Le blog auto évoque rarement le continent africain. Mis à part le Maroc, l’Algérie (merci Renault) et l’Afrique du Sud. Pourtant, il est un pays où les usines d’assemblage poussent comme des champignons : l’Ethiopie.
Historiquement, l’Ethiopie était pourtant oubliée par l’automobile, depuis toujours un pays agricole régulièrement ravagé par des famines. Au début du vingtième siècle l’Empereur Menelik II entendit parler « d’automobile » et il voulut en voir une de ses propres yeux. Bede Bentley (aucun lien de parenté avec Walter Owen Bentley) se mit en tête de lui en montrer une. Bentley acheta une Siddeley, la fit amener par bateau à Djibouti et il se rendit à Addis Abeba par la route. Il en fit ensuite cadeau à l’Empereur. Notez que dans un musée de la capitale éthiopienne une Ford A Roadster beaucoup plus récente est présentée comme « la Bentley de Menelik II ».
L’Ethiopie est aussi une mosaïque d’ethnies, d’où une unité nationale fragile. L’Érythrée, un temps sous domination italienne, a pris son indépendance dans les années 60, privant le pays d’un accès à la mer. Qui plus est, depuis les années 1990, les relations se sont envenimées (euphémisme) suite à un conflit sur le tracé de la frontière. En parallèle, l’économie s’est développée. L’Ethiopie a commencé à importer des voitures (principalement des occasions) via Djibouti. Le problème, c’est que les voitures subissent des droits de douane à Djibouti, une taxe locale, avant d’être de nouveau taxées en Ethiopie. Les différentes surtaxes atteignent ainsi 200% du prix d’origine. L’Ethiopie, c’est environ 10 000 voitures neuves immatriculées chaque année, ainsi que 2 000 voitures d’occasions arrivées de l’étranger… Et 1 500 occasions entrées illégalement dans le pays.
Tadesse Tessema, le pionnier
Plutôt que d’être taxé à tous les étages, pourquoi ne pas directement produire en Ethiopie ? C’est ce que s’est dit Tadesse Tessema. L’homme d’affaires était d’autant plus motivé que les Lada qu’il vendait à Addis Abeba provenaient des Pays-Bas ! Il s’associa à Trento Engineering et créa la société Holland, en 2005. Le nom jouait sur la confusion avec New Holland, un fabricant de tracteurs agricoles ayant pignon sur rue. Pour les voitures, Tessema s’est d’abord tourné vers le Turc Tofas. Holland a importé une poignée de kits de Fiat 131 et de Ford Taunus.
En 2007, il se rapprocha de Lifan. Comme tout constructeur chinois, Lifan cherchait à l’époque à exporter. Par manque d’expérience et par appât du gain, Lifan était prêt à s’associer avec n’importe qui. Tessema voyait surtout que la berline 520 (alias Abay) était plus moderne que les Tofas. La production était très rudimentaire, mais il put ouvrir un second atelier d’assemblage.
En 2009, Lifan s’enhardit et voulut se passer de Holland. La bataille juridique dura de longs mois et les Chinois gagnèrent. Heureusement, Tessema trouva un nouveau partenaire, JAC. La berline And Yuet (également vendue sous le nom de Abay) et l’ensemble de la gamme fut annoncée. La suite est assez confuse. Holland a-t-il effectivement assemblé des JAC ? En tout cas, sa société de crédit, Access Real Estate, a encaissé des acomptes. Simple faillite ou banqueroute volontaire, Holland fit naufrage à l’été 2013. Tessema s’enfuit en… Hollande, avec Interpol à ses trousses. Quant à Holland, elle fut dissoute en 2014.
Lifan, empereur d’Ethiopie
En 2009, le constructeur chinois put donc casser son contrat et ouvrit son propre atelier, où il assemble des 320, 520, le SUV X60 et le minivan Foison. Le constructeur est plutôt avare en information. Mais a priori la valeur ajoutée locale est de seulement 10% du véhicule. La production serait d’un gros milliers d’unités par an, soit 1% de la production globale du constructeur. L’Ethiopie est l’un de ses principaux débouchés, avec le Brésil et la Russie (où il a également cassé les contrats avec ses partenaires locaux.) Surtout, Lifan est le premier vendeur de voitures neuves du pays (devant Toyota.) Malgré l’apparition de concurrents, un gros tiers des voitures assemblées en Ethiopie (VU et VL) sont des Lifan. Le constructeur rêve désormais d’augmenter la part d’assemblage local et d’exporter dans les pays limitrophes.
Les autres
Un millier d’automobiles produites dans ce qui est davantage un gros garage bien équipé, cela peut faire sourire. Mais à l’échelle de l’Ethiopie, cela fait rêver et d’autres ont voulu se lancer.
Azeb Mesfin, veuve d’un ancien premier ministre, pilote un fond d’investissement. Ce dernier gère notamment Mesfin Industrial Engineering (MIE), une société d’assemblage de machine-outils. En 2011, MIE s’est associé à Geely pour assembler d’antiques berlines CK (renommées « Saba ».) Un deuxième modèle (la compacte King Kong ?) est arrivé en 2012. Des représentants du MIE étaient cette année au salon de Pékin, sur le stand Geely. Ils rêveraient d’assembler le SUV GX7, d’augmenter la part d’approvisionnement local et d’atteindre les quatre chiffres de production annuelle…
Belay’Ab était lui, à l’origine, un cimentier. Il importait du ciment chinois et sentant le frémissement de l’automobile, il a frappé à la porte de constructeur chinois. Il assemblerait ainsi des PL Foton et des pick-up Zhengzhou-Nissan.
Distributeur local de Scania, Maru Metals ferait aussi de l’assemblage.
Mais le projet le plus ambitieux est celui de MeTEC. La Met and Engineering Corporation est un conglomérat étatique visant à industrialiser l’Ethiopie. Elle couvre aussi bien le génie civil que les engins de travaux publics ou le solaire et s’est offert Bishoftu, un distributeur d’autobus et de PL (FAW et MAN.) Le conglomérat s’est rapproché de SG Liaoning. Espérant assembler des pick-up Plutus, il se serait contenté de SUV Aurora.
L’avenir ?
En terme de chiffres de production, MeTEC est a priori très confidentiel. En revanche, la société a l’oreille d’Addis Abeba. Le gouvernement voudrait développer la production locale et créer une vraie industrie, avec des équipementiers basés sur place. Le conglomérat lui répond qu’il lui faudrait d’abord un cadre législatif. Car actuellement, les composants importés sont surtaxés. Par exemple, une Lifan 520 coûte 40 900 yuans (5 300€), en Chine. Celles vendues en Ethiopie sont à 288 000 birr (11 600€), à peine moins cher qu’une Toyota Corolla de quatrième main. Quant à la 620 (vendue 44 000 yuans -5 800€- en Chine), elle se retrouve à 418 000 birr (16 900€), le prix d’une Corolla neuve.
D’une part, à cause des taxes, les voitures restent hors de portée d’une écrasante majorité des 88 millions d’Ethiopiens. D’autre part, pour ceux qui auraient les moyens, rien n’est fait pour les convaincre des vertus du « made in Ethiopia ». De plus, il faudrait former des ingénieurs et des techniciens. Enfin, il faudrait également de meilleures infrastructures routières.
Dans l’histoire, il a toujours été compliqué de passer du CKD à une vraie production de voitures. L’Ethiopie se voit déjà en futur leader économique régional. La Chine est également persuadée que le pays va se développer. Voilà pourquoi l’essentiel des voitures et camions assemblés sont d’origine chinoise. Espérons donc que les Européens, en particulier les Français, ne ratent pas le train.
Crédits photos : YangFan-Lifan (photos 1, 5 et 8), Holland (photos 3 et 4), MIE (photo 6) et MeTEC (photo 7.)