulière mexicaine. Le seul vrai succès fut la neutralisation du bras droit de Villa, Julio Cárdenas. Les différentes autres expéditions furent des fiascos. Les soldats tuaient le temps en écumants tavernes et maisons closes du Mexique.
Ceux qui arrivèrent à approcher Villa, ce furent les Allemands. Des émissaires firent le tour du Mexique pour convaincre les chefs de guerre d’attaquer les USA. Villa refusa. A la longue, Wilson s’énerva contre les Allemands et cela contribua à sa décision d’envoyer des troupes en Europe. En janvier 1917, Pershing retraversa définitivement le Rio Grande. Wilson venait de le nommer Commandant Suprême des Armées (un titre inédit.) Carranza promit aux Américains qu’il maîtriserait Villa. Les raids de la Divisiòn del Norte furent de moins en moins victorieux. Villa négocia sa reddition. En 1920, on lui offrit une hacienda où il s’installa avec ses nombreuses maîtresses.
En 1923, Villa voulut faire de la politique et c’était une mauvaise idée. Lors d’une embuscade, sa Dodge fut transformée en passoire. La quarantaine de tireurs (dont certains équipés de mitrailleuses lourdes) ne lui laissèrent aucune chance. Notez que jusqu’à la deuxième guerre mondiale, l’essentiel des bases US étaient massées le long de la frontière mexicaine : ils craignaient un « nouveau Villa ».
Notez également qu’à la même époque, l’armée du Guatemala se dotait d’une Cadillac surmontée d’une mitrailleuse. Etait-ce la voiture de Pershing ? Ou bien les Guatémaltèques voulurent-ils copier son idée ?
La Cadillac s’en va-t-en guerre
Pour son expédition européenne, Pershing possédait quasiment un chèque en blanc de Wilson. Cette fois, il était secondé par George Marshall (l’homme du fameux « plan ».) Comme pour l’Expédition Punitive, le général misait sur le progrès industriel. Et pour les voitures d’état-major, il voulait encore des Cadillac. La firme de Detroit produisit 2 500 série 57 « M » (militaire) dont 2 100 furent expédiées en kit outre-Atlantique (et assemblées en France.) La principale différence par rapport aux modèles civils était l’ajout d’un réservoir supplémentaire.
Pour ses partisans, Pershing (ci-dessous, à l’arrière) est l’homme qui a organisé et professionnalisé l’armée US. Au début, les maigres bataillons étaient placés sous commandement britannique (et les buffalo soldiers noirs, sous commandement français.) Au fil de l’arrivée des troupes, il eu l’idée de les équiper de bottes (mieux adaptées à la boue des tranchées) et de mettre en place une police militaire.
Pour ses détracteurs, Pershing ne quittait que rarement son bureau. Persuadé que les Allemands étaient K.O., il multipliait les offensives terrestres (très meurtrières.) A Sedan, les soldats chargèrent sans prévenir les Français (il y aurait eu de nombreux « tirs amis » en guise de résultat.) Le 11 novembre 1918, les soldats US montèrent au front. Ils avaient même prévu des offensives pour après l’armistice ! Un jeune tankiste, Dwight D. Eisenhower (qui avait combattu avec Pershing aux Philippines) faisait partie de ces renforts destinés à foncer sur Berlin.
Epilogue : l’affaire Seznec
A la fin de la guerre, Pershing ordonna le ferraillage des Cadillac. Les voitures furent remisées dans une casse. Le site était mal gardé. Grâce à des Américains restés à Paris, des voleurs purent s’emparer de certains véhicules. C’est ainsi que l’une des Cadillac se retrouva entre les mains de Guillaume Seznec, en 1919. Mais il trouvait que son V8 consomme trop et la remisa. En 1922, il l’hypothèqua auprès d’un notable, Pierre Quemeneur. Les deux firent affaire : ils devaient récupérer des Cadillac (NDLA : les voitures militaires ?) et les revendre à l’URSS. Quemeneur tint à reprendre la voiture de Seznec, pourtant en mauvais état. Le trajet de Bretagne jusqu’à Paris devait durer 6 jours (!) Au deux tiers du chemin, Seznec se serait rendu compte que la voiture n’arriverait jamais jusqu’à Paris. Il déposa Quemeneur à une gare et fit demi-tour. Du moins, c’est ce qu’il a dit, car Quemeneur disparut définitivement. Seznec, accusé de meurtre, fut condamné au bagne.
Et les Cadillac militaires ? Elles semblent avoir disparu. Un certain Marc Lassen prétend en avoir retrouvé une. Le fait qu’elle ait un numéro de châssis civil et qu’il y ait un « trou » dans son historique entre 1919 et 1936 laisse rêveur…
Crédits photos : Library of congress, sauf photo 5 (GM)