Décidemment, le désuvrement fait des ravages. Vous vous rappelez peut-être l’initiative intéressante de Joey Starr pour combattre ce fléau, « Si tu ne sais pas quoi faire, tape un singe ». Ne voulant pas s’attaquer aux animaux, certains écologistes ont repris cette idée intelligente en la transformant légèrement : « Si tu ne sais pas quoi faire, pourris un 4×4« . Outre le défoulement instantané, certains militants impressionnables y trouvent le moyen de croire qu’il ont commis une bonne action. C’est évident, renverser un pot de peinture rouge sur une Range Rover gris améliore l’état de la planète Surtout quand il faut repeindre le dit Range Rover en relâchant plein de solvants bien toxiques.
Alors certes, pourrir un 4×4, c’est bien et ça en impose. Mais quand on est député, ça ne fait pas très crédible. C’est ainsi que Bastien Girod, conseiller national vert, a trouvé un autre moyen d’occuper ses longues après-midi ennuyeuses : éplucher les catalogues automobiles. Le but étant de traquer les modèles « qui ne sont pas respectueux de l’homme ». Pour bien vous montrer l’impartialité de cette idée, son nom originel était « l’initiative anti-4×4 ». Plusieurs critères ont été retenus : masse supérieure à 2,2 tonnes, consommation supérieure à 10,5l/100km, absence de filtre à particules et face avant trop agressive. Ce qui vaut l’interdiction de modèles aussi divers que l’Aston Martin DBS, la Mercedes S600, Jeep Patriot (alors que le Compass est autorisé) ou encore la Citroën C1 HDI. Bien entendu, certaines marques seraient totalement interdites, comme Ferrari, Aston Martin, Lamborghini, Land Rover ou Ssangyong.
Certes, aller vers des autos moins polluantes est nécessaire. Mais là, j’ai presque envie de dire que Bastien Girod se fourre le doigt dans l’il jusqu’à s’en perforer le slip. Première limite : la clientèle. En Suisse, qui achète des Lamborghini, Ferrari, etc. ? Les millionnaires, comme partout me direz-vous. Les millionnaires ont-ils une seule résidence ? Rarement. Il leur suffira donc d’immatriculer leur Murciélago flambant neuve en Allemagne, Italie, Arabie Saoudite ou que sais-je pour contourner la loi.
Deuxièmement, les critères. Celui du filtre à particule est-il valable ? Pas sûr, étant donné que son utilité est de plus en plus contestée. Le filtre à particules n’arrêterait pas les particules les plus fines, qui sont aussi les plus toxiques pour l’organisme. Dès lors est-il réellement intelligent d’interdire les FIAT Panda et Citroën C1 diesel ? De même, l’histoire de la « face avant agressive » semble assez fallacieuse. Certes un Jeep Patriot a une allure plus carrée que son jumeau Compass. En est-il pour autant plus dangereux en cas de choc piéton ? Je demande à voir des tests (l’Euro NCAP n’a pas testé ces modèles) et surtout j’aimerais savoir sur quel critère s’est basé Bastien Girod.
Troisièmement, l’utilisation de ces modèles. Quelqu’un qui roule 3 000km par an en Ferrari Fiorano pour se faire plaisir pollue-t-il plus que celui qui fait 30 000km en Laguna, pourtant éligible ? Là encore, les jeunes Verts sont passés à côté d’un point crucial, à savoir que les supercars roulent assez peu dans la plupart des cas.
Quatrièmement, le principe même de la liste. Amateurs de Bugatti Veyron, de Koenigsegg, de Gumpert Apollo ou de Spyker, vous êtes les bienvenus en suisse ! Bastien Girod ne connaît pas ces marques et elles ne figurent donc pas sur la liste, vous pourrez donc immatriculer vos chouchoutes sans l’ombre d’un problème.
Si cette mesure est donc à première vue largement critiquable, il ne faut pas non plus la vouer totalement aux gémonies. Il est nécessaire de pousser les constructeurs à proposer des modèles moins polluants. Cela dit, il semble mathématique qu’une voiture plus performante est plus polluante. Ne serait-il pas plus intelligent d’instaurer une sorte d’indice de performance, entre les capacités de la voitures et ses émissions. Ainsi, une Porsche 911 (dont le constructeur fait des efforts notables pour améliorer le rendement) serait moins inquiété qu’une Lada Kalina au moteur gourmand. Soit une résultat exactement inverse à celui de cette mesure pour les deux modèles cités. Remarquons au passage l’aspect visionnaire de Colin Chapman et son « Light is Right ». Lotus est en effet une des rares marques dont tous les modèles ont reçu la grâce de Bastien Girod. Cela dit, tant de légèreté intellectuelle dans une seule mesure me laisse le morale en Berne.
Source : Le Matin